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Montefalco met l’Ombrie dans la lumière
Par Sylvain Patard – Photographs: Gilbert & Gaillard – Courtesy of Antonelli San Marco, le 14 octobre 2024
Certains ne cessent de comparer l’Ombrie à la Toscane, toutes deux ponctuées de collines hérissées de cyprès ! Sur le plan paysager, il y a certes quelques ressemblances. Mais en termes de vin, les différences sont nombreuses et cette province du centre de l’Italie n’a en tout cas rien à envier à sa prestigieuse voisine. C’est ce que nous allons vous démontrer maintenant !
Ici, de nombreuses cités sont restées médiévales, avec murailles et portes d’entrées étroites. Et au premier rang d’entre elles : Montefalco. Ce bourg fortifié juché sur son promontoire domine tout le vignoble éponyme. Il est à la fois un point d’ancrage et aussi un repère, un phare qui éclaire toute la zone de son aura. Montefalco c’est un relief, un climat (les Appenins sont tout proches) et un cépage : le sagrantino. Incomparable lui pour le coup avec n’importe quel plant italien, de Toscane ou d’ailleurs ! Le sagrantino, c’est un monstre de tanins qui sait toujours rester courtois. Seul en scène dans sa version Sagrantino di Montefalco DOCG, la star de la production locale. Il nécessite un minimum de 30 mois de vieillissement dont au moins 12 en fûts. En Montefalco Rosso ou Montefalco Rosso Riserva, il accepte la concurrence avec le sangiovese et même avec le merlot, ce qui donne en général des vins plus souples et plus vite prêts. Nous avons aussi dégusté quelques Passito, version ultime du sagrantino, élaboré à partir de raisins séchés pendant au moins deux mois afin de concentrer les sucres avant de les vinifier.
Et bonne nouvelle, l’Ombrie propose aussi des blancs de belle facture, notamment à partir du Trebbiano Spoletino ou du grechetto. Une production que nous avons aussi testée. Il est temps de nous suivre sur les routes du « cœur vert de l’Italie », le si joli surnom de cette province agricole couverte de vignes et d’oliveraies.
Première étape sous un soleil radieux chez Moretti Omero a Giano dell’ Umbria. Cette maison jeune (2001) compte 16 hectares en production, entièrement en agriculture biologique, y compris son huile d’olive. Sarah Mari, responsable de l’export et de l’accueil, nous a fait déguster une gamme très homogène d’où émerge clairement une grande cuvée de Montefalco Sagrantino : Vignalunga. Racée, intense, au boisé d’une grande finesse. Du haut niveau !
Omero avec son épouse et Sarah Mari, export manager devant la gamme de vins degustés.
Notre deuxième visite nous amène chez les charmantes sœur Cesarini, Alice et Chiara à Gualdo Cattaneo. Pétillantes et pleines d’idées novatrices, elles ont complètement repensé leur cave, pour s’éloigner des manipulations de la chimie de synthèse et laisser place à un travail manuel intense soutenu par la technologie pour ne rien laisser au hasard et tout rendre à la nature. Bien installés sur leur terrasse ombragée, elles nous ont fait déguster une très jolie gamme avec en point d’orgue les Montefalco Rosso et Rosso Riserva et un passito 2016 trés réussi, le tout accompagné d’une très belle série d’accord mets-vins, millimétrée, qui met en scène les cuvées de manière très pragmatique. Je ne résiste pas, pour finir, au plaisir de vous évoquer le Rosso Bastardo, « le seul bâtard que l’on peut ramener à la maison » comme le prétend leur slogan. Cet IGT Umbria à la fois rustique et séduisant affiche une réelle personnalité et sort totalement des sentiers battus.
Chiara et Alice Cesarini dans leurs vignes avec Sylvain Patard.
