Découvertes

Sud-Ouest : discret par nature, grand par ses vins identitaires

Enclavé par le célèbre vignoble de Bordeaux et par celui - non moins renommé - du Languedoc, le territoire du Sud-Ouest est encore injustement ignoré du grand public. Pourtant, de la vallée du Lot jusqu’au piémont pyrénéen en passant par la Gascogne, cette grande région viticole recèle d’appellations qui méritent toute notre attention.

Château Montus, fer de lance de l'AOC Madiran

Château Montus, fer de lance de l'AOC Madiran

 

 

Terre de contrastes et de diversité, le vignoble du Sud-Ouest reste encore souvent dans l'ombre de ses illustres voisins bordelais ou languedociens. Pourtant, il abrite une mosaïque de terroirs uniques et une kyrielle de cépages autochtones qui, de part et d’autre du territoire, produisent des vins de grande qualité. Ici, chaque vallée, chaque coteau, chaque parcelle raconte une histoire différente, ancrée dans des siècles de tradition viticole.

S’ils sont héritiers d'un savoir-faire ancestral, les vignerons du Sud-Ouest se montrent pour autant résolument modernes pour révéler la véritable identité de leurs terroirs tout en s'adaptant aux enjeux climatiques et aux nouvelles attentes des consommateurs. De l’AOC Madiran, avec ses vins puissants et structurés issus du cépage tannat, à celle de Jurançon, berceau de vins blancs d’une rare complexité, et jusqu’à l’AOC Buzet, pionnière en matière de viticulture durable, et l’IGP Côtes de Gascogne, réputée pour ses vins frais et fruités déclinés dans les trois couleurs, ce dossier vous invite à explorer quelques-unes des appellations pépites du Sud-Ouest.

 

Vignobles Brumont : fers de lance de l’AOC Madiran

Dans le panorama des appellations du Sud-Ouest, Château Montus et Château Bouscassé incarnent non seulement l'expression la plus aboutie du cépage tannat mais également les fers de lance de l’AOC Madiran. « L’appellation a vraiment changé dans les années 80, lorsque mon beau-père (Alain Brumont ndlr) est arrivé avec une vision terroir jusque-là inexplorée », explique Antoine Veiry, qui a pris les rênes des deux propriétés en 2018. Sous l’impulsion d’Alain Brumont, l’AOC Madiran a été redéfinie par une approche axée sur la qualité des sols et la singularité des cépages autochtones. « Il a prouvé que ces terroirs, longtemps ignorés, pouvaient produire des vins d'une grande élégance et d'une remarquable complexité », souligne-t-il. Des cuvées telles que Montus et La Tyre sont d’ailleurs devenues les étendards de l'appellation Madiran.

 

Le chai à barriques de Château Montus

Le chai à barriques de Château Montus

 

 

Poursuivant avec brio l’œuvre de celui que l’on surnomme Le Pape de Madiran, Antoine Veiry a l’ambition d’aller plus loin encore dans la compréhension des terroirs qui font la singularité des vignobles Brumont. « Depuis mon arrivée, nous vinifions chaque parcelle séparément afin de mieux saisir leurs particularités avant de les assembler. Nous poursuivons également la restructuration du vignoble entamée par Alain avec un géologue spécialiste des sols de montagne, afin d’identifier ceux qui sont les plus propices à une viticulture de qualité. »

Mais ce n’est pas tout. Car si ces terroirs très qualitatifs voient naître de beaux jus, encore faut-il, par la vinification et l’élevage, porter ce potentiel au plus haut niveau. « Nos vins ont cette force brute, mais notre objectif est de la dompter pour créer des vins d’une élégance et d’un équilibre remarquables », précise le vigneron. Cette quête de l’excellence place l’ensemble des vignobles Brumont au sommet de la viticulture du Sud-Ouest, une position consolidée par ses cuvées parcellaires mondialement réputées, mais également par d’autres jolis vins en AOC Pacherenc du Vic-Bilh et en Côtes de Gascogne, qui composent une gamme diversifiée allant de vins blancs secs et vifs à des vins rouges élégants et complexes.

 

Antoine Veiry, brillante relève d'Alain Brumont

Antoine Veiry, brillante relève d'Alain Brumont

 

 

Plaimont : gardien des cépages oubliés et promoteur du terroir gascon

Créé en 1979 par le regroupement des caves de Plaisance, Aignan et Saint Mont, Plaimont est un acteur incontournable des terroirs du Sud-Ouest. « Nos AOC, telles que Saint-Mont, Madiran, Pacherenc du Vic-Bilh ou Jurançon, se distinguent par une typologie de sols unique, mais partagent un climat tempéré aux contrastes marqués, offrant des vins dotés d’une tonicité et d’une fraîcheur surprenantes », explique Fabien Olaiz, directeur export de Plaimont.

