Découvertes
Découvertes
Sur les chemins viticoles de Navarre
Par Par Isabelle Escande - Photographies: fournies par les domaines, le 27 juin 2022
Longtemps restée dans l’ombre de la Rioja, sa prestigieuse voisine, la Navarre connaît depuis ces dernières années un développement important. Si sa réputation s’est d’abord forgée grâce à la qualité de ses rosés, elle est aujourd’hui très appréciée pour ses vins rouges, de plus en plus remarqués dans les concours internationaux. Et ce n’est pas un hasard si le mondial du vin de grenache se tiendra cette année à Olite, en Navarre.
Cépage phare de la région, le grenache n’est pas le seul à se plaire sur les terres navarraises. Outre d’autres variétés autochtones, des cépages français se sont bien acclimatés, tels le merlot ou le cabernet sauvignon. La grande diversité des paysages et des conditions météorologiques expliquent cette pluralité. À la confluence de trois climats (méditerranéen, océanique et continental), la D.O. Navarre couvre 10 200 hectares qui s’étendent des montagnes des Pyrénées jusqu’au désert des Bardenas en passant par les terres fertiles des bords de l’Èbre.
La région produit aussi bien des rosés, que des blancs, des rouges et même des vins effervescents. Aux cuvées fruitées et fraîches s’ajoutent des vins complexes et bien structurés. Et c’est peut-être cette diversité propre au vignoble navarrais qui explique sa reconnaissance tardive au niveau international. Il n’existe pas, en Navarre, “une seule couleur de vin, ni un goût unique ou un cépage exclusif”, nous souffle Marcos Gorricho, gérant de Bodegas Alconde. “Une image uniforme est toujours utile pour imposer son identité”.
Car ce n’est pas d’un bagage historique qu’elle manque. La tradition vinicole en Navarre date de l’époque romaine et le savoir-faire s’est ensuite concentré dans les nombreux monastères jalonnant le chemin de Saint-Jacques de Compostelle qui, de nos jours, attire chaque année un grand nombre de pèlerins.
Fiers de leur passé viticole, les vignerons de la région n’ont cependant pas hésité ces dernières décennies à innover, et c’est cette capacité de réinvention qui fait aujourd’hui briller la Navarre dans le firmament vinicole mondial. Nous sommes partis à la rencontre de quatre de ces producteurs audacieux qui nous ont expliqué leur projet et leur confiance en l’avenir.
Guillermo Penso, directeur général de la Bodega Otazu et président de la Fondation Otazu.
Le Palais d’Otazu qui date du XVIe siècle.
Bodega Otazu, l’art de la créativité humaine
Située à seulement 8 km de Pampelune, dans la région qui était, avant la crise du phylloxéra, le cœur du vignoble navarrais, la bodega Otazu est le domaine certifié D.O.P. Pago le plus septentrional d’Espagne.
Mais loin de nous l’idée de nous arrêter à cette seule caractéristique, car le domaine accumule les particularités. Son histoire remonte au XIIe siècle et son micro climat est marqué par une influence atlantique qui “donne aux vins des couleurs vives et une fraîcheur en bouche”. Le caractère unique de son terroir lui a d’ailleurs valu la distinction de “Vino de Pago”, une appellation spéciale qui répond aux exigences les plus hautes.
Les vins du domaine sont élaborés uniquement à partir de raisins de la propriété qui s’étend sur 116 hectares. Divisés en vignobles travaillés séparément, ils sont l’objet de plusieurs projets pour respecter au maximum l'environnement. Car, comme nous l’explique Guillermo Penso, directeur général de la bodega, l’avenir du secteur vitivinicole repose davantage, selon eux, sur ces initiatives qui visent la qualité et le développement durable, que sur n’importe quelle reconnaissance extérieure.
Le domaine prend part notamment, en collaboration avec l’Université de Navarre, au projet Viñasostenible (vignes durables) destiné à intégrer des solutions agricoles pour évoluer vers un modèle plus respectueux de l'écosystème. Le domaine s’est également fixé l’objectif “zéro émission” pour 2030 et il s'est aussi lancé dans la récupération de cépages autochtones préphylloxériques, comme le Berués.
En harmonie avec la nature qui l’abrite, son terroir et son histoire, la Bodega est aussi un espace ouvert où l’art et la vigne semblent se confondre. Le domaine abrite, en effet, une importante collection de sculptures contemporaines à l’air libre. L’art et le vin sont tous les deux, selon Guillermo, “des manifestations de la culture et un hommage à la créativité humaine.” Livré à une expérience symbiotique, le visiteur, quant à lui, est comblé…
Un hôtel d’insectes pour favoriser la biodiversité.
La bodega Otazu combine monuments historiques et créations artistiques contemporaines.
Bodegas Alconde, pionnier en viticulture régénérative
Il y a deux ans, Bodegas Alconde se lançait dans une nouvelle aventure, qui aujourd'hui fait partie intégrante de son identité : la viticulture régénérative. Des 5 premiers hectares consacrés à cette pratique innovante, ils sont passés à 42 hectares. Et selon, Marcos Gorricho, gérant du domaine, il ne s’agit pas d’un simple projet à titre expérimental, mais d’une philosophie à laquelle ils adhèrent aujourd’hui entièrement et qui a déjà commencé à faire ses preuves.
Si la mise en place de ces nouvelles techniques a contribué légèrement à une diminution de la production, “le sacrifice en vaut la chandelle”. La fertilité des sols s'est améliorée et même au niveau de la qualité des vins, les bénéfices se font déjà sentir. Il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions détaillées, mais si, comme nous l’explique Marcos, le domaine peut ainsi participer à l’enrichissement de la biodiversité des sols et lutter, à son échelle bien sûr, contre le changement climatique, il est clair que le choix est vite fait.