Tenuta di Saragano, l’élégance et le panache
Pour conclure cette première journée, très jolie visite ponctuée par un excellent dîner dégustation à la Tenuta di Saragano (Gualdo Cattaneo). Riccardo Pongelli-Benedettoni et Ivan Vincareti sont associés sur cette propriété pleine de charme, dont le vignoble comprend 15 hectares perchés à 500 mètres d’altitude. Des vignes bien exposées et ventilées, en haute densité et aux rendements plutôt faibles, une équation gagnante, comme nous avons pu le constater dans nos verres tout au long du repas. Une soirée de grande qualité tant sur le plan des vins que des mets (un grand merci à Madame Pongelli) et aussi de la convivialité ! Remarquable Trebbiano Spoletino et excellents Riserva et Sagrantino.
Riccardo, Guglielmo son fils, Ivan et sa fille, dans les caves de la Tenuta.
Nous débutons cette deuxième journée par un incontournable : Antonelli. Cent quatre-vingt-dix hectares achetés par la famille en 1881, ce qui en fait l'une des caves historiques de la zone DOCG de Montefalco. Converties en 2009 à l'agriculture biologique, les parcelles, argileuses et riches en calcaire, ont des origines géologiques diverses : certaines sont profondes, d'autres plus rocheuses, apportant ainsi des nuances variées aux vins. Les collines entourées de zones boisées bénéficient d'un microclimat idéal pour la vigne (plus de 50 hectares) et l'olivier (dix hectares). Avec une exposition sud et ouest, les cépages indigènes : Grechetto et Trebbiano Spoletino pour les blancs et Sangiovese et Sagrantino en rouge trouvent leur meilleure expression.
Nous avons réalisé une très belle dégustation accompagnée d’un déjeuner en accord avec les vins présentés, commentés par Filippo Antonelli, manager de la maison. Mention spéciale au Trebium 2018 en blanc et au Sagrantino 2009 en magnum au top de sa forme !
Filippo Antonelli nous faisant visiter la cave de la maison.
Aujourd’hui, visite de la très belle maison Lungarotti, pour laquelle j’ai eu voilà quatre ans un véritable coup de cœur. Outre ses remarquables Montefalco Rosso Riserva et Sagrantino, encore une fois largement à la hauteur respectivement dans les millésimes 2020 et 2019, j’ai eu le plaisir de redéguster un Vigna Monticchio 2018 - après une première approche sur Prowein – et comme je l’ai dit à Chiara ce jour-là : « ce n’est que mon opinion, mais pour moi il s’agit du meilleur vin italien du monde ». Je termine là cette « entorse » au règlement qui devrait me voir parler uniquement de Montefalco, pour info il s’agit d’un Torgiano Rosso Riserva DOC et c’est toujours un pur moment de bonheur !
Chiara Lungarotti et Sylvain Patard dans les vignes du domaine, à Turrita, près de Montefalco.
Jeune structure avec un premier vin produit en 2012, la Cantina Ninni est située sur la commune de Spoleto, à une altitude de 350 mètres au-dessus du niveau de la mer. Gianluca Piernera nous y accueille, l’œil malicieux et le regard fier de ce qu’il a accompli et de ses convictions respectées dans ses vignes. Dans son vignoble-jardin (3,5 ha), le sol majoritairement argileux est enherbé naturellement et aucun désherbage n'est réalisé, ni aucune fertilisation ; la vigne est aidée uniquement pendant la phase végétative avec des produits naturels à base d'extrait d'algues et tous les traitements sont exempts de pesticides systémiques. Des vins BIO essentiellement blancs aux profils très purs, excellent Trebbiano Spoletino 2020 et Misluli 2021 en IGT Umbria.
Gianluca Piernera sur la terrasse qui surplombe ses 3,5 hectares de vignes.
Nous voici maintenant à Castel Ritaldi chez Terre di San Felice. Un autre vignoble jardin de 3,5 hectares, œuvre commune de Carlo et Douchanka Mancini. Les blancs sont rafraîchissants et mettent parfaitement en bouche, mais ce sont les rouges qui interpellent. Caressants, pleins, aromatiques, alliant densité et finesse, avec une mention spéciale au Sagrantino 2019, grand millésime, qui offre une touche de gourmandise supplémentaire. Une adresse de choix à découvrir absolument.
