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L’Espagne confirme son appétit à l’export
Par Isabelle Escande - Photographs: courtesy of the estates, le 05 août 2024
Une révolution silencieuse se joue depuis quelques années dans le monde vitivinicole espagnol. Championne dans la vente en vrac (elle est le premier exportateur mondial de vin en volume), l’Espagne cherche aujourd’hui à améliorer son image et à promouvoir sa production de qualité à l’international, afin de gagner en valeur ajoutée. Rencontre avec quatre bodegas espagnoles qui nous expliquent comment elles ont relevé le défi.
Les chiffres sont révélateurs. De ses 931 562 hectares de vignobles (rien de moins que la plus grande surface viticole du monde), 15% sont aujourd’hui cultivés en bio, ce qui positionne le pays en tête du classement mondial. La filière évolue et elle semble bien décidée à le montrer. Car si l’Espagne compte quelques appellations, comme la Rioja ou le Priorat, très réputées à l’international, elle peine encore à s’imposer comme référence en matière de qualité. D’autres pays voisins ont des discours mieux rodés.
Mais les temps changent. Depuis les années 2000, les bodegas espagnoles exportatrices ont triplé en nombre. Même si le secteur reste encore très concentré, avec de grosses entreprises qui réalisent une bonne part du chiffre d’affaires export, les bodegas tentées par le jeu de l’international, et surtout tournées vers un export de qualité, sont toujours plus nombreuses et efficaces. Car réussir à percer sur les marchés internationaux, ultra concurrentiels, n’est pas chose aisée, sans un élément de différenciation. Heureusement, l’Espagne n’est pas en reste, avec ses nombreuses appellations, ses cépages autochtones et ses multiples terroirs d’exception. Ses vins, qui peuvent se targuer d’un excellent rapport qualité-prix, disposent là d’un argument de poids.
Dernièrement, un autre paramètre est entré dans la danse : le marketing. Comme le souligne Esther Muñoz Iniesta, de la bodega Barahonda, son rôle est devenu un élément incontournable, afin de “trouver sa place dans un marché en constante évolution”, ce qui a amené les bodegas exportatrices à revoir leur stratégie commerciale. Aujourd’hui, certaines excellent dans le domaine, et montrent ainsi la formidable capacité d’adaptation du secteur vitivinicole espagnol.
Barahonda, le charme d’une petite appellation
Yecla, où se trouve la bodega Barahonda, est une appellation de seulement 6500 hectares de vignobles, dans la région de Murcie, qui commence ces dernières années à faire parler d’elle. Réduite en taille, elle ne manque cependant pas de caractère, car elle présente plusieurs particularités qui rendent ses vins uniques. Son climat, d’abord, avec ses grandes variations thermiques (des étés torrides et des hivers où les températures peuvent descendre jusqu’à -6º), ou encore son cépage autochtone, le monastrell, qui domine 85% du vignoble, et qui trouve, dans le contour méditerranéen, son terrain de prédilection. Une autre spécificité de la région provient du fait qu'elle a été, en grande partie, épargnée par le phylloxéra au XIXe siècle et qu’il n’est pas rare d’y trouver des vignes franches de pied.
Yecla possède une identité propre qui n’est pas inintéressante à l’heure de se démarquer sur les marchés extérieurs où règne une concurrence féroce. Face à “la grande offre disponible”, en Europe notamment, la bodega Barahonda peut faire valoir sa singularité, nous explique Esther Muñoz Iniesta, responsable marketing de la maison. D’autant plus que les consommateurs, auxquels sont destinées principalement les cuvées Barahonda, témoignent d’un intérêt croissant pour les appellations peu connues et exclusives.
Une aubaine donc, sachant que 90% de la production de la bodega est destinée à l’exportation. Si ces dernières années, le taux d’exportation n’a pas évolué, car il était déjà bien haut, le volume d’exportation a quant à lui augmenté. Aux marchés traditionnels, comme les États-Unis, sont venus s’ajouter des nouveaux marchés importateurs, comme les pays asiatiques. Les efforts de la bodega pour être présente sur les principaux salons et foires du secteur aux quatre coins du monde, mais aussi les missions commerciales organisées aussi bien à l’étranger qu’au sein de leur établissement, portent leurs fruits. L'exercice est dorénavant bien rodé.
Les vins signés Barahonda séduisent à l’international, car ils présentent “un excellent rapport qualité/prix” souligne Esther. Et il est vrai que ces nectars, qui se déclinent en rouges, en blancs et en rosés, sont produits avec le plus grand soin. Dernièrement, l’équipe a focalisé son attention sur la durabilité de leur activité, avec la mise en place de contrôles biotechnologiques (les phéromones par exemple) dans les vignes pour éviter les pesticides et autres produits chimiques. Puisant aux sources de l’innovation et de la modernité comme de la tradition, la bodega poursuit sa trajectoire réussie.