Certes, le chemin n’est pas facile, car il va à l’encontre de ce qui a été fait jusqu’à présent et il suppose un changement radical de la vision même de la nature et du travail du viticulteur. L’idée n’est pas de contrôler à tout prix la nature, voire de l’éliminer, mais au contraire de restaurer la vie des sols par le biais de mécanismes naturels. Car plus les sols sont vivants, plus la santé des plantes, et la qualité des produits issus de l’agriculture, est garantie. Par ailleurs, la multiplication des micro-organismes au sein des sols favorise la capture naturelle du CO2, le principal gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique, et freine l’érosion.
Dans une région de plus en plus touchée par la sécheresse, l’avantage d’avoir un sol qui absorbe efficacement l’eau de pluie devient une nécessité vitale. Le domaine a donc entrepris la mise en place de couverts végétaux pour favoriser la biodiversité et la fertilité des sols, avec la culture de plantes variées, comme la moutarde, les légumineuses ou l’avoine.
“Tout est dans l’équilibre”. Favoriser une relation symbiotique des différents éléments qui composent l’écosystème du vignoble permet, à terme, une réduction de l’intervention humaine dans les vignes. Et telle est la volonté de Bodegas Alconde qui a toujours privilégié le respect du fruit avec ses cuvées équilibrées et fruitées. Authentiques expressions de leur terroir, elles sont aussi l’héritière d’un savoir-faire viticole qui s’est transmis de génération en génération.
Marcos Gorricho, gérant de Bodegas Alconde.
Des couverts végétaux et des sols vivants : des principes clés de l’agriculture régénératrice.
Alors que la vinification est réalisée dans des cuves en béton, l’élevage des vins Alconde se fait dans des fûts de chêne.
Les vignes Alconde sont situées au pied de Lerín, un village d’une grande tradition viticole.
Viña Magaña, une référence en Navarre
Aujourd’hui présents sur les tables étoilées du monde entier et dans les banquets de la famille royale espagnole, ou encore appréciés par d’illustres personnalités, comme le Dalaï Lama, les vins de Viña Magaña ont réussi à se faire un nom au-delà des frontières. La bodega, qui compte notamment des vieilles vignes de merlot parmi les plus anciennes d'Espagne, s’est imposée comme une référence en Navarre.
L’aventure commence en 1972, de façon un brin picaresque. Bien décidé à réaliser “un vin nouveau, différent et surprenant”, Juan Magaña entreprend de revenir à sa région d’origine, la Navarre, pour y planter des cépages provenant de Bordeaux. Le défi est de taille. La démarche est, à l’époque, interdite et le jeune homme est obligé de passer en contrebande ses pieds de merlot et de cabernet sauvignon. Et puis personne, ou presque, n’ose parier alors pour cette terre aride, pauvre, mais riche en minéraux, sur laquelle il a jeté son dévolu.
Finalement, le temps lui aura donné raison. Le domaine s’étend de nos jours sur 100 hectares de vignes et peut se targuer d’installations modernes conçues par le célèbre architecte navarrais, Rafael Moneo, et d’un vaste chai qui abrite environ 1000 fûts de chêne français. Si les vins de merlot et de cabernet sauvignon font toujours partie de l’ADN du domaine, d’autres cépages sont aussi mis en valeur, et le domaine s’est même lancé dans des cultures expérimentales pour essayer de récupérer des variétés autochtones.
Le domaine n’a eu de cesse, tout au long de son histoire, de se perfectionner. D’ailleurs, tous les mois de novembre sont présentées les meilleures nouvelles cuvées au Carrousel du Louvre à Paris et la production de Viña Magaña fait toujours partie de la sélection. Aucune autre bodega de Navarre n’y est invitée, souffle Juan et rares sont les domaines espagnols à y participer.
Juan Magaña Ruiz, fondateur de la bodega Viña Magaña.
La bodega Viña Magaña se trouve à une centaine de kilomètres au sud de Pampelune.
Castillo de Monjardín, le goût de l’innovation
Pour finir cette balade à travers la Navarre, rien de mieux que de s’arrêter à la bodega Castillo de Monjardín, à deux pas du chemin de Saint-Jacques. Elle fut d’ailleurs l’une des premières bodegas à ouvrir ses portes au public en Espagne.
Elle fut fondée en 1988 par les époux Sonia Olano et Víctor del Villar, bien décidés, dès le début, à élaborer des vins différents. “On est parvenus à changer des aspects qui semblaient inamovibles dans le monde du vin” explique Sonia. Pionniers, ils l’ont été et ce à plusieurs niveaux. Ils furent entre autres les premiers, dans le pays ibérique,à pratiquer la vendange nocturne ou à réaliser des chardonnay fermentés et élevés en fûts.
Leurs vignes se trouvent à 600 mètres d’altitude dans une zone fraîche qui favorise l’acidité des raisins et qui leur permet “d'élaborer un élevage très délicat en fûts de chêne neufs pour prolonger la vie du vin et l'enrichir en bouche”. Si le chardonnay ou le pinot noir trouve son bonheur en hauteur, d’autres cépages ont été plantés un peu plus bas dans la vallée, nous confie Sonia. La bodega se caractérise par une production d’une grande variété et elle compte même deux vins effervescents dans son catalogue.
Quel sera alors leur prochain projet ? “On vient de récupérer de vieilles vignes de grenache cultivées traditionnellement qui vont donner, on le croit, un vin très intéressant”. Pour notre part, nous en sommes convaincus.
La bodega Castillo de Monjardín est située à 600 mètres d’altitude.
L’œnologue Victor del Villar, fils du fondateur de la bodega Castillo de Monjardín.
Ces articles pourraient vous plaire
Découvertes
Découvertes