Une dégustation sublime avec la Famille Mancini sur leur domaine de Terre di San Felice.
Perticaïa : un lien fort au territoire
Perticaïa nous accueille, à Casale, quasiment aux pieds de Montefalco. Matteo Mazzoni nous fait découvrir la propriété de la Famille Becca, des entrepreneurs expatriés désireux de recréer un lien avec leur région d’origine. Ce lien s'exprime d’ailleurs directement dans ce nom, qui dans la langue ancienne de l'Ombrie signifie « charrue », symbole très révélateur du lien profond entre l’homme et la terre. Des vins d’un excellent niveau, notamment les rouges en versions Montefalco Rosso Riserva 2019 et Sagrantino 2019. Des cuvées structurées, pleines, élégantes, aux tanins sans agressivité.
Matteo Mazzoni et Sylvain Patard après une dégustation de haut-vol à Perticaïa, devant la charrue dont la maison tire son nom.
Nous voici de retour aux pieds des remparts de Montefalco, chez une vieille connaissance : Colle Ciocco. Silvia Spacchetti y prend peu à peu la succession de son papa Eliseo, qui aime encore recevoir les visiteurs et leur faire déguster sa gamme de vins issue des 12 hectares de vignobles dont 3 de vignes blanches situées à Montefalco. Une gamme très homogène dans les deux couleurs, avec une petite préférence pour le Sagrantino 2018, en phase d’épanouissement avec ses arômes de chocolat et de réglisse pleins de charme. Toujours un plaisir de rendre visite à cette famille si attachante.
Silvia et Eliseo Spacchetti en compagnie de Sandra Sirvente après notre dégustation.
Prochaine étape au nord-est, chez Benedetti & Grigi, où nous accueille Matteo Basili, œnologue et vinificateur. Une grosse propriété de 70 hectares en production où l’on se donne les moyens de faire les choses correctement : enherbement entre les rangs et semis de graminées et de légumineuses pour donner naissance à une réelle biodiversité ; aucun herbicide chimique et réduction de l’utilisation de produits chimiques phytopharmaceutiques et d’engrais. Des plantes et des raisins sains doivent inévitablement donner un vin de qualité. A la dégustation, on trouve des blancs toniques et rafraîchissants et des rouges de remarquable qualité, notamment le Sagrantino Dioniso 2017 qui affiche une grande complexité.
Matteo Basili vinifie les 70 hectares en production de Benedetti & Grigi.
Direction plein sud pour ce qui constituera malheureusement la fin de notre périple, à la Tenuta Alzatura, propriété de la Famille Cecchi qui œuvre dans le vin depuis 130 ans et a investi ici à la fin des années 1990. Elle a immédiatement identifié les facteurs de qualité locaux : l'union sacrée entre le cépage Sagrantino et ce territoire de choix, l'expression unique des vins du cru et l'enracinement socioculturel de la viticulture locale. Dans le verre, des blancs de très bon niveau et des rouges hauts de gamme parmi lesquels le Sagrantino 2015 ou le 2010, un cran au-dessus, magnifié par ses arômes tertiaires de sous-bois et de champignon. Une dégustation ponctuée d’une mini-série d’accords mets-vins qui auraient convaincus les plus réticents !
Magnifique dégustation à la Tenuta Alzatura, accueillis par Rosalba Peppe et Alessandro Mariani.
L’invitation au voyage
Il est temps malheureusement de quitter ce territoire enchanteur, qui outre ses vignobles recèle tant de trésors, notamment architecturaux et historiques. Cette province italienne est peu connue - en tout cas des amateurs de vins - et mon conseil le plus avisé est tout simplement de vous dire : allez-y ! Vous pouvez certes consultez nos dégustations (https://www.gilbertgaillard.com/fr), comme vous avez pu le constater, les bons vins sont légion dans ce vignoble de Montefalco. Mais si vous y ajoutez le plaisir incomparable du voyage et de la découverte, vous offrirez à tous vos sens des sensations impossibles à ressentir à distance. Avec en bonus la lumière, le ciel bleu de l’Italie et la bonne humeur légendaire des gens du cru !
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