Découvertes

La filière viticole portugaise se réinvente

Ils étaient plus de 140 à la dernière édition du Wine Paris & Vinexpo Paris contre 57 en 2022. Les exposants portugais sont de plus en plus présents sur la scène internationale. Les exportations sont en hausse, les vins gagnent en notoriété et les innovations se multiplient. Mais malgré ce dynamisme, le secteur est confronté à d’importants problèmes structurels, ce qui a amené l’UE à lui concéder de nouveau une enveloppe de 15 millions d’euros (l'année dernière, l'UE avait déjà accordé 20 millions d'euros au Portugal). Elle s’est ajoutée aux millions d’euros mis sur la table par le gouvernement de Lisbonne pour venir en aide aux vignerons, notamment avec la création d’une ligne de crédit de 100 millions d’euros sur trois ans, avec effet rétroactif pour 2023. Une mesure destinée à soutenir les viticulteurs en regard de leurs gros problèmes de trésorerie.

Des défis à relever

Cette situation économique compliquée s’explique en partie par un excédent sans précédent des stocks de vin portugais. Plusieurs organisations professionnelles pointent du doigt les importations en vrac d’Espagne qui auraient gonflé la production et dénoncent une concurrence déloyale en raison d’un étiquetage trompeur quant à l’origine des produits. La réponse des autorités ne s’est pas fait attendre, puisqu’en mai dernier, l’entrée de raisins et de moûts a été interdite dans la région du Douro. Depuis, elles ont promis plus de contrôles sur le flux et le transport du vin au sein du territoire et annoncé une révision de la législation concernant l’étiquetage, afin de clarifier, pour le consommateur, l’origine de chaque bouteille. 

 

Mais d’autres facteurs ont contribué à cet excédent des stocks, comme la baisse de la consommation nationale, qui a diminué de 10% en un an. Certes, les Portugais conservent leur titre de premier consommateur au monde, avec 52 litres de vin bus par habitant en 2023, selon l’Organisation internationale de la vigne et du vin, mais la tendance est à la baisse (surtout pour les vins rouges), comme un peu partout dans le monde. Un ensemble de paramètres économiques, démographiques et culturels explique cet essoufflement, notamment les changements dans les habitudes de consommation (essor de la bière, fin du petit verre au quotidien, etc.), les campagnes de l’Organisation mondiale de la santé contre les boissons alcoolisées ou encore l’augmentation du coût de la vie. 

 

À l’instar de ce qui se passe dans d’autres pays européens, certains acteurs de la filière prônent la vendange en vert ou encore l’arrachage des vignes, pour faire face à ce changement structurel de la consommation. “Cette réduction de la demande doit être équilibrée par une diminution de l’offre de vin, et la seule manière efficace et durable de le faire, selon moi, est de réduire les surfaces viticoles en arrachant des vignes”, nous confie Oscar Quevedo, CEO de l’adega Quevedo, en plein cœur de la Vallée du Douro.  

 

 

Claudia et Oscar Quevedo

Claudia et Oscar Quevedo perpétuent le savoir-faire de la famille qui élabore des vins de Porto depuis cinq générations.  

 

 

    Oscar Quevedo

Oscar Quevedo dirige aujourd’hui, avec sa sœur, l’adega familiale Quevedo. 

 

 

Ralentissement au niveau national donc, mais accélération à l’international. Le Portugal connaît en effet, ces dernières années, une hausse des exportations de ses vins aussi bien en volume qu’en valeur. La part de production destinée aux secteurs internationaux des adegas (domaines viticoles) portugaises augmente. La maison familiale Quevedo exporte, par exemple, 94% de sa production, et elle n’est pas la seule à privilégier l’export. Les entreprises viticoles lusitaniennes parviennent de plus en plus à s’imposer sur les marchés mondiaux, même si la concurrence est féroce. Pas facile de se faire une place dans un marché déjà saturé, mais la filière viticole portugaise ne manque pas d’inventivité ni de dynamisme à l’heure de l’émancipation. D’autant plus qu’elle peut compter sur les autorités pour favoriser les exportations. Dans le cadre des aides allouées à la filière viticole, le gouvernement a destiné une partie de son budget à la communication et à la promotion des vins portugais pour renforcer les exportations. Il a également déclaré vouloir redoubler d’effort pour faire supprimer des barrières douanières dans certains pays susceptibles d’offrir de nouvelles opportunités aux exportateurs. Chaque région s’organise aussi pour aider les vignerons à faire connaître leur production. Arlindo Cunha, président de la Commission vitivinicole de Dão, explique que son organisme a établi “un programme de promotion pour le marché national et les principaux marchés d'exportation, dans lequel ils investissent en moyenne environ un demi-million d'euros par an”. 

