A l’extrême sud de la Bourgogne, entre Chalonnais et Beaujolais, se trouve une zone qui compte 43 appellations d’origine, dont 5 Crus et des 1er Crus. Réputée pour offrir le meilleur rapport qualité prix des blancs de Bourgogne, les styles peuvent y être innombrables et on y fait aussi des rouges et des crémants. Explications.
Géographiquement, le Mâconnais est situé entre la vallée de la Grosne à l’ouest, et celle de la Saône à l’est. Longue de 50 km et large de 15, cette zone compte 6 chainons qui culminent à 400 m d’altitude, voir près de 500 m pour les roches de Solutré et de Vergisson. Ces deux escarpements calcaires, utilisés par l’Homme dès la Préhistoire, sont souvent la carte postale de la région.
Une zone à la topologie complexe
Les sols sur lesquels poussent les vignes sont des calcaires, des sables ou des argiles, avec des éboulis caillouteux plus ou moins gros. En bas de coteaux, on retrouve des sols limoneux ou marneux. Enfin il y a des sols argilo-siliceux à l’extrême sud, à proximité du Beaujolais.
Le climat est tempéré, avec une influence océanique et méridionale. Si la tendance générale est à un réchauffement, ce sont surtout les aléas soudains qui rythment les productions agricoles ces dernières années et la vigne, si exposée, reste l’activité principale de la région.
Domaine Raphael Sallet : Le Mâcon-Village
Raphaël exploite avec son épouse Marylène un domaine qu’il a créé il y a 35 ans. Parti de 6 ares, le vigneron explique qu’il a progressivement planté, jusqu’à exploiter maintenant 30 hectares. Modeste, il indique « qu’il y avait des terres disponibles ». L’exploitation se situe à Uchizy, dans le nord de la zone, à côté de Tournus et d’un village nommé… Chardonnay. Si la viticulture régionale est basée sur le cépage éponyme, Raphael sourit quand on lui demande si le village lui aurait donné son nom. « On sait maintenant que le cépage pourrait avoir des origines plus lointaines, et le village tirerait son nom de lieux avec des chardons. Mais l’ambiguïté est amusante, alors, pourquoi ne pas laisser dire ? ». Les vins produits sont essentiellement des Mâcon-Villages. Raphael explique les nuances : Dans cette zone nord, on produit un vin blanc nommé Mâcon blanc ou Mâcon chardonnay. Mais quand les jus proviennent uniquement d’un des 27 villages où les sols sont un peu plus intéressants, on leur adjoint une dénomination géographique complémentaire. Ainsi on trouve du Mâcon-Azé, Mâcon-Bray… jusqu’au Mâcon-Vinzelles. Lui, produit essentiellement du Mâcon-Uchizy. Le cahier des charges, un peu plus contraignant sur le rendement, contribue à l’intensité de ces vins avec dénomination géographique. Et si jamais les jus de plusieurs des villages listés sont utilisés, on parle de Mâcon-Villages.
Raphael aime les vins toniques, avec un bon équilibre acide-alcool. Face au changement climatique, il vendange très tôt le matin. En 2 heures les raisins sont au pressoir, et les cuves métalliques sont thermorégulées. Quelle différence entre ses vins, et un Chablis ? « On trouve généralement plus de fruit dans un Mâcon, et surtout, c’est maintenant beaucoup plus abordable ! ».
Domaine Perraud : en conversion bio
Un peu plus au sud, à la bien nommée « La Roche Vineuse », est le domaine de Jean-Christophe. Créé en 2005 sur les vignes familiales transmises depuis 4 générations, il compte actuellement 37 hectares. Jean-Christophe commercialise beaucoup de Mâcon-Villages. Il explique qu’autrefois la plupart des vignerons vendaient en vrac, sous cette appellation qui permettait aux négociants d’utiliser les vins de plusieurs villages. L’emploi des noms de village est concomitant avec la mise en bouteille par les vignerons eux-mêmes. Lui met quasiment tout en bouteille dans son exploitation, mais Mâcon-Villages a auprès de sa clientèle, uniquement professionnelle, plus de notoriété que Mâcon-La Roche Vineuse. Par contre, il a aussi des vignes à Fuissé qui est plus connu, et il produit donc un Mâcon-Fuissé.
