Découvertes

Les cépages espagnols, révélateurs d’identité

Terre de prédilection pour la culture du vin, l’Espagne se distingue avant tout par la richesse de ses cépages autochtones. Qu’ils soient utilisés en assemblage ou en mono-cépage, ils révèlent un caractère unique et valident une origine. Si les variétés internationales, comme le merlot, la syrah ou encore les cabernets, y sont également bien implantées, ce sont les cépages autochtones qui ont aujourd’hui la côte.

Il a fallu seulement trois décennies pour que les cépages internationaux, considérés alors comme la panacée en Espagne, soient relégués au second plan. Certes, ils sont loin d’être abandonnés, mais ils ne suscitent plus une admiration sans borne ni une abnégation totale. De nos jours, l’intérêt est ailleurs. De plus en plus de viticulteurs, souvent soutenus par la recherche scientifique (lancée dans un grand travail de recensement et de préservation des variétés indigènes), décident de miser sur les cépages autochtones, pour mettre en avant un patrimoine. 

 

Les raisons de ce changement de perspective sont diverses, mais il est clair que la mode (qui a atteint son apogée dans les années 90), des vins surmûris, très concentrés et chargés en bois, a fini par lasser et engendrer une transformation radicale chez les viticulteurs et les consommateurs. Les vins “sans âme” sont mis de côté pour faire place à un style où la vigne et le terroir sont prioritaires. L’idée est de montrer la typicité du vin produit, son caractère unique. Et les viticulteurs n’hésitent pas à s'appuyer sur les cépages indigènes, pour souligner la singularité de leur production.

 

Par ailleurs, les vignerons ont observé une résistance plus grande des variétés endémiques aux défis engendrés par le changement climatique (sécheresse extrême, températures torrides, maladies de la vigne, etc.). Cette récupération des cépages anciens et la mise en avant des variétés typiques du pays est donc un signal d’espoir pour la viticulture du futur et les nouvelles générations. D’autant plus que l’Espagne possède une fascinante diversité ampélographique, avec près de 400 cépages autochtones. Nous sommes partis à la rencontre de cinq bodegas espagnoles où les variétés endémiques tiennent le haut du vignoble, afin d’en savoir un peu plus sur leurs motivations et leur philosophie. 

 

La garnacha, un cépage polyvalent à succès

La garnacha est vraisemblablement le cépage d’origine espagnole le plus international aujourd’hui. Variété “en vogue”, il se trouve parmi les dix cépages les plus cultivés dans le monde (le cinquième pour les rouges exactement) nous informe Sigrid Guillem, Brand Ambassador chez la bodega Celler de Capçanes, l’une des plus représentatives de l’AOC Montsant en Catalogne. Facile à exporter, c’est un cépage qui “plaît en général aux consommateurs”. Pas étonnant donc que le Celler de Capçanes ait particulièrement misé sur ce cépage qui représente 65% de sa production. D’autant plus que cette variété endémique trouve, dans la DO Montsant, un terrain de prédilection. Les sols pauvres, secs et pierreux (formés d’ardoise ou de calcaire) de la région sont favorables à son développement. “La garnacha est la variété locale par excellence de notre territoire” nous signale Sigrid. 

 

Résistante en général aux maladies, elle prospère sous des climats chauds et a montré une grande capacité d’adaptation à la sécheresse qui sévit depuis ces trois dernières années en Catalogne. Face aux changements climatiques, elle a évolué de façon plus positive que l’autre cépage traditionnel de la région, la cariñena (le carignan), explique la Brand Manager

 

À ces avantages, il faut ajouter une autre de ses caractéristiques, qui fait d’ailleurs la joie de l’œnologue, sa polyvalence. La garnacha permet d'élaborer différents profils de vin et se combine parfaitement dans les assemblages. Dotés “d’une grande expression aromatique et d’une bonne acidité”, les garnachas du Celler de Capçanes offrent à la bodega la possibilité d’élaborer aussi bien "des cuvées très portées sur le fruit” que “des nectars particulièrement délicats et élégants à la robe plus claire”. Une variété de style réalisée grâce à “un travail technique rigoureux de classification des vignes, qui détermine la qualité du raisin et son potentiel”. Plusieurs facteurs sont pris en compte, comme l'âge des ceps, l'emplacement et l'orientation de la vigne, le type de sol, le climat ou encore la biodiversité… 

 

Ces différentes interprétations dévoilent la richesse organoleptique du cépage, mais aussi son lien intrinsèque au terroir. La ligne Taller de Terroirs est particulièrement révélatrice. Quatre vins mono-cépages de garnacha, provenant de quatre sols différents de la région : le calcaire, l’ardoise (localement appelée "llicorella"), l'argile et “le panal” (sols limoneux-sableux). Un bel exercice de style !

