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La Rioja rayonne sur les marchés export
Par Isabelle Escande - Photographies : Fournies par les domaines, le 02 mai 2023
Avec son vignoble de premier plan, la Rioja a fait grimper haut la qualité et permis aux vins espagnols de briller dans le firmament vinicole international. Mais si aujourd’hui, d’autres concurrents (Priorat, Ribera del Duero, etc.) se bousculent au portillon de la renommée, il est clair que la région n’est pas prête à renoncer à son rang. Loin de rester figée dans la tradition, elle a su dernièrement se réinventer. Ses chiffres à l’export ne font qu’augmenter et la tendance ne semble pas près de s’arrêter. Explications.
Les vignobles de la Bodega Heredad de Baroja sont abrités au nord par la cordillère Cantabrique.
Un vent nouveau souffle sur les vins de la Rioja…. Dernièrement, de plus en plus de bodegas se sont affranchies du style traditionnel de la région pour oser des cuvées plus fraîches, avec un boisé moins marqué et un fruit plus éclatant. Ces vins, qui ont su trouver leurs adeptes un peu partout dans le monde, représentent aujourd’hui une part non négligeable des exportations. Bien sûr, la gamme dite classique est loin d’avoir disparu, et heureusement d’ailleurs, mais la Rioja est devenue plus diverse, offrant une grande variété de visages, dorénavant assumés et recherchés.
Pour mieux comprendre cette réinvention à succès, nous avons rencontré Remi Sanz, le directeur de communication d’Araex Grands Spanish Fine Wines, le plus important groupe espagnol de bodegas indépendantes, qui compte en Rioja plusieurs domaines. “Chacun d'entre eux a sa propre personnalité, son propre style et son propre ADN, et ensemble ils expriment parfaitement la diversité offerte par le terroir unique de la Rioja Alavesa” nous confie Remi. Le groupe Araex est né en 1993 afin de favoriser l’exportation de ses bodegas adhérentes. Trente ans plus tard, il propose au monde la plus grande gamme de vins espagnols premium et ultra premium, dont plusieurs proviennent de la Rioja, où l’exportation est clairement à la hausse ces derniers temps.
“Si nous comparons le poids des exportations il y a 20 ans avec ce que nous avons maintenant, je pense que la tendance est nette. Les vins espagnols de qualité augmentent leur présence à l'étranger chaque année”. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène, et l’un d'entre eux est bien sûr l’effort des bodegas actuelles pour faire connaître leur production et l’exporter dans le monde entier. Les chiffres divergent selon les établissements, mais toutes les bodegas qui font partie du projet Araex témoignent d’une vocation exportatrice. Chez certaines, les ventes à l'étranger représentent environ 35% de la production, alors que chez d’autres, elles atteignent 75% du total des ventes.
Une production pensée pour l’export
Les marchés sont par ailleurs de plus en plus divers. Chez Araex, chaque bodega a ses propres destinations privilégiées, même si au niveau global, la Hollande, l’Allemagne, le Royaume Uni, la Suisse, le Canada et les États-Unis sont les principaux importateurs. D’autres pays, comme le Mexique, les pays nordiques et l’ensemble du continent asiatique sont quant à eux synonymes “de fabuleuses opportunités”, et le groupe entend bien poursuivre son développement sur ces marchés prometteurs.
Les bodegas ont mis en place des outils pour favoriser l’exportation, et ont bien sûr commencé à penser leur production par rapport à ces marchés internationaux. Mais loin de favoriser une production uniforme sans âme, le développement de l’export a au contraire amené les domaines de la Rioja à enrichir leur gamme. Comme nous l’avons vu précédemment, des vignerons se sont mis à élaborer des vins plus fruités et riches en acidité, renouant ainsi avec la tradition des vins produits dans la Rioja il y a cinquante ans. Un retour aux sources fécond donc, et c’est peut-être là l’une des conséquences (positives) de la confrontation aux marchés mondiaux. Soucieux de se distinguer, les vignerons ont réfléchi à leur identité et au caractère unique de leur patrimoine, une richesse qui s’exprime aussi dans la diversité.