Pour les élevages de certains de ses vins, Jean-Christophe utilise des barriques neuves pendant 12 à 24 mois. Pourtant le but n’est pas d’obtenir des vins très boisés, car ce sont des demi-muids de 600 litres qui proposent donc beaucoup moins de surface de contact. « Les goûts changent », indique-t-il. « Nous ne sommes plus à l’époque où les anglo-saxons réclamaient des vins très boisés ». D’ailleurs lui ne bâtonne pas ses vins pour développer du gras. Au contraire, les laisser au repos est gage de conservation de l’acidité. « Il faut qu’on sente le vin ! » dit-il avec simplicité.
Le domaine est en conversion vers une agriculture biologique. En 2021, malgré des conditions très difficiles- il pleuvait et faisait souvent froid- ils ont tenu et n’ont utilisé aucun produits chimiques ; un bel exploit.
Vignerons des Terres Secrètes : 120 familles alliées à Prissé
Charles Lambolley est le Directeur Marketing de cette coopérative qui regroupe 120 familles. Le chai est basé à Prissé, dans la partie nord de l’appellation Saint-Véran. D’ailleurs, si les vignes de la coopérative s’étendent sur 900 hectares au total, dans différentes appellations comme du Mâcon-Villages ou du Pouilly-Fuissé, la coopérative représente à elle seule 40% de la production de Saint-Véran. La coopérative compte 60 cuvées parcellaires, soit 45% de la production. C’est une tendance à la hausse indique Charles, mais pas nouvelle. On fait des cuvées parcellaires depuis les années 1990.
L’appellation Saint-Véran a été créée en 1971, bien après l’appellation Mâcon. C’est un Cru et on peut donc s’attendre à une intensité un peu plus marquée que pour un Mâcon-Villages. Mais l’appellation s’étend sur deux zones, de part et d’autre de Pouilly et de Fuissé. Au nord, là où ils sont, les sols sont plus calcaires, et donc en tension et minéralité. Au sud, il commence à y avoir un peu de granite et les vins ont un peu plus de gras. Le marché reconnait la classification en Cru quand un Mâcon-Villages simple tourne autour de 7 à 8€, un Saint-Véran est proposé entre 8 à 15€, selon l’âge des vignes et sa complexité. Pour certaines parcelles, les meilleures, une classification en 1er Cru est en cours. Quand aboutira-t-elle ? Peut-être 2 ou 3 ans espère Charles.
En 2016 la cave coopérative a rassemblé un collectif de 20 jeunes vignerons pour créer une cuvée iconique, LE vin de la cave. Les parcelles de 5 terroirs distincts sont sélectionnées pour des jus à forte minéralité et charpente. Les sols sont labourés au cheval, les raisins excessifs sont retirés lors de vendanges en vert, la vendange, elle, est manuelle, les vinifications faites sans collage ni filtration… bref la volonté de tout parfaire. Le résultat est nommé Révélis, une micro cuvée de 1 500 bouteilles qui les rends fiers.
Domaine de la Feuillarde : des vignes presque d’un seul tenant
Également à Prissé se trouve le Domaine de la Feuillarde. Propriété familiale depuis 4 générations, elle compte 18 de ses 20 hectares plantés d’un seul tenant autour des bâtiments. Les Thomas, qui produisent essentiellement du Saint-Véran et un peu de Pouilly-Fuissé, indiquent que ce sont les sols un peu moins profonds - on atteint plus vite la roche mère - qui expliquent qu’un Saint-Véran est généralement plus fin qu’un Mâcon, fut-il Villages. La vigne est volontairement enherbée un rang sur deux pour gérer l’apport en eau et les sols sont essentiellement griffés pour limiter les utilisations de désherbants. Si la propriété n’est pas en bio, elle s’en rapproche. Ces cinq dernières années, une vendange en vert n’a pas été nécessaire tellement les rendements naturels sont faibles. Et 2021 est particulièrement difficile : gel, grêle, mildiou ! S’ils font 20% du volume habituel, ils seront contents. Peut-être même n’auront-ils pas assez de vins pour aller jusqu’à 2022.
