Découvertes

Vins partiellement ou totalement désalcoolisés : un phénomène en pleine croissance ?

Il y a trois ans nous nous étions intéressés aux vins partiellement ou totalement désalcoolisés. Depuis, le marché a cru et des Indications Géographiques sont même apparues. Mais quels sont vraiment les marchés pour ce type de produits ? Nous avons interrogé un échantillonnage d’acteurs Européens.

Bodegas ARÚSPIDE :, vins à faibles degrés pour les jeunes en Espagne, Sangria dans le reste du monde

ARÚSPIDE existe depuis 1999, à Ciudad Real, dans le sud de Castilla-La Mancha en Espagne. Aujourd’hui, la production y atteint 490 000 litres, dont 70% sont vendus à l’export. Son Directeur Francisco Alcantára, explique que la Bodegas est respectueuse des traditions viti-vinicoles, tout en étant ouverte à l’innovation : des moûts partiellement fermentés, des macérations carboniques, ou des produits sans sulfites.

 

Francisco Alcantára Le Directeur et Gérant d’ARÚSPIDE

Francisco Alcantára Le Directeur et Gérant d’ARÚSPIDE.

 

 

ARÚSPIDE a été un des pionniers en Espagne à s’intéresser aux boissons à faible alcool, dès les années 2000. En bloquant la fermentation alcoolique à -4°C, ils obtiennent une boisson titrant 6% d’alcool et dont la sucrosité provient uniquement du raisin. Elle est commercialisée sous la marque LANDÓ qui se décline en rouge et en blanc.

 

Cette marque se vend essentiellement en Espagne. Elle s’adresse surtout aux jeunes consommateurs, qui découvrent le monde du vin. L’aromatique, fruits rouges et noirs ou bien agrumes, pommes/poires, herbes fraiches, séduit en effet ceux qui découvrent le monde du vin. D’ailleurs, le packaging a été élaboré pour bien coller à cette cible. Mais d’expérience, Francisco a remarqué qu’avec le temps, ces consommateurs se tourneront ensuite progressivement vers des vins plus secs.

 

A l’international, c’est surtout les Sangrias qui sont ce qu’il y a de plus demandé ; c’est une spécialité espagnole ! Là aussi, ARÚSPIDE part d’un moût partiellement fermenté, et donc les sucres restent naturels. Mais la demande pour des vins à faible alcool va aussi croissante, pour ARÚSPIDE essentiellement sur le marché Japonais où les importateurs demandent des produits et marques customisés.

 

Bordeaux Families : pari réussi !

Pour ce regroupement de 2 caves coopératives, 300 familles, de l’Entre-deux-mers Bordelais, le sans alcool est un pari réfléchi il y a 4 ans, et réussi depuis 1 an. Une façon de réagir à la déconsommation de Bordeaux classiques et de répondre à de nouvelles attentes. Anna Sophie Sobeki, la responsable Marketing et Communication explique qu’une machine a été importée d’Afrique du Sud. En distillant sous vide partiel pour ne pas dépasser 35-40 °C et en gardant 0,5% d’alcool, on garde des arômes. La qualité est là.

 

Anna Sophie Sobecki, responsable Marketing et Communication de Bordeaux Families

Anna Sophie Sobecki, responsable Marketing et Communication de Bordeaux Families.

 

 

Les clients ? Des gens avec connaissance et culture du vin. « Il faut arrêter de penser que Millenium et la Gen Z ont besoin de l’alcool ! » assène Anna Sophie. D’ailleurs 60% de leurs consommateurs de ce type de produits sont des Flexidrinkers. Le packaging va s’adapter. On peut avoir une bouteille normale, éviter les noms bizarres et les couleurs flashy. D’ailleurs s’il y a un marché qui veut du rassurant, c’est pour eux le marché asiatique ou bien les filières de distribution caviste. Mais sinon, en Europe, on peut se permettre un jeu de mot, une capsule à vis etc.

 

François LASPORTES

François LASPORTES le responsable de la machine à désalcoliser de Bordeaux Families.

 

Pays bas et Pays nordiques, avec moins d’apriori, restent les gros demandeurs. Les USA apprécient aussi. C’est un peu plus difficile pour le Sud de l’Europe. En France, il est devenu possible de faire un « Vin de France » désalcoolisé à 0,5%, dès lors qu’on n’y ajoute aucun arôme, et il existe une IGP Atlantique où l’on peut descendre à 9%.

 

10% des volumes de Bordeaux families passent maintenant par la machine; elle tourne à fond !

 

Vin de France sans alcool de Bordeaux Families

Vin de France sans alcool de Bordeaux Families.