 

   Située au centre nord du Portugal, la région de Dão abrite de nombreux cépages autochtones

Située au centre nord du Portugal, la région de Dão abrite de nombreux cépages autochtones, comme le touriga nacional et l’encruzado.

 

 

Ce travail de marketing a porté ses fruits, puisque le Portugal est parvenu non seulement à renforcer sa présence sur ses marchés historiques, comme la France, les États-Unis, l’Espagne ou encore les pays lusophones, mais aussi à diversifier ses réseaux étrangers. Aujourd’hui, certaines adegas n’hésitent pas à se mobiliser pour se faire connaître en Asie, comme en Corée du Sud ou en Chine. Selon les dernières données du premier semestre 2024, nous informe Arlindo Cunha, “les vins du Dão ont été exportés vers 70 pays, pour un total de près de 3 millions de litres de vin certifié” (environ 40% de la production). “À peu près la moitié de ce volume a été exportée vers l'Union Européenne et l'autre moitié vers le reste du monde”. 

 

Arlindo Cunha

Arlindo Cunha, président de la Commission vitivinicole de Dão. 

 

 

es vins de Dão

D’une grande élégance, les vins de Dão offrent un excellent rapport qualité-prix.

 

 

Adaptation et innovation 

S’il y a quelques années, le Portugal était uniquement associé à ses fameux vins mutés, les portos et les vins de Madère, aujourd’hui ce n’est plus le cas. D’autres nectars ont été mis en avant et ont acquis une grande notoriété, comme les vins tranquilles DOC Douro, le célèbre vinho verde ou les rouges fruités de l’Alentejo. Certes, il reste du chemin à faire pour populariser les pépites du vignoble portugais, encore peu connu par rapport à ses fameux voisins, mais les acteurs du secteur ne manquent pas d’initiatives pour faire parler de leur production, capable de répondre aux besoins variés des marchés et surtout aux nouvelles tendances des consommateurs (essor des vins blancs, intérêt pour les vins désalcoolisés, etc.). 

 

La filière viticole n’hésite pas à s’appuyer sur la recherche pour étudier les nouveautés et proposer des alternatives. “La recherche nous aide à comprendre les changements au niveau des marchés, à nous y adapter et, dans une certaine mesure, à anticiper l'avenir” précise Arlindo Cunha. Dernièrement, une étude réalisée dans la région du Douro a montré que l’application de kaolin (argile blanche) sur des baies de touriga nacional (un célèbre cépage autochtone) permettait de diminuer le degré alcoolique des vins. Une autre, datant de 2017, mais reprise en 2024 par une start-up portugaise pour en commercialiser l’idée, proposait la création de vins sans sulfites grâce aux fleurs de châtaignier, qui se révèlent posséder les mêmes effets antioxydants et antimicrobiens que le SO₂. Quand la science fait avancer la viticulture naturelle…

 

La recherche est particulièrement active, en effet, pour apporter des pistes et faire évoluer la viticulture face à ce qui s’avère être le plus grand défi des vignerons portugais (et du monde entier) : le changement climatique, “qui exige une adaptation continue dans la gestion des vignobles” souligne l’œnologue en chef de Provam, Abel Codesso. “Il nous affecte tous, souvent de manière défavorable”, précise Oscar Quevedo. “Dans la vallée du Douro, nous observons des zones chaudes où les vignes peinent à achever leur cycle de maturation. Heureusement, les vignes sont cultivées en montagne et nous avons la possibilité de planter en altitude. La température moyenne annuelle y est plus basse, permettant aux ceps de profiter d’un climat plus équilibré. Cependant, tout le monde n’a pas cette chance, et je crains que la viticulture, dans de nombreuses régions de plaine, ne soit plus difficilement en mesure de s'adapter aux effets du changement climatique”. 

 

Abel Codesso

Abel Codesso, œnologue en chef de Provam.

 

 

Les portos Quevedo

Les portos Quevedo se distinguent par leur profil moins sucré, afin de permettre aux saveurs naturelles de s’exprimer.  

 

 

Les premières vignes de la famille Quevedo

Les premières vignes de la famille furent plantées en 1889. 