Mais revenons un peu en arrière. Car outre les 4 AOC que couvre aujourd’hui l’union de coopératives gersoise, il y a aussi l’IGP Côtes de Gascogne, son « moteur économique », insiste-t-il. Dans les années 70, alors que les vins du Sud-Ouest pâtissent d’une image vieillissante, André Dubosc – le fondateur de Plaimont – se lance le défi de réinventer le vignoble gascon à travers la production de vins blancs secs. Et cette ambition trouve son incarnation dans le cépage colombard, jusqu’alors utilisé pour la distillation de l'Armagnac. Aujourd’hui encore, cette vision pionnière porte ses fruits : l'IGP Côtes de Gascogne représente le cœur de l’activité de Plaimont, et la cuvée Colombelle, véritable étendard de l'appellation, continue de conquérir les amateurs de vins du monde entier.

Autre fierté de Plaimont, l’AOC Saint-Mont, « notre véritable joyau », admet Fabien Olaiz. « Elle doit également beaucoup à André Dubosc qui, dans les parcelles centenaires de Sarragachies, a identifié une ribambelle de cépages délaissés et en a fait le point de départ de l’appellation », explique-t-il.

Fruit d’un travail de longue haleine sur la redécouverte et la préservation de cépages oubliés, le conservatoire ampélographique de Saint Mont, le plus important conservatoire de cépages privés homologué en France, créé en 2002, illustre parfaitement ce travail de redécouverte et de préservation des cépages oubliés.

« Il permet de valoriser un territoire à part entière qui est aujourd’hui le berceau des cépages ancestraux du Piémont Pyrénéen », conclut-il.

 

Olivier Bourdet-Pees, directeur général de Plaimont et sauveur des cépages autochtones

Olivier Bourdet-Pees, directeur général de Plaimont et sauveur des cépages autochtones

 

 

Domaine Guillaman : ambassadeur de l’IGP Côtes de Gascogne

Au cœur de la Gascogne, à Gondrin, le Domaine Guillaman incarne l'histoire d'une saga familiale qui remonte au 17ème siècle. Stéphanie et Dominique Ferret dirigent aujourd’hui le domaine, tandis que leur fils prépare déjà la relève. « Dominique a commencé très jeune, à 15 ans, quand le domaine se consacrait à la production d'Armagnac », raconte Stéphanie Ferret. L'année 2000 marque un tournant décisif avec le passage de la vente en vrac à la vente en bouteille. Depuis, le domaine a prospéré et couvre 200 hectares de vignes en IGP Côtes de Gascogne, dont il produit les trois couleurs.

Mais le vignoble du Domaine Guillaman fait surtout la part belle aux cépages blancs (colombard, sauvignon blanc, chardonnay, ugni-blanc, gros manseng et petit manseng), qui représentent 80 % de l’encépagement. Et c’est au colombard, cépage phare de l’IGP Côtes de Gascogne, qu’est accordée la majeure partie du vignoble. « Il est parfaitement adapté à notre terroir et fait l'identité de notre appellation », explique la propriétaire.

Dans les autres couleurs, merlot et cabernet-sauvignon produisent deux cuvées en rouge et une cuvée en rosé qui, au même titre que les blancs, sont particulièrement représentatives du terroir gascon.

Fort d’une volonté de « maîtriser les rendements et de produire des vins propres avec un impact minimal sur l’environnement », le domaine exporte aujourd’hui 2/3 de sa production à l’étranger – avec une présence croissante sur les marchés asiatiques et américains – tout en conservant une forte présence en France à travers les circuits traditionnels (CHR) et la vente directe.

 

 

Le Domaine Guillaman est l'histoire d'une saga familiale

Le Domaine Guillaman est l'histoire d'une saga familiale

 

 

Domaine Nigri : un domaine emblématique de l’AOC Jurançon

A Monein, au pied des Pyrénées, le Domaine Nigri pratique la viticulture depuis 1685. Jean-Louis Lacoste, œnologue formé à Bordeaux, a rejoint le domaine en 1993. « Mon père avait une grande connaissance des cépages et nous a transmis ce respect du patrimoine », raconte ce dernier. Cultivé en agriculture biologique, le vignoble de 16 hectares se distingue par ses cépages pyrénéens.