 

Domaines Pierre Chavin : toujours en progression

Depuis la dernière fois que nous avons interrogé Mathile Boulachin il y a 3 ans, les volumes de la société de négoce à Béziers Pierre Chavin sont passés à 2,5 M de bouteilles par an. Et le sans alcool en représente la moitié. La distribution s’effectue dans 65 pays, La boutique en ligne réalise 0,5M€ sur les 15M€ de CA de l’entreprise.

 

Mathilde Boulachin dans les vignes

Mathilde Boulachin dans les vignes.

 

 

93% sont réalisés à l’export. Mais le marché français, qui était en retard sur le sans alcool, connait maintenant une croissance à deux chiffres. Les produits sont disponibles en restauration via France Boisson, à la Grande Epicerie de Paris, dans quelques restaurants étoilés, les Club méditerranée ou sur les bateaux croisières du Ponant.

 

Là aussi la typologie de consommateur en France est de plus en plus le flexibuveur ou bien les anciens buveurs. On trouve là des actifs urbains, des seniors, des CSP+ souhaitant une vie sociale mais avec contrôle etc. Plus on est dans une culture du vin, indique Mathilde, et plus il faut proposer un profil vineux.

 

A l’occasion de WineParis, Pierre Chavin va lancer son effervescent blanc de blancs en Vin de France, dosé en brut. Cette codification, sérieuse, est reconnue en France comme à l’étranger. « Sur le marché de la bière, le sans alcool occupe une part de marché encore bien plus importante, alors le vin désalcoolisé a toujours une belle marge de progression » se réjouit Mathilde. 

 

Bulles de vanille : Une épice dans un vin peu alcoolisé !

Hervé Ruelle et Christine Lucas sont la 4eme génération de viticulteurs dans la vallée de la Marne en Champagne avec 3,3ha de vignes. Il y a 6 ans, de retour de vacances aux Antilles, ils rapportent 300 gousses de vanille. Hervé s’amuse alors à mettre une gousse de vanille dans 11 bouteilles de son champagne. Après 5-6 mois de macération, ils dégustent ça avec un ami, c’est fameux !

 

Hervé Ruelle et Christine Lucas, Bulles de vanille

Hervé Ruelle et Christine Lucas, Bulles de vanille.

 

 

Démarre alors l’aventure « Bulles de vanille ». Bien sur l’appellation champagne ne permet pas de commercialiser un tel produit. Ça tombe bien, car Hervé cherche à commercialiser une boisson moins forte en alcool. La cible est une clientèle de 20-35 ans, qui recherche du fruité et du gourmand. La vanille, c’est la pâtisserie, qui n’aime pas ça ?

 

Avec du muscat à petits grains et un peu de clairette, Hervé fait donc fermenter selon la méthode ancestrale – sans levures chimiques. La fermentation s’arrête par filtrage des levures avant la fin, puis met en bouteille avec une gousse. Il reste du sucre, de la gourmandise. Les bouteilles sont commercialisées sur internet, ou dans des salons, avec un public français ou belge. La cible devrait pouvoir s’étendre aux différents pays de l’équateur, ceux qui apprécient la vanille. D’ailleurs, après dégustation, Hervé indique que la gousse est réutilisable. Il produit également une version rosé avec un petit peu de gamay. La production, 2000 bouteilles annuelles, reste modeste, mais Hervé indique qu’il peut monter en puissance s’il trouve son marché.

 

Univers Drink : toute la gamme du sans alcool

En Belgique, Jordan Daniels est le créateur et DG d’Univers Drink. Il a débuté en 2009 en créant la marque Night Orient, un nom évoquant un univers festif, et commercialise maintenant 2M de bouteilles par an, vendues dans 49 pays. Il a remarqué qu’il y avait beaucoup de demande pour une réduction de l’alcool, mais peu de propositions. Jordan a donc commencé avec des bulles, puis des vins désalcoolisés, maintenant des mocktails en premix et des spiritueux sans alcool. Il est, explique-t-il, le seul à proposer toute la gamme des boissons sans alcool (il propose aussi des bières).

 

Jordan Daniels fondateur d'Univers Drinks

Jordan Daniels fondateur d'Univers Drinks.

 

 

Pour le vin, il source des raisins d’Espagne, de France…  La désalcoolisation est faite à basse température et est totale, 0%.  L’ajout d’arômes dès lors fait qu’il ne peut utiliser le mot « vin ». L’objectif est la qualité à un prix très accessible. Ses produits cumulent une vingtaine de récompenses.