 

Anna Rovira, œnologue de la bodega. 

Anna Rovira, œnologue de la bodega

 

 

Grappe La garnacha.

“La garnacha est la variété qui nous identifie le mieux et qui est associée à notre maison" explique Sigrid Guillem.

 

 

Le Celler de Capçanes.

Le Celler de Capçanes élabore une grande variété de vins avec la garnacha (rouges élevés en foudres ou en chêne français, jeunes cuvées, rosés, blanc de noirs, etc.).

 

 

Le bobal ou le nouvel essor d’un cépage au grand potentiel

Variété typique de l’Espagne de l’Est, le bobal fait aujourd’hui parler de lui, et pas seulement pour l’originalité de son nom. Il provient du latin bovale, qui signifie "en forme de tête de taureau", car les contours de la grappe de bobal évoquent un bovin. Peu connu, voire parfois dénigré par les amateurs, car le cépage a longtemps été relégué à la production de vin en vrac, le bobal connaît dernièrement une nouvelle jeunesse, grâce à certains viticulteurs de la région qui ont su lui donner l’attention qu’il mérite.   

 

La coopérative Coviñas, qui gère plus de 10 000 hectares de vignes (dont 65% sont du bobal) et qui réunit plus de 3000 agriculteurs, fait partie de ces bodegas inspirées (elle est le plus gros producteur de l’appellation Utiel-Requena). D’une part, elle a su tirer profit de ses nombreuses vieilles vignes (dont certaines ont plus de 80 ans), cultivées en gobelet, pour élaborer des mono-cépages complexes, qui même après leur passage en fûts, conservent leur caractère fruité si caractéristique. D’autre part, consciente de l’intérêt croissant des marchés pour les vins aromatiques et gourmands, elle a développé, à partir de ses plus jeunes ceps, des rosés et des rouges, frais et friands. Le bobal est “un cépage de plus en plus reconnu et recherché” nous confirme Patricia Álvarez, directrice marketing de Coviñas. D’ailleurs, le groupe exporte aujourd’hui plus de 80% de sa production, dans plus de 30 pays. 

 

La coopérative a aussi trouvé, dans le bobal, un formidable allié pour s’adapter aux changements climatiques et aux nouveaux défis qu’ils supposent. Résistant aux parasites et aux conditions météorologiques extrêmes, il conserve bien son importante acidité naturelle. Le seul inconvénient du bobal est “sa maturation irrégulière qui nécessite un suivi constant pour déterminer le meilleur moment de la récolte” explique Patricia. Un bien léger défaut pour ses multiples qualités. 

 

Jorge Srougi, Directeur Général de Coviñas. 

Jorge Srougi, Directeur Général de Coviñas. 

 

 

Le vignoble de Coviñas.

Dans le vignoble de Coviñas se trouve quelques-unes des plus vieilles vignes d’Espagne encore en production.

 

 

   Le groupe possède plus de 2000 hectares de vignes certifiées bio. 

Le groupe possède plus de 2000 hectares de vignes certifiées bio. 

 

 

Le tempranillo, cépage roi du vignoble espagnol

Cépage le plus cultivé en Espagne, il est aussi celui qui a fait la réputation des vins rouges ibériques sur la scène internationale. D’un caractère très fruité et frais, il est capable d’une grande finesse, surtout lorsqu’il trouve un terroir propice à son épanouissement. “Le tempranillo se comporte particulièrement bien dans les zones fraîches et en altitude”, nous explique l’œnologue Juan L. Quiroga, qui avec sa sœur Maïté et son frère Diego, est la sixième génération à la tête de Bodegas Quiroga de Pablo. “D’acidité moyenne, le tempranillo peut perdre de sa fraîcheur aromatique et voir son degré d’alcool augmenter s’il est cultivé dans des conditions trop chaudes”. Par contre, il s’épanouit dans la Rioja Alta où prédomine l’influence atlantique, et non méditerranéenne. 