Des concurrents au tempranillo
Les travaux menés dernièrement, par certaines bodegas, sur les cépages autochtones témoignent de cette volonté. Les variétés minoritaires suscitent un intérêt plus grand et leur proportion dans les assemblages s’affirme. Dans la Rioja Alavesa, territoire historique du tempranillo, certains cépages qui jusque-là étaient méprisés, font leur apparition, nous explique Remi. C’est le cas du viura (macabeu), du tempranillo blanco, du maturana blanca, présents aujourd’hui dans des grands vins de la région. Sans oublier le graciano, le mazuelo et le garnacha (grenache) qui offrent également un profil unique et très différent. Mais, nous avoue Remi, “le tempranillo restera, selon moi, encore longtemps le cépage le plus populaire de la région, et le plus apprécié des consommateurs internationaux.”
L'art de l'élevage des vins.
Cette détermination à mettre en avant le patrimoine a aussi bien sûr amené les vignerons à s’intéresser davantage à la notion de terroir. Alors que pendant longtemps l’origine parcellaire d’un vin n’était pas une priorité dans la Rioja, mais bien plutôt l’idée de style, elle est devenue de nos jours une question essentielle, du moins pour certains vignerons, comme chez Araex, fervents défenseurs de la différenciation des zones viticoles. “On ne peut pas comparer un Rioja de Labastide ou de Samaniego (cœur de la Rioja Alavesa) avec, par exemple, un vin de Tudelilla (Rioja Oriental). Ce sont deux univers complètement différents, avec des profils très divers” précise Remi. Dans les bodegas comme Luis Cañas ou Amaren et d’autres du groupe, l’objectif est clair : “mettre en bouteille le terroir d'une parcelle spécifique, avec des vinifications séparées et des volumes contrôlés et spécifiques. C’est de cette manière que nous pourrons offrir à l’amateur de vins mille visions différentes d'une même appellation”.
À la Bodega Amaren, les vignes sont cultivées à la main.
Mais parvenir au consommateur, c’est également une affaire de connaissances et d’enseignement. Et là aussi, le groupe Araex a su innover, avec la création, il y a dix ans du Spanish Fine Wines Institute. “C’est l’un des projets dont nous sommes les plus fiers”. Une plateforme de formation grâce à laquelle plus de 3 000 professionnels ont pu accroître leur savoir sur le vin ibérique. “Mettre un outil comme celui-ci à la disposition des professionnels du secteur nous rend fiers et nous encourage à continuer à travailler à la compréhension des vins espagnols de qualité hors de nos frontières”.
Commençons, quant à nous, par découvrir cinq bodegas de la Rioja qui montrent bien la riche diversité de ce vignoble d’exception.
Fidel Fernández est le vigneron de la Bodega Luis Cañas depuis plus de trente ans.
Bodegas Luis Cañas, une histoire de famille
Tout a commencé il y a plus d’un siècle, lorsque la famille Luis Cañas élaborait des vins traditionnels à l’époque, des cuvées jeunes réalisées par macération carbonique (grappes entières). Depuis, quatre générations se sont succédé à la tête de cette bodega qui compte aujourd’hui plus de 1000 petites parcelles en plein cœur de la Rioja Alavesa. Rappelons que le vignoble de Rioja est divisé en trois sous-zones viticoles, Rioja Alta, Rioja Alavesa, et Rioja Oriental.
Protégées par la cordillère Cantabrique, les vignes de la bodega Luis Cañas, pour la plupart des vieilles vignes plantées en terrasses sur un sol argilo-calcaire peu fertile, jouissent d’un microclimat et d’une exposition favorable à leur épanouissement. Cultivées sans pesticide ni engrais chimiques, elles sont travaillées à la main, et à ce travail d’orfèvre s’ajoute un élevage soigné.