Mais on peut néanmoins travailler des cuvées différentes. Les Thomas en font trois. Une Tradition avec mise en bouteille précoce, une Vieilles vignes où les vins sont élevés 9 mois sur lies, et une Prestige élevée dans des barriques de 500 litres provenant de l’Allier et qui marquent moins. Les Thomas qui participent à de nombreux salons, vendent beaucoup en direct à des particuliers et à la restauration. Le positionnement de l’appellation Saint-Véran est parfait pour beaucoup de restaurants. Dans l’ensemble indiquent-il, chaque vigneron ici à sa propre distribution. Contrairement au voisin Pouilly-Fuissé où le négoce est très présent, la jeunesse de l’appellation a en effet permis à chacun de se faire directement sa clientèle.
Cave de la Vigne blanche, le Viré Cléssé
Dans le village de Cléssé se trouve une petite cave coopérative constituée d’une quinzaine d’apporteurs de raisins, qui vendangent sur 90 hectares. Situés au milieu du Mâconnais, les villages de Viré et de Clessé, proches et alliés depuis longtemps, ont obtenu en 1999 leur propre appellation. La zone est toute petite et ne produit que 25 000 hl par an. Mais il faut dire, explique M. Mollard, le caviste de la Cave, qu’elle jouit d’un micro-climat et de quelques spécificités.
Ici le régime des précipitations est différent. De plus les usages locaux sont de vendanger un peu plus tard que dans les villages alentours. Dès lors, les vins ont un peu plus de rondeur, arrivant à 14% et avec un sucre résiduel autour de 4 g/l, alors qu’un Mâcon classique est plutôt à 1 g/l. Et si l’acidité est du coup un peu moins marquée, tandis que les œnologues qui achètent pour le négoce exigent souvent un ajout d’acide tartrique, le caviste est volontairement non interventionniste. Il faut respecter le style de l’appellation ! Cette différence entre un Mâcon et un Viré-Cléssé est d’autant plus marquée que le millésime est frais ; ça devrait être le cas pour 2021. D’autre part, certaines parcelles sont plantées avec un cépage particulier : le chardonnay muscaté. Cet ancien cultivar est très fragile au moment de la fleur. Mais si la météo est clémente à ce moment-là, les jus vont donner des vins qui « muscatent » un peu en bouche. Le vin devient alors extraordinairement aromatique. Récemment, 2018 avec son printemps chaud, présente bien ces caractéristiques oenoleptiques.
Enfin, certaines zones permettent le développement de la pouriture noble permettant de réaliser des chardonnay doux. Les raisins surmuris et atteints de botrytis sont localement appelés « levroutés », car leur pellicule rappelle la couleur du pelage de lièvre. L’usage s’est maintenant étendu et le terme désigne des vins doux - allant jusqu’à 18 g/l de sucre résiduel, même sans pourriture noble.
Domaine Sangouard-Guyot, du Pouilly-Fuissé
C’est Clémence Vandenbroucke qui commercialise les vins de Pierre-Emmanuel et de Catherine, qui raconte le Domaine. Situé à Vergisson, celui-ci compte 15 hectares de chardonnay. Onze d’entre eux font de l’appellation Pouilly-Fuissé, qui est un peu la star de la région. Le terroir argilo-calcaire avec les roches emblématiques de Solutré et de Vergisson donne aux vins une minéralité particulière. La notoriété des vins est historique, portée par des négociants qui ont su vendre les vins très vite à l’étranger, notamment aux Etats-Unis. Le style est généralement un peu plus boisé que les vins du Mâconnais, ce qui n’a pas été pour déplaire à certains anglo-saxons au moment où les barriques étaient très en vogue.