 

Sur les sols pauvres de Bodegas Quiroga de Pablo, à plus de 500 mètres d'altitude, les vignes de tempranillo prospèrent. Dotées d’un cycle court (tempranillo signifie tôt en espagnol), elles semblent avoir trouvé là-bas l’équilibre parfait. Il y a 25 ans, nous confie Juan, “quand j’ai commencé à remplacer mon père, nous avions parfois des problèmes à atteindre la maturité optimale des raisins en raison de la fraîcheur de la zone, mais la hausse des températures due au réchauffement climatique nous a aidé à élaborer de meilleurs vins rouges”. Des nectars qui se distinguent par leurs notes gourmandes de fruits rouges et noirs, comme la fraise ou la mûre, leurs arômes floraux et leurs tanins soyeux en bouche. “Le taux d’alcool de nos vins tourne autour de 13,5 %, alors que dans d’autres régions, ce dernier a tendance à exploser”.

 

Juan se dit “très satisfait” de ses tempranillos tintos (rouges), mais pas seulement. La bodega est l’une des premières à s'être intéressée au tempranillo blanco, un cépage de la Rioja né d'une mutation génétique naturelle d’un sarment de tempranillo tinto et découvert seulement en 1988. Juan étudia de près le cépage durant ses études, puis convaincu du potentiel non exploité de la variété (elle ne fut admise dans la DO qu’en 2007), se mit en quête d’une parcelle qui réunissait les conditions idéales pour son développement. La recherche dura cinq ans, mais aujourd’hui les vins blancs de la famille sont reconnus parmi les meilleurs de l’appellation…

 

Juan José Quiroga et María Teresa de Pablo et leurs trois enfants.

Juan José Quiroga et María Teresa de Pablo et leurs trois enfants qui ont pris la tête de la bodega familiale à Azofra.

 

 

Vignes de la bodega familiale à Azofra.

Marqué par une acidité élevée, le tempranillo blanco est à l’origine de vins blancs d’une très grande fraîcheur. 

 

 

L’engrais organique.

Seul l’engrais organique provenant des résidus de vinification est employé dans les vignes.

 

 

Le verdejo, un cépage caractéristique de son terroir

La coopérative Diez Siglos est née en 2010 d’un seul objectif : dévoiler, par la production de vins de qualité, la noblesse d’un cépage d’exception, le verdejo. “Pour Bodega Diez Siglos, le verdejo n'est pas seulement une variété de raisin ; c'est l'âme de notre terre et l'essence de notre travail. Ce cépage autochtone est notre identité et le pilier sur lequel nous construisons nos vins” confirme Teresa Heras, chargée de la communication de la maison. 

 

Le verdejo représente aussi bien son terroir, car il fait preuve d’une synergie totale avec ce dernier. C’est dans sa région d’origine (Rueda, au nord-ouest de l'Espagne) qu’il trouve les conditions parfaites pour exprimer tout son potentiel aromatique. Il est d’ailleurs peu cultivé dans d’autres zones viticoles, même à l’échelle mondiale. Parfaitement adapté au climat continental de la DO, il affectionne les sols pauvres, pierreux et sablonneux qui la caractérisent. “Ces conditions permettent au raisin de développer une grande complexité aromatique et une acidité équilibrée, donnant naissance à des vins frais, avec une personnalité unique.” 

 

Dotés d’une robe jaune pâle aux reflets verts, les verdejos de la bodega Diez Siglos se distinguent, en effet, par leur profil intensément aromatique et leurs arômes dominants de fruits blancs (comme la poire) accompagnés de notes herbacées, florales et citronnées. En bouche, ils offrent une acidité vibrante et une structure bien équilibrée, avec une légère amertume finale, caractéristique du cépage.