Luis Cañas (au milieu) avec son fils Juan Luis Cañas (à droite) et son petit-fils Jon (à gauche).
Fidèle à son principe, “un vin, une personnalité”, la bodega a lancé une gamme de vins d’auteurs issus, pour chacun d’entre eux, d’une seule parcelle singulière, comme son Camino Leza, élaboré à partir de vignes de plus de 50 ans situées à plus de 500 mètres d’altitude. Autre particularité : son assemblage, puisque les ceps de tempranillo, qui constituent l’encépagement majoritaire de la parcelle, ont été plantés, comme cela se faisait à l’époque, aux côtés de quelques pieds de cépages… blancs, comme le viura et la malvasía riojana. Des variétés qui se retrouvent ensuite dans le vin !
Devenue une référence dans la DOCa Rioja, la bodega Luis Cañas est parvenue à séduire au-delà des frontières espagnoles, puisqu’elle est aujourd’hui présente sur trois continents et consacre 35% environ de sa production à l’international.
Bodegas Amaren, l’art de la gratitude
Difficile de parler de Luis Cañas sans évoquer Amaren dont le propriétaire n’est rien d’autre que le fils de Luis Cañas, Juan Luis Cañas. Réalisé en hommage à sa mère, Amaren (qui signifie en basque “de la mère”) a d’abord été un vin de la bodega familiale avant de devenir un projet personnel à part entière.
Amaren est situé à Samaniego, dans la région de Rioja Alavesa.
Un mot résume la philosophie de la maison : le respect, à la mère d’abord, mais aussi à la terre, aux 65 hectares de vignes qui entourent cette bodega de la Rioja Alavesa. Disposées en petites parcelles, les vignes dont certaines sont âgées de 110 ans, ne sont pas faciles d’accès. Tout se fait bien sûr à la main, et dans certains cas à l’aide de traction animale, toujours dans le but de travailler la terre le plus naturellement possible.
Le respect du terroir passe aussi par la volonté de préserver les différents cépages qui traditionnellement ont été plantés dans le vignoble. Le tempranillo bien sûr (majoritaire), mais aussi les ceps de graciano, de garnacha, de viura, de malvasía riojana ou encore de bobal. Leur présence n’est pas un hasard selon le vigneron, c’est pourquoi ils doivent être préservés et représentés dans les assemblages.
La maturation en fûts de chêne est également une étape du processus qui est traitée avec le plus grand soin à la Bodega Amaren.
Dans la vinification, la tradition est également de mise, puisque Juan Luis a choisi le béton pour l’élaboration de ses vins, afin de mettre en valeur le fruit. Un retour aux origines, puisque c’est ainsi que s’élaborait le vin du temps de sa mère…
Manuel Quintano, l’héritage d’une famille pionnière
Parti à Bordeaux pour se former sur les vins de la région qui, à l’époque, se vendent bien à l’export, grâce à leur capacité de garde, Manuel Quintano, et son frère Diego, sont les premiers, au dix-huitième siècle, à vouloir introduire les méthodes novatrices bordelaises en Rioja. Manuel rédige même un livre, Receta pa hazer el Bino de Bordeus, lors de son retour en Espagne pour y résumer son apprentissage. La famille Quintano se met ensuite à élaborer des vins selon ces principes innovants, avec notamment l’introduction de l’élevage en barriques, des soutirages périodiques, ou encore du sulfitage, malheureusement l’hostilité des autorités et de ses pairs l’empêchent de poursuivre ses découvertes et de les divulguer.
Javier Cerecada, vigneron à la Bodega Manuel Quintano.
