Découvertes

Vin sans alcool ou faiblement alcoolisé : un vrai marché !

L’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin inclus dans la définition du vin un degré minimum de 8,5%, avec des exceptions régionales à 7%. Les réglementations de nombreux pays s’en inspirent, obligeant à trouver une autre terminologie pour ces boissons très tendance. Nous avons interrogé des producteurs en France, en Italie et en Afrique du Sud.

On le sait, dans l’élaboration d’un vin classique, lors de la fermentation, c’est le sucre du jus de raisin qui est transformé en alcool et en arômes. Pour cette production, certains choisissent donc des cépages ne contenant pas trop de sucre. De même une vigne produisant beaucoup de raisins, voire une vigne irriguée, évite les concentrations. On peut aussi vendanger avant que les raisins ne soient trop sucrés. Enfin, certaines levures à faible rendement de fermentation peuvent être sélectionnées.

 

Quelles techniques de production sont employées ?

Ensuite, une fois la fermentation effectuée, trois approches coexistent :

La distillation à basse température sous vide (stripping) : Sous pression atmosphérique, l’éthanol est évaporé autour de 78 °C, mais on perd alors les composés aromatiques. Par contre, en abaissant la pression suffisamment, on peut obtenir une évaporation autour de 35-50 °C, moins destructrice. Ceci permet de désalcooliser qualitativement, et presque totalement.

Une autre approche est l’osmose inverse (reverse osmosis). C’est une séparation avec des membranes. C’est la technique la moins onéreuse. Peu encombrante, elle peut tenir dans un camion qui se rend au chai. Mais elle ne permet qu’une désalcoolisation partielle. C’est généralement ce qui est pratiqué pour retirer 1 à 2%.

Enfin, il y a la colonne à cônes rotatifs (Spinning Cone Column). La force centrifuge permet d’obtenir une fine couche de vin, qui est distillée à froid et en vide partiel, comme dans la première méthode. Elle aussi peut avoir lieu dans un camion. Enfin, elle peut désalcooliser presque totalement.

Et puis il y a aussi des techniques consistant à travailler le jus de raisin avant fermentation. Il faut alors retirer une partie du sucre, qui peut être remplacé par des édulcorants et on apporte généralement arômes et tanins par des macérations, ce qui permet d’obtenir des boissons sans aucun alcool.

 

Pierre Chavin, réponse à un nouveau marché

Après une carrière en communication et marketing du vin, Mathilde Boulachin créé en 2010 la société de négoce Pierre Chavin, à Béziers. L’approche est d’allier une écoute attentive des consommateurs avec l’innovation, sans peur de casser les codes traditionnels. C’est ainsi que le « sans alcool » ou le « peu alcoolisé » s’est rapidement imposé. Sur les 1,500,000 bouteilles commercialisées annuellement, il représente maintenant près de 40% de l’activité.

HD Mathilde Boulachin, fondatrice des Domaines Pierre Chavin

La clientèle est multiple, explique Mathilde. Les femmes - et pas seulement au moment de la maternité - sont clairement ciblées. La perception d’une boisson saine, peu calorifique est ainsi mise en avant avec des cuvées nommées « Zéra », « Silhouet’ »… Les jeunes urbains représentent une autre catégorie. Actifs et souvent cosmopolites, ils refusent l’alcool en semaine, mais ne veulent pas se priver d’un apéritif du soir. Et il y a des sous-segments comme les sportifs, pour qui l’alcool pourrait affecter les performances. Les pays nordiques où la conduite de véhicule prohibe totalement la consommation d’alcool sont une autre évidence. Grâce à la vente en ligne de sa gamme, en parallèle des canaux de distribution traditionnels, Mathilde affine la compréhension de sa clientèle et adapte son offre. Elle est aussi attentive aux mots clés utilisés dans les moteurs de recherche. N’oublions pas par exemple les seniors prenant un traitement médicamenteux interdisant tout alcool, ou bien les pots d’entreprise où la responsabilité légale en décourage la consommation. Les occasions d’un « sans alcool » ou « léger en alcool » sont nombreuses, et croissantes.

 

Mais par rapport au vin ?

Pour ce qui est du goût, Mathilde ne cherche pas une dégustation comparative avec le vin. Retirer délibérément un pilier de l’équilibre acide-alcool-sucre de celui-ci, modifie obligatoirement la donne. NDLR : La forte acidité du vin – un pH allant de 3 à 4 – deviendrait en effet déplaisante. Elle est généralement contrebalancée par une teneur en sucre un peu plus importante, tout en baissant le nombre de calories total. « Mais si on fait de la qualité, cela n’empêche pas le plaisir de la dégustation », indique-t-elle. « Nous voulons être aimés pour ce que nous sommes, et fidéliser notre clientèle ».

Pour autant, la société se positionne clairement dans l’univers du vin. Si les cépages utilisés ne sont pas assemblés ; il faut en sélectionner qui soient très aromatiques, ils sont bien lisibles sur les étiquettes. De même les flacons partagent l’apparence de ceux du vin et il en faut une lecture attentive pour les différencier.  Enfin, le nom même de « Chavin » est porteur d’une promesse pas totalement subliminale. « C’est justement parce-que la consommation du vin est sociale, qu’il faut donner au consommateur la possibilité de communier avec ou comme les autres, sans s’en distinguer », explique Mathilde. Ça n’est pas un hasard si le best-seller est un effervescent !

