Découvertes

Champagne, la diversité des styles

On parle souvent à tort « du » champagne. Mais ce vin de plus de 300 ans d’existence, provient actuellement de 34 300 hectares de vigne, répartis sur 5 départements français. On en déduit que, bien qu’ils partagent des caractéristiques communes, les styles ont beaucoup divergé. Revenons rapidement sur les fondamentaux du champagne avant de rencontrer un passionnant panel de vignerons, négociants et coopérateurs qui partagent avec nous leurs visions.

Le changement climatique ne permet plus tout à fait aux Champenois de clamer cultiver le seul vignoble au nord de l’Europe. On travaille maintenant la vigne au sud de l’Angleterre, en Belgique ou au Luxembourg, à des latitudes plus extrêmes encore. Mais ces vignobles sont de dimension limitée, tandis que la Champagne produit en moyenne 230 millions de bouteilles par an ; à 49.5° de latitude nord ! On retiendra donc une première caractéristique due à un climat rude :  la fraicheur des vins, conséquence directe d’un ensoleillement timide (1629 heures par an à Reims, contre 2069 à Bordeaux).

Un terroir particulier

Un second trait commun aux vins de Champagne provient de la géologie du sous-sol. Celui-ci est essentiellement constitué de craie. Si celle-ci plait à la vigne en jouant, par porosité, le rôle de réservoir hydrique, elle est fondamentale pour le dégustateur. Elle apporte une minéralité particulière. On notera bien sur que les sédiments affleurants peuvent varier : craies, marnes et calcaires proprement dits. Certes, dans la région de la Côte des blancs près d’Epernay, la craie affleure, tandis qu’elle est plus profonde sur la montagne de Reims, et que dans la Vallée de la Marne les sols sont plus marneux ou siliceux, mais dans l’ensemble le champagne contient et exprime un « goût de craie » caractéristique.

 

Une méthode adaptée

Pour transformer des jus si vifs et faire face certaines années à des aléas, les Champenois utilisent une méthode particulière. Une première fermentation transforme le jus en vin tranquille. Puis le temps joue son rôle. Un élevage de ces vins clairs, suivie d’une longue seconde fermentation en bouteilles, permet d’obtenir l’effervescence, mais aussi au vin de se bonifier. Le mordant de l’acidité est remplacé par une fraicheur appétissante. De plus, cette seconde fermentation génère des arômes plus complexes et personnalisés qui viennent ajouter une sapidité supplémentaire.

L’assemblage de vins provenant de parcelles distinctes ainsi que de lots de réserve de millésimes antérieurs, donne également accès à une palette complexe d’arômes. Enfin le dosage – ajout final en sucre pour équilibrer le vin – est l’occasion pour le vigneron de parfaire son travail. Si certains utilisent un moût de raisin concentré, d’autres ajoutent de vieux vins, du cognac, le miel de leur exploitation...

Cette « recette », maintes fois copiée de par le monde, s’appelle la « méthode traditionnelle ». Mais les Champenois veillent sans relâche à être les seuls à pouvoir la nommer « méthode champenoise ».

 

Bollinger : complexes assemblage, et cap vers le parcellaire

La Maison, située à Aÿ, a été fondée en 1829. Elle possède 178 hectares de vigne et achète des raisins à peu près en quantité équivalente. C’est Denis Bunner, l’adjoint au Chef de caves qui répond à nos questions. Cet œnologue, ancien du CIVC, a posé après son arrivée dans la Maison une question. Quel est le style Bollinger ? Comment le définir ?

Un travail conjoint de recherche a porté la réponse : le « fruit dans tous ses états », c’est-à-dire frais, mûrs et secs. Les arômes de fruits frais proviennent des vins de l’année. Pour être conservés, les vinifications ont alors lieu en cuve inoxydables. Les arômes de fruits mûrs proviennent de vins de réserve et de lots vinifiés sous-bois. La Maison utilise en effet 4 000 fûts ! Enfin les arômes de fruits secs, et de pain grillé sont à créditer aux vins de réserve stockés en magnum. Cette technique est originale car les vins de réserve sont habituellement gardés dans de grandes cuves inertes. Mais là les vins de réserve sont stockés avec leur lies dans de petits contenant, 1,5l, fermés avec un bouchon de liège retenu par une agrafe. Ils entrent ensuite dans 5 à 10% de la Spéciale cuvée. Ce vin, qui est le brut sans année de la Maison, contient au moins 60% de pinot noir et compte pour 80% de la gamme. Il est conservé 3 années pour la seconde fermentation, et est ensuite dosé autour de 6 grammes de sucre par litre.