Située à Labastide, village natal des fameux précurseurs, la bodega Manuel Quintano se veut la digne héritière des deux frères. L’élevage des vins y est mis à l’honneur, mais pas seulement, car tout est placé sous le signe de la qualité : un choix minutieux des parcelles au départ, une viticulture respectueuse de l’environnement ou encore une vinification la plus naturelle possible (foulage et remontage manuels, absence de levures commerciales, etc.).
La bodega Manuel Quintano est le projet premium de l’Unión de cosecheros de Labastida, une coopérative fondée dans les années 1960, lorsque 175 viticulteurs décident d’unir leur force pour commercialiser leurs vins. Aujourd’hui, elle exporte environ 70% de sa production à l’étranger, une manière de faire une réalité des rêves inachevés du premier viticulteur de la Rioja moderne, Manuel Quintano.
Les meilleurs vignobles de la coopérative ont été sélectionnés dans le cadre du projet de Manuel Quintano.
Bodegas Heredad de Baroja, savoir-faire et tradition
Le nom de la bodega lui a été donné en hommage au célèbre écrivain basque Pio Baroja (1872-1956). Elle est née en 1964 dans les hauteurs de la Rioja Alavesa. Installée dans le petit village d’Elvillar de Alava, la famille Meruelo n’avait alors qu’un seul but : transformer ses baies de tempranillo en élégantes expressions vinicoles dans le style classique de la Rioja.
Le domaine Heredad de Baroja.
Situées à plus de 600 mètres d’altitude, les vignes âgées de plus de quarante ans, offrent un très bon équilibre entre maturité et acidité, grâce aux grandes différences de température entre le jour et la nuit. Sélectionnés avec soin, les raisins sont ensuite vinifiés avec le même souci d’excellence. La bodega s’est dotée d’équipements modernes (cuves en acier inoxydable, contrôle de température, etc.) pour garantir la qualité de sa production, des vins nobles et de caractère, réalisés avec un désir non dissimulé de défier le temps.
Lar de Paula, un projet qui triomphe à l’international
La bodega est née en 2005 de la volonté de Fernando Meruelo d’élaborer des vins d’un style plus moderne que ceux de la maison mère, la bodega Heredad de Baroja, tout en profitant des canaux de distribution internationaux déjà bien rodés de cette dernière. Pour concrétiser son projet, baptisé ainsi en l’honneur de sa fille Paula, il s’allie avec son ami Félix Revuelta, entrepreneur aguerri et passionné de vins. Il est rejoint par sa seconde fille, Patricia, qui gère aujourd’hui le département commercial.
Les vignobles de la Bodega Lar de Paula sont situés à plus de 600 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Dès le début, l’idée de créer des vins plus atypiques est clairement assumée, même si une gamme plus traditionnelle est aussi proposée. Cépages minoritaires, très vieilles vignes, éditions limitées…La bodega ose s’éloigner des sentiers battus et prône le droit d’innover. Même l’étiquette se transforme, affichant fièrement un design créatif. Ce désir d’ouverture s’applique aussi bien sûr aux marchés visés par la bodega, bien décidée à ne pas se limiter à un cercle fermé d’initiés. L’idée est de toucher un public nouveau à l’intérieur, comme à l’extérieur des frontières.
Patricia Meruelo dirige le département des ventes de la Bodega Lar de Paula.
Le projet s’est avéré fructueux vu les multiples prix et distinctions reçus par la bodega dans le monde entier, parmi lesquels on peut citer une médaille d’or décernée par le Gilbert & Gaillard International Challenge 2022 pour un rouge Reserva 2015, noté 92/100. Une réussite qui se traduit également par le poids toujours plus important des exportations au sein de l’entreprise familiale. Les vins plaisent à l’export. Et c’est aussi parce que la qualité est toujours au rendez-vous : vendanges manuelles, tri minutieux, vinification peu invasive, élevage soigné, etc. Innovation rime avec excellence et savoir-faire.
Fernando Meruelo, ses deux filles Patricia et Paula, et l'oenologue Toni Meruelo.
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