Clémence explique que le Domaine réalise trois cuvées distinctes. Authentique est réalisée en cuve et Ancestrale est faite à partir de raisins de la parcelle du grand-père, avec des barriques de 3 à 5 ans, donc un bois très fondu en bouche. Quintessence, par contre, est réalisée avec des fûts de moins de trois ans. La demande est forte. 60% des vins partent vers l’Amérique et le domaine arrive rapidement en rupture de stock. Un Pouilly-Fuissé se garde typiquement plus qu’un Mâcon. Son apogée tourne autour de 3 à 5 ans, un peu plus pour Quintessence, tandis qu’un Mâcon culmine plus autour de 2 à 4 ans. Et si un Pouilly-Fuissé coûte environ 20€, donc un peu plus qu’un Mâcon ou même qu’un Saint-Véran, ça reste tout de même beaucoup moins onéreux que les vins de la Côte de Beaune, rappelle la malicieuse Clémence.
Domaine Luquet à Fuissé : le terroir
Au cœur du village de Fuissé se trouve le domaine de la famille Luquet. Fondé en 1878, celui-ci compte maintenant 30 hectares et la famille produit toutes les appellations de la région, à l’exception du Viré-Cléssé. Parmi les 7 ha de Pouilly-Fuissé, Patrick explique qu’environ 1 hectare vient de passer en classification 1er Cru. L’INAO, après 13 années de travail, vient en effet en 2020 de décerner la mention de 1er Cru à certaines des parcelles les plus qualitatives de l’appellation. Bien sur le cahier des charges est aussi plus restrictif ; par exemple les rendements doivent être plus faibles, pour concentrer les jus. C’est aussi une fierté pour les vignerons et une reconnaissance par leurs pairs en Mâconnais, indique Patrick. Il y a pour ces vins une régularité sur les prix. Certains de leurs clients viennent depuis plusieurs générations. Les Luquet vinifient aussi un peu de Pouilly-Loché, une mini appellation qui comme sa voisine Pouilly-Vinzelles se trouve à l’extrême Est de Pouilly-Fuissé. La mode du boisé est arrivée dans les années 1990 pour répondre à une demande américaine. Nii son grand-père ni son père ne faisait. Lui oui, mais avec modération pour seulement 6 cuvées sur 17. Le bois peut être une facilité, mais qui masque parfois le terroir.
S’ils ne sont pas certifiés bio, les Luquet en sont très proches. Et le vigneron utilise réellement un minimum d’intrants : pas de levures, pas d’enzymes, d’acide tartrique… Et il serait partisan de le faire figurer sur les étiquettes. Il n’a d’ailleurs pas de laboratoire œnologique qui le suit.
Et les rouges ?
Si toute la région du Mâconnais était, avant la crise phylloxérique, essentiellement plantée de gamay, il faut bien avouer que le vin rouge n’est presque plus présent de nos jours. En fait, les meilleurs se trouvent au nord et au sud de la zone. Au nord, les sols et le climat qui se rapprochent le plus du reste de la Bourgogne sont adaptés au Pinot noir, l’appellation devient alors régionale : Bourgogne Pinot noir. Car même si l’appellation Mâcon permet de faire du vin rouge avec du pinot noir, la notoriété mondiale de la Bourgogne et de son cépage emblématique l’emporte commercialement.
Au sud, le sol qui commence à être un peu granitique - on se rapproche du Beaujolais - est adapté au cépage Gamay. L’appellation revendiquée est alors Mâcon rouge. Mais rares sont les vignerons qui en font et beaucoup avouent que lorsque leurs plants seront trop vieux, ils les remplaceront par… du Chardonnay.
On retiendra donc de cette région trop méconnue qu’elle offre une gamme complète de chardonnay, des très simples aux plus complexes, mais tous avec une belle fraicheur et certains des arômes particuliers, loin des classiques blancs de la Côte de Beaune. Et encore que le vin reste ici abordable ; mais ne le répétons pas trop !