 

 

Beaucoup d’investigations portent sur les cépages et leur résilience face à la sécheresse et autres conséquences du réchauffement climatique. Arlindo Cunha nous informe, par exemple, que la Commission vitivinicole de Dão travaille en collaboration avec le Ministère de l'Agriculture et l'Université Polytechnique de Viseu, ainsi que les principales entreprises et coopératives de la région, pour élaborer un programme de recherche visant à explorer les effets du changement climatique sur le comportement de diverses variétés de raisins et les vins qui en résultent. Cela a amené à la création, en 2023, d’une branche Dão au sein du Laboratoire Collaboratif Vigne et Vin (CoLab Vine & Wine), une institution qui vise à l’amélioration de la viticulture portugaise. Car c’est bien de ça qu’il s’agit : créer de la valeur. L’idée fait l’unanimité parmi les acteurs du secteur que nous avons interrogés. Elle est la voie à suivre pour s’imposer sur les marchés mondiaux ou nationaux.

 

Miser sur la qualité et le caractère exclusif 

Arlindo Cunha l’indique clairement : “notre objectif principal est de maintenir le niveau de qualité des vins du Dão que nous avons atteint, de préserver nos formidables cépages traditionnels, de poursuivre la restructuration des vignobles et de former les professionnels nécessaires dans tous les aspects de l'industrie du vin - de la viticulture à l'œnologie, en passant par la gestion et l'œnotourisme - afin de créer davantage de valeur”. 

 

Le sceau de l’excellence est l’unique solution. D’où l’importance des labels et des certifications qui garantissent la qualité de la production. Le responsable de communication d’Alorna, adega historique de la région du Tejo, nous explique en effet que l’une de leurs priorités consiste à certifier leur entreprise dans plusieurs domaines. “La certification IFS garantit la sécurité alimentaire, tandis que la certification de Production Intégrée, appliquée à toutes les activités de Quinta da Alorna (vigne, forêt et agriculture), ainsi que la Certification de Durabilité pour le Secteur du Vin, renforcent notre engagement envers l’environnement.”

 

Quinta da Alorna

Quinta da Alorna est située sur la rive sud du fleuve Tage, près de Santarém.

 

 

Les vignes de Quinta da Alorna

L’export correspond environ à 50 % de la production annuelle de Quinta da Alorna, envoyée vers 25 pays.

 

 

La communication aussi est importante. Abel Codesso nous confie d’ailleurs que son entreprise viticole, Provam, qui élabore des albariños d’excellence dans la région de Monção et Melgaço, a récemment redéfini sa stratégie pour se centrer sur ce message de qualité. “Au-delà de l’expansion de notre portée internationale, nous nous concentrons sur une communication plus précise et plus efficace des caractéristiques distinctives de nos produits et des innovations que nous avons développées. Cette nouvelle approche vise à renforcer la reconnaissance de nos marques et à solidifier notre position en tant que référence dans le paysage viticole international.”

 

L’idée est de mettre en avant le caractère unique de la production, afin de faire la différence. L’adega Quevedo vient de lancer, par exemple, deux portos, un blanc et un rouge, complètement inédits. Ils ont été réalisés à partir d’une combinaison de cépages “qu’aucun autre porto n’a, probablement, jamais connue. Pour le blanc, nous avons utilisé 67 cépages blancs et, pour le rouge, 91 variétés. Les cépages proviennent de stocks expérimentaux du Ministère de l’Agriculture qui ont été achetés lors d’une vente aux enchères publiques”.

 

Quinta da Alorna a quant à elle lancé récemment le projet Alorna Wine Creations qui consiste en la construction d’une micro-cave dédiée à la production de petites séries distinctes et de qualité supérieure. “Les derniers lancements, tels que le 1723 Grande Reserva, célébrant le tricentenaire de Quinta da Alorna, la gamme Reserva das Pedras, et plus récemment Amphorae, illustrent nos efforts pour proposer de nouveaux produits innovants et différenciés. Ces initiatives apportent sans aucun doute de la valeur non seulement à Quinta da Alorna, mais également à la région du Tejo”. Un peu plus au Nord, la maison Provam dévoilera, début 2025, un nouveau vinho verde baptisé “Exemplar”. Tout est dit… Il est clair que le Portugal, avec ses 250 cépages autochtones (certains peu cultivés dans d’autres régions du monde) et ses terroirs d’exception, ne manque pas de ressources pour briller. 

 

 

vignoble de Quinta da Alorna

À Quinta da Alorna, 80 % des vignobles sont en culture pluviale, favorisant ainsi une consommation d'eau plus efficace.