 

Jean-Louis Lacoste, propriétaire du Domaine Nigri

Jean-Louis Lacoste, propriétaire du Domaine Nigri

 

 

« À l’époque, alors que tout le monde restructurait son vignoble, nous avons choisi de conserver notre patrimoine viticole », explique-t-il. Le Domaine Nigri fait ainsi partie des rares à avoir développé une véritable collection de cépages autochtones tels que le camaraou, le cruchen noir, le printiu aigut ou encore le lercat.

Grâce à la diversité de ses terroirs – sols silico-argileux, poudingue et sols argilo-calcaires – le domaine produit des cuvées d’assemblage très caractéristiques de l’appellation Jurançon.

Image 11 - Le Domaine Nigri produit des vins d'assemblage caractéristiques de l'AOC Jurançon
Aussi le domaine bénéficie-t-il d'une belle réputation, en particulier pour ses vins blancs secs, qui représentent aujourd'hui deux tiers des ventes. Quant aux vins doux, le vigneron l’affirme : « Ils ne souffrent pas du désamour constaté sur d’autres appellations, car ils sont très bien équilibrés entre sucre et acidité. »

Malgré la nécessité d'une certaine pédagogie à l'international, l'AOC Jurançon continue de se développer à l'export, représentant environ 20 % des ventes du domaine. « Nous avons une distribution atomisée sur l’ensemble de l’Union Européenne et constatons une progression sur le marché américain ». Le Domaine Nigri profite ainsi d’une belle dynamique de vente, confirmant sa place comme acteur incontournable et novateur du vignoble de Jurançon.

 

Le vignoble du Domaine Nigri se distingue par ses cépages pyrénéens

Le vignoble du Domaine Nigri se distingue par ses cépages pyrénéens

 

 

Les Vignerons de Buzet : le cœur battant de l’AOC Buzet

A l'orée des Landes et aux portes d'Agen, l’AOC Buzet se distingue par une originalité : elle est le quasi-monopole (95% exactement) de la cave coopérative Les Vignerons de Buzet. « Le nom de Buzet résonne, mais beaucoup ne savent pas le situer sur une carte », admet Sébastien Bourguignon, directeur marketing et communication.

 

Sébastien Bourguignon, directeur marketing et communication

Sébastien Bourguignon, directeur marketing et communication

 

 

Créée en 1953, avant même que l’AOC Buzet ne voie le jour (1973 ndlr), la coopérative des Vignerons de Buzet a toujours été en avance sur son temps. Grâce à la division de son vignoble en 4 200 unités de base, définies par leur cépage, leur type de sol, et leur potentiel, elle suit une stratégie inspirée : partir des attentes des consommateurs pour élaborer des vins à leur image, tout en restant fidèle à l'identité de l'appellation.

Mais la coopérative ne se contente pas de suivre le mouvement. En 2019, cette dernière a lancé un vignoble expérimental de 17 hectares, véritable laboratoire à ciel ouvert, pour explorer des solutions face au changement climatique. « Nous avons planté des cépages méditerranéens, résistants, et expérimentons des pratiques comme l'agroforesterie* », détaille Sébastien Bourguignon. Une démarche innovante qui illustre bien l'esprit pionnier de cette appellation discrète mais déterminée. Loin de la lumière des grandes appellations, Buzet séduit par sa capacité à surprendre.

L'acquisition du Château de Buzet en 2018 a renforcé l'offre œnotouristique de la coopérative, attirant de plus en plus de visiteurs curieux de découvrir ce joyau caché qu’est l’AOC Buzet et qui, depuis 70 ans, continue d’inspirer et de surprendre.

 

Le vignoble de Buzet est divisé en 4 200 unités de base

Le vignoble de Buzet est divisé en 4 200 unités de base

 

 

Des véritables vins d’amateurs et de connaisseurs

Alors que le vignoble du Sud-Ouest reste encore trop souvent méconnu, les domaines et coopératives qui y évoluent font preuve d’efforts remarquables pour valoriser leurs terroirs uniques, préserver leur précieux patrimoine viticole, répondre aux enjeux climatiques et s’adapter aux attentes d'un marché en constante évolution.

Ces acteurs passionnés, véritables gardiens de leur terroir, invitent les amateurs de vin à s'aventurer au-delà des appellations classiques pour découvrir des cuvées identitaires, fruit d'une tradition séculaire et d'une grande résilience. En levant le voile sur ces pépites du Sud-Ouest, notre souhait est d’encourager une curiosité renouvelée pour ces vins qui, bien que moins connus, n'ont rien à envier à certains de leurs voisins plus célèbres.

 

*Ensemble des pratiques agricoles qui associent des arbres et/ou de l'élevage à une culture dont celle de la vigne.