 

Jordan a démarré sur le marché Belge. Il constate que le marché du sans alcool y a beaucoup changé. Avant c’était binaire, alcool ou jamais d’alcool. Maintenant, il n’y a plus d’absolu. Chez les jeunes surtout, pour de multiples raisons, je peux commencer par un sans alcool. « L’alcool, c’est plus comme avant » indique Jordan. La croissance annuelle est de +20 ou +30%. L’export représente 60%, avec surtout les pays nordiques, les pays de l’Est, le Canada et le Japon. La distribution se fait en grande surface ;: Delhaize, Carrefour…

 

Loire propriétés : offre externalisée pour l’instant

C’est Audrey Clisson, la responsable marketing, qui explique la stratégie now-low de ce groupement de caves coopératives qui commercialise environ 280 000 hl de vin. La 1ère tentative a eu lieu il y a 3 ans avec des rosés cabernets d’Anjou ou rosé d’Anjou en IGP autour de 9 à 10%. Ils étaient obtenus avec une récolte précoce et aucune chaptalisation. Le positionnement bas degré a bien été indiqué sur l’étiquette mais cela n’a pas vraiment fonctionné. Peut-être parce qu’il n’y avait pas assez d’écart avec les vins classiques ?

 

Audrey Clisson responsable marketing et Com de Loire propriétés

Audrey Clisson responsable marketing et Com de Loire propriétés.

 

 

Ils commercialisent donc un sans alcool à 0% - c’était dans le brief – avec une marque forte (les Anges) qui compte à peu près 15 000 bouteilles annuelles ; c’est un début. La marque se décline en un blanc tranquille, base de Sauvignon blanc, et un effervescent. Ces vins sont légèrement aromatisés et édulcorés, car la tentative en Vin de France à 0,5% ne leur a pas vraiment plu à la dégustation. Les marchés attendus sont les USA, le Canada, la Scandinavie, le Royaume Uni et l’Allemagne. Le positionnement, qualitatif autour de 8 à 9 euros, ne cible pas la Grande Distribution qui recherche plutôt 3 à 4 euros. L’aspect Français, vendeur - tout est produit en France – est bien mis en avant avec un drapeau sur l’étiquette.

 

Pour l’instant cette production provient du négoce, avec une desalcoolisation réalisée par un prestataire. Les coopérants, eux, font des AOC. Certes, il existe des IGP autour de 6%, mais ça n’est pas encore le cas pour l’IGP Val de Loire. Un jour viendra peut-être où les coopérants produiront des vins désalcoolisés ?

 

Céline Tremblay directrice commerciale de Loire propriétés export fait  déguster

Céline Tremblay directrice commerciale de Loire propriétés export fait  déguster.

 

 

Cantine Sgarzi Luigi

C’est Francesca SGarzi qui présente la société éponyme. Crée dans les années 1930 près de Bologne, l’entreprise est restée familiale après 4 générations, et toute la famille y travaille aujourd’hui.

 

Francesca Sgarzi

Francesca Sgarzi.

 

Le sans alcool a démarré pour eux en 2003. Aujourd’hui il représente ½ M de bouteilles annuelles sur un total de 18 M. La progression est continuelle, chaque mois. La solution adoptée consiste en des vins totalement désalcoolisés : blanc, rouge, spritz, spritz gingembre etc. Du coup, les boissons sont aromatisées avec des extraits naturels, et édulcorées avec du moût de raisin. Cantine Sgarzi s’attend à ce que le marché des produits à faible alcool augmente de 20% annuellement, tandis que le zéro alcool pourrait lui augmenter de 8%.

 

Les marchés sont en Italie et beaucoup à l’export : Enormément aux USA, en Corée du Sud etc… La Russie est également de plus en plus intéressée. L’origine Italienne, vendeuse elle aussi, est mise en avant, mais peut-être pas toujours assez, indique Francesca. Nombreux sont ceux qui veulent du sans alcool. Cela peut être les conducteurs, pour des raisons religieuses… Il y a ceux qui veulent boire sainement et qui sont aussi en recherche de produits Vegan, ce à quoi Cantine Sgarzi veille en proposant du sans alcool Vegan. Et enfin, il y a aussi certains asiatiques qui n’ont pas envie de rougir après un verre de vin qui serait toxique pour eux, tout en se faisant plaisir !

 

On comprend donc que, loin d’un effet de mode, le faiblement alcoolisé et le sans alcool ont de beaux jours devant eux. C’est le résultat d’un double phénomène : un nouveau mode de consommation et… le changement climatique. Alors que les raisins sur-muris deviennent de plus en plus fréquents dans les vignobles historiques, avec des vins présentant maintenant des degrés d’alcool bien souvent autour de 14-15%, ces options sont les bienvenues, notamment auprès des jeunes générations dont les codes de consommation ont beaucoup évolué.