Aujourd’hui, ce sont les arrière-petits-enfants du fondateur, Antonio et Alfredo, qui gèrent la bodega depuis 1999.
Agustín Carrión, œnologue de Barahonda.
Les vignes de monastrell sont plantées en gobelet et vendangées à la main.
Bodega Cuatro Rayas, valeurs et innovations
Avec ses 15 millions de bouteilles de vin produites annuellement et distribuées dans plus de 40 pays, Bodega Cuatro Rayas est une coopérative de poids de la DO Rueda, berceau du verdejo. D’ailleurs, 95% de la production de la bodega est réalisée à partir de ce fameux cépage autochtone qui donne des vins blancs d’une grande fraîcheur et d’une acidité vivace.
Un profil de vin qui correspond tout à fait aux goûts des consommateurs internationaux. Sara Manzanas, du département de la communication, nous explique en effet que, parmi le large portfolio de l’entreprise (la coopérative élabore, outre ses cuvées en blanc, des vins rouges, rosés, doux, effervescents et vermouths), ce sont les vins jeunes, frais, très fruités et sans bois, qui ont le plus de succès. Le vin blanc, apprécié par toutes les générations, “même si les jeunes en sont le plus friands, a vu sa consommation augmenter un peu partout dans le monde”. D’ailleurs, les ventes d'exportation de la coopérative, qui représentent environ 15% du total, ont doublé au cours des 10 dernières années.
Avec ses choix de production avisés, ses vins de qualité, ses designs modernes et sa volonté d’innover, la bodega a su s’adapter aux attentes diverses des consommateurs extérieurs. Et la chose “n’est pas facile”, souffle Sara. “Cela nécessite une connaissance approfondie des marchés, des opérateurs et des intermédiaires que seule l'expérience peut apporter, car il n'y a pas de recettes pour entrer sur un marché spécifique ni de rapports qui garantissent le succès des opérations”. Mais, la coopérative a quelques atouts en poche pour faire la différence : ses valeurs fortement ancrées qui lui ont valu plusieurs récompenses.
Bodega Cuatro Rayas se caractérise, en effet, par un fort engagement en faveur de la durabilité, tant environnementale que sociale. “Nous résumons cette philosophie propre par les termes green & social. Nous travaillons activement pour améliorer la qualité de vie de nos employés et des personnes qui habitent à proximité de notre entreprise” (la firme a été distinguée dernièrement pour ses efforts, afin de promouvoir l’égalité professionnelle entre hommes et femmes), “nous encourageons le renouvellement des générations dans le secteur vitivinicole et nous mettons en avant la culture durable. Une part importante de nos vignobles est certifiée en culture biologique”. Une bodega engagée qui force le respect.
Les deux œnologues de la maison, Elena M. Oyagüe et Roberto L. Tello.
La coopérative a été fondée en 1935.
Les marchés historiques de la maison sont le Royaume-Unis, la Hollande, la Belgique et l’Allemagne.
Bodegas Gallegas, le goût de la tradition au meilleur rapport qualité/prix
“Associer une marque à des valeurs qui rendent le vin plus reconnaissable pour le consommateur peut être un élément déterminant dans la décision d'achat. De plus, le fait de pouvoir raconter l’histoire et “la façon de faire” qui se cache derrière chaque bouteille est aussi un paramètre important de différenciation”, résume Eva Rodríguez, Export Sales Executive, de Bodegas Gallegas. D’ailleurs, question expérience, la bodega a de quoi alimenter son discours. Humble négoce familial, fondé par Manuel Vázquez, “Manolo Arnoya”, il y a plus de 60 ans à Arnoia, petit village en plein cœur du Ribeiro, la bodega est devenue, en quelques décennies, une entreprise réputée, présente dans plus de 50 pays et avec une activité en pleine croissance.
En 2023, les exportations représentaient 48% du volume des ventes, et la tendance observée ces 10 dernières années, confirme une augmentation. Aux premiers pays importateurs, comme le Royaume-Uni, les États-Unis, le Cameroun, la Russie, la Pologne, la Belgique, la Corée, le Japon, la Chine, l’Australie, la Suède, le Brésil ou encore la République Dominicaine, sont venus s’ajouter de nouvelles destinations, tels la Turquie, l’Ukraine, l’île Maurice, l’Italie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie.
Il est loin le temps où Manuel Vázquez effectuait lui-même ses voyages en charrette pour vendre ses produits. Aujourd’hui, afin de consolider son volet export, la bodega effectue annuellement des missions commerciales vers des marchés potentiels, organise des visites aux clients et participe à des salons ainsi qu’à des concours internationaux. Par ailleurs, elle n’hésite pas à s’appuyer sur des organismes publics pour faciliter le premier contact sur un nouveau marché. “Nous bénéficions de l'aide des Chambres de Commerce et des Conseils Régulateurs des Appellations d'Origine qui servent d’intermédiaires”, explique Eva.