Dennis Bunner explique que le dosage optimal est déterminé en dégustant une gamme à l’aveugle, dans laquelle on ajoute de 0 à 10 g. Il n’y a pas si longtemps, le choix se portait sur celui à 7 ou 8 grammes. Pourquoi choisit-on maintenant seulement 6 g ? Parce que les vins de base sont naturellement plus mûrs et demandent moins d’ajout. Et ce n’est là qu’un faible aperçu de l’incroyable travail en cave, puis d’assemblage, réalisé chez Bollinger.

La Maison innove aussi. L’énorme majorité de ses vins sont des assemblages de jus provenant de différents villages champenois. Quelques rares cuvées sont parcellaires, telle les Vieilles Vignes françaises, ou bien la Côte aux enfants, un pinot noir non effervescent produit en Coteaux champenois. Mais il existe maintenant aussi une version intermédiaire : une cuvée 100% pinot noir, assemblage de plusieurs années, mais dont le cru principal est un village sélectionné chaque année. Ce village est indiqué, à qui sait le lire ! « PNVZ15 » signifie ainsi que le jus majoritaire 2015 provenait du village de Verzenay. Il fut de même pour PNVZ16, avec les jus de l’année suivante. Mais pour les jus 2017, la cuvée est encore nommée PNXX17. Le choix du village n’est en effet pas encore communiqué. Cette création est-elle la 1ere étape avant un vin totalement parcellaire ? « Peut-être », sourit Denis.

Besserat de Bellefon, les fines bulles

Cette vieille Maison née en 1843 appartient depuis les années 1990 au Groupe Lanson et est maintenant basée à Epernay. 15 à 20% des jus proviennent de leurs propres vignes, le reste étant des contrats d’approvisionnement.

Cédric Thiébault, Chef de caves et dans la Maison depuis 1999, explique tout d’abord que la « sensation Besserat de Bellefon » a maintenant été généralisée à toutes leurs cuvées. De quoi s’agit-il ? Avoir un champagne qui donne l’impression de crémer quand on le verse dans une flute, lui apporter plus de légèreté et une mousse soyeuse. Comment l’obtenir ? En réduisant volontairement l’effervescence autour de 4,5 à 4,8 bars, quand la majorité des champagnes sont autour de 5,5 à 6 bars.  L’appellation champagne permet en effet des pressions pouvant descendre jusqu’à 3 ou 3,5 bars. Pour une pression moindre, il faut utiliser moins de liqueur de tirage lors de la seconde fermentation. L’idée est venue en 1930 en recherchant une légèreté permettant à un champagne d’accompagner tout un repas. Moins de gaz donne en effet des bulles plus fines ; le scientifique Gérard Liger-Belair l’a ainsi démontré. Si chez Besserat de Bellefon cette pratique a d’abord été réservée à la cuvée des moines, elle est maintenant généralisée à toutes les cuvées. De même la bouteille de forme spéciale de la cuvée est maintenant utilisée pour toute la gamme.

La signature de la Maison inclue également de ne pas rechercher la fermentation malolactique. Si elle peut parfois se produire en bouteille, rien n’est ajouté au vin qui la favoriserait. Ceci permet de lui conserver plus de fraicheur. C’est une tendance suivie par de plus en plus de vignerons affirme le Chef de caves.

Ici aussi les dosages baissent. Quand il y a 15-20 ans on ajoutait de 11 à 12 g de sucre avant la fermeture définitive de la bouteille, on tourne maintenant autour de 8 g. La clientèle est de plus en plus connaisseuse et Besserat de Bellefon en cible une toute particulière, des amateurs de vins éclairés qu’elle touche par le biais de la belle restauration et des cavistes.

Le brut sans année, dénommé « Bleu brut » et élevé 3 ans, contient 50% de vin de réserve et les 3 cépages classiques. Mais contrairement à beaucoup, chez Besserat de Bellefon il ne représente que 50% des ventes. La ligne Elégance qui comprend un blanc de blancs fait avec des jus provenant de villages Grand Crus compte lui pour un quart. La Maison maintient en effet toute une gamme, dont quelques curiosités. Ainsi, si elle ne compte pas de demi-sec, la cuvée Brigitte Bardot, surtout destinée à l’export, est dosée à 20 g/l. ! « Mais elle utilise des pinot noirs plantés pleins nord », précise Cédric Thiébault. Pas d’excès de sucre en bouche donc !