Sur la contre étiquette, les produits sans aucun alcool n’entrant pas dans la catégorie vin, ne peuvent profiter de l’exemption du tableau nutritionnel dont jouit le vin. Il y figure donc. De même elles affichent une DLUO de cinq ans, et la notion d’élevage en bouteille avec apogée de consommation n’est pas pertinente : les produits n’évoluent pas. Mais ce qui gêne la dirigeante, c’est la distorsion de concurrence. Sur certains de ses marchés - 80% part à l’export - notamment la vente et la communication en ligne, des concurrents peuvent afficher « vin désalcoolisé ». Alors qu’elle ne peut employer le mot « vin ».

 

Chavin, responsabilité sociale mais aussi environnementale

PC1 Opia, la marque de Pierre Chavin, cible clairement les femmes enceintes.

Attentif aux préoccupations de sa clientèle, la société a aussi développé une gamme de vins biologiques avec des cuvées aux noms évocateurs tels que « Greenia ». Ces cuvées mettent en avant l’aspect sain en ne contenant « aucun sulfites ajoutés ». La marque Opia, développée pour Monoprix en France, insiste sur le fait que le vin biologique ne contient « pas de résidus de pesticides ». De plus, ces vins ne comprenant aucun produit animal, peuvent afficher un logo Vegan. La société communique également sur l’écologie et l’économie durable. Japon, USA, Canada, ou Europe du Nord y sont en effet particulièrement attentifs. Les bouteilles à destination de la Suède et de la Chine, sont ainsi exportées en train au meilleur bilan carbone que l’avion.

 

IRIS VIGNETI : Des bulles italiennes sans alcool

IV1 Vigneron Loris Casonato en DOC Prosecco

Situé au cœur de la zone DOC Prosecco, Loris Casonato exploite quelque 20 hectares et a également des contrats avec quelques vignobles environnants. Le vigneron produit le célèbre vin mousseux vénitien, mais il y a une dizaine d'années, il a également commencé à produire une boisson pétillante sans alcool qui provient de ses propres vignobles/raisins, donnant ainsi naissance à deux étiquettes différentes : BELLA et ZEROZERO !

Le volume a augmenté progressivement et aujourd'hui la gamme, qui comprend quatre cuvées, représente 300.000 bouteilles par an.  Pour la boisson pétillante blanche, on utilise le cépage Glera, auquel on ajoute le Raboso pour la boisson pétillante Rosè. Les raisins sont volontairement vendangés tôt, pour éviter l'accumulation de sucre. Mais ici, pour être absolument sans alcool, Loris ne fermente pas. Contrairement aux autres produits sans alcool qui sont désalcoolisés, dans notre boisson pétillante, le moût est maintenu au frais pour éviter qu'il ne fermente, et des macérations d'herbes sont pratiquées. La recette reste secrète, mais Loris insiste sur le fait qu'elle "a demandé beaucoup d'efforts mais aussi de la passion".

Ensuite, la boisson est gazéifiée à environ 4,8 bars, l'équivalent de la pression que l'on trouve dans un Prosecco. Quant au sucre, il commercialise deux gammes : autour de 100 g/l, et autour de 60 g/l pour ceux qui font attention. A 60 g/l, elle est deux fois moins sucrée qu'un soda classique. Pour Loris, c'est un nouveau type de boisson qui respecte l'héritage du vin et du raisin, mais qui est très différent du vin. C'est un marché de niche établi, limité mais qui va rester. " C'est toujours mieux qu'un Cola ! " sourit l'espiègle vigneron.

 

Darling cellars : L’Afrique du Sud dans la course

DC1 Pieter-Niel Rossouw, vigneron en chef à Darling Cellars

C’est Pieter-Niel Rossouw qui est en charge de la viticulture et des vinifications : 5 Millions de litres par an, mis en bouteille au domaine. Celui-ci est connu pour sa production de vin de Syrah et de Sauvignon blanc.

Une expérience dans un autre domaine l’a familiarisé avec la désalcoolisation des vins par colonne à cônes rotatifs. Il y a expérimenté l’idée et s’est lancé dans la production depuis 2-3 ans. Un rouge, un blanc et un rosé sont ainsi proposés. C’est - insiste-t-il - la même qualité de raisins que pour nos vins : des vignes généralement taillées en gobelets et sans irrigation. Après fermentation, les vins sont quasiment totalement désalcoolisés par un prestataire externe. Les vins contiennent de 20 à 30 grammes de sucre par litre, pour compenser en bouche le corps qu’apportait l’alcool qui joue un peu un rôle de « colle ». La production atteint 100 000 l/an et est en expansion. Pour l’instant le marché est essentiellement local. De nouvelles lois interdisant toute consommation d’alcool avant de prendre le volant concourent d’ailleurs à cette croissance. Ici la réglementation autorise le terme de « vin désalcoolisé ». Mais l’export se dessine également, et Darling Cellars travaille des marchés comme le Canada, le Royaume Uni, la Scandinavie…

 

Concurrencer les soft-drinks ?

Ces nouveaux produits qui ciblaient essentiellement les pays non-producteurs de vin progressent constamment. Y aura-t-il un transfert de parts de marché et une accélération de la baisse de consommation du vin constatée sur de nombreux marchés ? Ou bien ces boissons innovantes seront-elle plutôt des concurrentes frontales des soft-drinks industriels ultra sucrés ? Ce ne serait pas pour nous déplaire ! A suivre.