“Nous considérons que le rapport qualité-prix de nos vins est notre principal avantage concurrentiel. Pour les vins bénéficiant d’une appellation d'origine certifiée, nous avons concentré nos efforts sur l'élaboration de cuvées de très haute qualité avec des caractéristiques organoleptiques exceptionnelles, tout en mettant l'accent sur une culture responsable du vignoble et une sélection rigoureuse des raisins. Tout cela donne des vins premium à des prix ultra compétitifs. Pour les vins de table ou d’entrée de gamme, nous avons des prix très ajustés et une grande qualité, ce qui facilite l'exportation et la distribution en gros. Même en ajoutant les coûts de transport ou les taxes spéciales à destination, comme sur les marchés asiatiques ou américains, le prix final pour le consommateur reste attractif par rapport à la haute qualité que nous offrons”.
Et puis, n’oublions pas que la bodega a de quoi séduire par son histoire et ses traditions. Ses vins de Ribeira Sacra, par exemple, sont cultivés dans l’une des quatre régions européennes certifiées par le label "viticulture héroïque". Il désigne la culture de vignobles dans des conditions extrêmement difficiles. Les vignes de la maison se trouvent, en effet, à 500 mètres d’altitude, sur des pentes prononcées d'environ 40%. De plus, le système de culture en terrasses, connues localement sous le nom de "socalcos", entourées de murs en pierres schisteuses, rend la récolte encore plus compliquée. Et des particularités comme celle là, la bodega en a à revendre…
Olga Verde, œnologue de la maison.
La bodega travaille à mettre en avant les cépages autochtones de la région, notamment l’albariño et le godello, qui sont recherchés.
Cépage vedette de la DO Rías Baixas, où joue l’influence de l’Atlantique, l’albariño se distingue par son acidité, sa complexité et sa capacité de garde.
Hammeken Cellars, les rois de l’export
Avec 16 000 000 de litres vendus l’année dernière sur les marchés extérieurs et 90% de sa production destinée à l'exportation, il est clair que la maison s’y connaît dans le domaine. Elle a même été couronnée “meilleure entreprise exportatrice” en 2022. Son objectif « d’élever le prestige du vin espagnol dans le monde, en dépassant les attentes de nos clients et en surprenant les consommateurs par notre qualité, nos designs et notre engagement » semble avoir touché juste. D’ailleurs, il s’agit bien là de l’une de ses caractéristiques : l’art de s’adapter aux demandes du marché.
Son large portefeuille de marques s’est développé en fonction des besoins et des tendances du secteur. L’entreprise a, par exemple, lancé dernièrement My Zero, son premier vin sans alcool, élaboré à partir de raisins de haute qualité, fermentés dans des cuves en acier inoxydable. Le jus subit ensuite un processus de désalcoolisation de haute technologie, qui permet de préserver la fraîcheur et les arômes. La firme propose également des vins naturels (Nanit), du vin orange (Nanit Orange Wine), ou des cuvées socialement engagées, comme sa ligne I’m Your Organic, bio et vegan. Pour chacune de ses cuvées vendues, un arbre est planté, afin de participer activement à la réduction des émissions de CO2.
Les vins de Hammeken Cellars proviennent de vingt-et-une appellations espagnoles (Rioja, Ribera del Duero, Priorat, Rías Baixas, etc), ce qui permet à l’entreprise de répondre efficacement aux différentes demandes des consommateurs. Mais si la firme travaille en collaboration avec plusieurs bodegas et coopératives du territoire espagnol, elle a récemment acquis sa propre bodega dans la DO Jumilla, Finca las Piñas, qui prochainement fonctionnera entièrement avec de l’énergie durable. Le but est “de fusionner la tradition viticole et la nouvelle technologie”, toujours dans le respect de l’environnement, nous explique David Añó, responsable marketing de la maison. Dans cette optique, un nouveau format d’emballage bag-in-box (BiB), certifié AOC, a d’ailleurs été lancé. “Nous sommes devenus des experts de ce type de contenant. Depuis 2010, nous exportons ces produits à l'échelle mondiale, atteignant un volume de 2 000 000 unités par an”. Innovation, qualité, engagement…Hammeken Cellars a trouvé la recette qui fonctionne.
Nicholas Hammeken, directeur de Hammeken Cellars.
Nicholas Hammeken et Marcelo Morales, en charge de l’équipe œnologie.
La nouvelle bodega Finca las Piñas qui aspire à devenir prochainement autosuffisante.
La maison collabore avec Trees for the Future pour sa gamme I’m Your Organic. Un livre vendu, un arbre planté dans des zones déboisées d'Afrique.
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