 

Mandois, bio et inventif

Champagne Mandois est une vieille, très vieille Maison familiale car ses racines remmontent jusqu’à 1735. Aujourd’hui, c’est Claude Mandois, 60 ans, qui la dirige. Il est la 9e génération, et est revenu travailler avec son père en 1982. La Maison est située à Pierry et compte 37 hectares, donc 33 cultivés en agriculture biologique. Toutefois, compte tenu des 3 années nécessaires pour garantir un sol sans résidus et de la longue durée d’élaboration du champagne, les premières bouteilles certifiées ne seront vendues qu’en 2024. L’été 2021 a été très humide, même si la Côte des blancs et la Côte de Cézanne où se trouvent les vignes Mandois n’ont pas été les plus touchées de la Champagne. Pour autant, pas question pour Claude de céder aux sirènes et d’asperger pour lutter contre le mildiou. Tant pis si le volume sera bien moindre, la famille dispose de stock pour tenir. Le vigneron est homme de conviction.

Ici, le Brut Sans Année représente 50% des ventes. Compte tenu du lieu, le blanc de blancs, un 1er Cru millésimé 2016 se vend également bien. Le style est délicat avec une bonne longueur et pas massif ; c’est ce qu’aime Claude. Le labour des sols, lui assure aussi une meilleure fraicheur. Le dosage est à 6 g/l, alors qu’il était à 12 g il n’y a que 25 ans. Partout les quantités de sucre baissent. Pour Claude, cela s’explique à plusieurs titres. D’abord les jus sont plus murs, changement climatique et vendange faite à meilleure maturité. Pas besoin donc de lutter contre une acidité excessive. De plus, eux ont augmenté leur part de vins de réserve dans les cuvées de 20 à 40%. Or, les vins de réserve ont toujours un peu moins d’acidité que la dernière vendange. Enfin, les goûts des consommateurs ont évolué. L’élitiste ne veut pas de sucre. Si Claude produit toujours un demi-sec, c’est surtout à destination d’une clientèle âgée et fidèle.

La Maison produit aussi le Clos Mandois, une micro cuvée de 3 à 4 000 bouteilles faite à partir d’une parcelle de pinot meunier. Celle-ci, effectivement close, est à Pierry sur les coteaux sud d’Epernay où le meunier est classique. Classé en 1er cru, le vin est naturellement riche en sucre et en acidité, une très bonne chose pour une vinification haut de gamme. Elevé pendant 10 ans au minimum, bouché liège, avec aussi un passage en demi-muids, bâtonné et non filtré, et sans fermentation malolactique, il s’agit explique Claude Mandois d’un « after dinner ». Pourquoi ? Parce-que la complexité du vin se révèle avec le temps quand on l’a servi dans un grand verre et qu’il se réchauffe un peu lentement. Il faut donc du temps pour le déguster. Quoi de mieux donc, que de s’y adonner le soir ?

Enfin, un couple de vins : cuvée nord - venant de Chouilly, et cuvée sud - venant de Vertus, est vendu dans un coffret unique. C’est une idée originale et pédagogique pour bien montrer la différence entre les deux terroirs.

 

Dom Caudron, du pinot meunier !

L’histoire est belle. Aimé Caudron, abbé du village de Passy-Grigny et bon vivant proposa, au début du XXe siècle, aux producteurs de raisins du village chez qui il aimait banqueter, d’unir leur force et de faire leur propre vin de champagne. En 1929 naissait ainsi la coopérative Dom Caudron, mise en commun des ressources de 23 vignerons. Plus tard d’autres rejoignirent l’entreprise. Mathilda Tedeschi, nouvelle venue chargée de communication, indique qu’ils sont maintenant 90 coopérants, tous basés dans le village d’origine ou dans ses proches environs.

Nous sommes ici dans la Vallée de la Marne, avec des sols à tendance marneuse, argileuse ou sableuse. C’est donc le pinot Meunier, plus apte à résister à des conditions climatiques difficiles qui est essentiellement planté. Les vins qu’il donne sont souples et fruités, et évoluent un peu plus vite dans le temps.

La coopérative se décrit donc logiquement comme « conjugueurs de meunier ». Prédiction est un brut sans année, 100% meunier, sans beaucoup de vin de réserve, et actuellement composé de la vendange 2018. Il est dosé à 9 grammes par litre. Une autre version 100% meunier existe aussi à partir de vignes de plus de 50 ans, ce qui n’est pas si courant en Champagne. Le système racinaire plus développé donne des jus et donc des vins plus complexes, pour une cuvée de prestige.

Mais la coopérative propose aussi un autre blanc de noirs également uniquement fait de meunier, mais dont la moitié sont passés en fûts de chêne. C’est assez original, car l’usage du bois reste rare dans la région et demande beaucoup de finesse. C’est pourquoi les fûts sont d’abords saturés en eau et des bâtonnages sont régulièrement effectués. Cette cuvée, Cornalyne, est vieillie 7 années, et dosée également en brut. Elle se veut gastronomique, pour accompagner un repas riche.