 

Au sein de la coopérative, chaque étape de la vinification est réalisée avec le plus grand soin, pour sublimer les qualités inhérentes du verdejo. La vendange se fait généralement de nuit pour éviter l'oxydation du moût et conserver sa fraîcheur aromatique. Après l’éraflage, un pressurage doux est effectué, puis la fermentation se fait à basse température, dans des cuves en acier inoxydable, afin de conserver les notes fruitées. Enfin, l'élevage sur lies apporte une plus grande complexité et une structure au vin.

 

Ce savoir-faire a permis à la coopérative de faire connaître ses cuvées au-delà de ses frontières. Et ça tombe bien, car le cépage a aujourd’hui le vent en poupe, “surtout dans les pays où les consommateurs recherchent des alternatives aux cépages blancs traditionnels. Le verdejo est de plus en plus réclamé sur des marchés, comme le nord de l'Europe, les États-Unis et certains pays asiatiques, où son potentiel gastronomique est apprécié” explique Teresa. Le chardonnay ou le pinot grigio italien n’ont qu’à bien se tenir !

 

Antonio de Íscar, Directeur Général de Diez Siglos.

Antonio de Íscar, Directeur Général de Diez Siglos.

 

 

Diez Siglos.

La bodega investira en 2025 plus d’un million d’euros pour augmenter son offre en vins à faible teneur en alcool. Un marché prometteur.

 

 

Teresa Heras, responsable marketing et communication de la bodega.

Teresa Heras, responsable marketing et communication de la bodega.

 

 

Les oenologues de la coopérative, Noelia Santamaria et Laura Rubio.

Les oenologues de la coopérative, Noelia Santamaria et Laura Rubio.

 

 

L’albariño et le godello, deux cépages emblématiques qui riment avec fraîcheur

Bodega de référence de Rías Baixas en Galice, une célèbre appellation du nord-ouest de l’Espagne, Mar de Frades élabore l’un des plus fameux albariños du pays, qui porte d’ailleurs son nom. Elle fut aussi la première à élaborer, selon la méthode traditionnelle, un effervescent à base de ce cépage. “L’albariño est notre produit phare autour duquel nous avons développé notre expertise depuis la création de notre bodega il y a environ quarante ans” nous explique l’œnologue de la maison, Paula Fandiño. Dans sa région d’origine, Rías Baixas, marquée par des sols granitiques et une influence océanique, il offre aujourd’hui “sa plus belle version”. 

 

La zone est, en effet, un “véritable paradis” pour les vignes et l’albariño. Le climat est doux et humide avec un taux de précipitations très élevé et les sols sablonneux reposent sur une roche mère granitique. Et c’est bien ce terroir particulier qui donne au cépage et aux vins qui y naissent leur caractère unique. Des nectars complexes et délicats, “empreints de salinité, de minéralité et d’une haute acidité”. 

 

Doté d'une grande fraîcheur, avec des notes de pomme, de poire, d’abricot et parfois de melon et de mangue, le cépage albariño est “de plus en plus réputé sur les marchés d'exportation, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Irlande et en Amérique latine”, nous informe Paula, car “il est aujourd’hui apprécié des consommateurs qui le considèrent comme une variété élégante et prestigieuse”. 

 

Pour le godello, autre cépage travaillé par Mar de Frades, la situation est différente. Il se trouve principalement destiné au marché national, même s’il suscite ces dernières années davantage de curiosité en raison de l’augmentation de la consommation des vins blancs et de l’intérêt grandissant pour les cépages endémiques. D’ailleurs, avec ses notes tropicales de litchi, de mangue et d'ananas, sa bouche moelleuse a de quoi plaire. “Originaire du climat continental galicien, nous avons voulu révéler son potentiel en le cultivant sur la côte”. Une fois encore, l’influence atlantique n’est pas loin. 

 

Paula Fandiño.

Paula Fandiño a été reconnue, par la revue britannique The Drinks Business, comme l’une des 10 femmes œnologues les plus influentes d’Espagne.

 

 

Mar de Frades.

Située au cœur de la “valle del Salnés”, Mar de Frades est l'une des bodegas les plus représentatives de la région.

 

 

Vignes de La bodega.

La bodega mène une viticulture respectueuse qui vise à préserver l’équilibre de l’environnement et des sols.  

 

 

Les vignes de godello.

Plantées en espaliers, les vignes de godello sont vendangées et soigneusement triées à la main.