Enfin, un rosé d’assemblage de meunier : vinifié en blanc et en rouge, avec une touche de chardonnay, complète la gamme. Là aussi le dosage est à 9 g/l.

 

J. M. Gobillard & fils, toujours une large gamme

C’est maintenant Thierry Gobillard, un peu plus de 60 ans, qui est à la tête de cette entreprise familiale qui produit plus de 1,5 millions de bouteilles de champagne chaque année. S’ils disposent en propre de 33 hectares de vigne, les Gobillard achètent donc sous contrat l’équivalent de 160 hectares de production, répartis sur toute la Champagne et gérés par une société de négoce. Mais une partie importante provient de Hautvillers et de ses environs. De plus la Maison dispose également d’une activité de pépiniériste. La production des cépages champenois a été lancée dans la famille par leurs ancêtres Jean-Marie et Françoise Gobillard, et a fortement contribué au succès familial.

C’est en effet à Hautvillers qu’est située l’entreprise, c’est-à-dire le village du célèbre Dom Pérignon. Ce fameux voisin est d’ailleurs enterré dans l’église du village, et l’abbaye ainsi que sa tombe drainent un tourisme issu du monde entier. L’occasion pour les Gobillard d’ouvrir un caveau de dégustation de leur champagne, juste à côté. Une large gamme y est dégustée. Le succès est au rendez-vous, car la vente en direct représente environ 7% du chiffre d’affaires de la Maison.

Chez les Gobillard, Thierry explique que si la gamme proposée est large, cela a toujours été ainsi. Il faut pouvoir proposer du champagne sous tous ses aspects. Le Brut Sans Année ne représente ainsi qu’environ 1/3 des ventes et doit batailler avec pas moins de 10 autres cuvées, sans compter le classique ratafia fait de marc et de jus de raisins frais. Ceci nécessite un chai important et de nombreuses cuves. De même, cela complexifie les vinifications. Citons ainsi un champagne blanc de blancs et un blanc de noirs, un champagne millésimé, la cuvée des moines – un champagne élevé sous-bois, un rosé… La Maison compte aussi un champagne demi-sec, recommandé pour accompagner les desserts.

Mais il y a aussi des créations. « Les gens sont friands de nouveautés », explique Thierry. La Maison propose ainsi Cuvée 5, un assemblage original où cohabitent non seulement les 3 cépages champenois habituels – chardonnay, pinot noir et pinot meunier – mais aussi les biens moins connus arbane et petit-meslier. Car ceux-ci, historiques, sont bien autorisés dans le cahier des charges de production du Champagne. Et il y a en préparation une Cuvée 6, où le pinot blanc sera de la partie.

Avec les quarante années qu’il a consacré au vin, Thierry revient sur les grandes tendances. « Il faut suivre la mode », indique sans détours le Chef d’Entreprise. « Oui bien sûr le taux de sucre a baissé et le dosage tend à aller vers celui de l’extra brut ». Un autre aspect est le parcellaire. Eloge du chardonnay était déjà une cuvée blanc de blancs, premier pas dans cette direction. Mais la Maison lancera en 2022 une cuvée 1er cru issue d’un terroir de vieilles vignes. Les vins sont élevés en cuve en grès, pour en complexifier les arômes.

 

Gosset, l’important c’est le vin, pas les bulles

 

Cette vieille Maison de négoce – Aÿ 1584 - est maintenant propriété de la famille Cointreau. Les raisins sont tous achetés, par contrat, indique Odilon de Varine qui est le Chef de Caves. Cet œnologue précise d’ailleurs que chez eux, toutes les dégustations sont toujours faites à l’aveugle. Et contrairement aux idées reçues, la part de chardonnay l’emporte maintenant sur celle du pinot noir.

Pour toutes les cuvées, la fermentation malolactique est soigneusement évitée. L’acide tartrique et l’acide malique sont ceux qu’on trouve naturellement dans le raisin, on se doit donc de les conserver. « C’est le vieillissement sur lies qui donne au vin sa matière », précise l’œnologue. « De même, le Champagne est avant tout un vin, la bulle n’est qu’un constituant. C’est le terroir et la durée sur lie qui importent », insiste-t-il. « L’important c’est le vin, pas les bulles ! Ne parlons pas des bulles. »

La Grande Réserve est le champagne Brut Sans Année chez Gosset. Il est placé dans un flacon reproduisant précisément celui utilisé par la famille au XVIIIe siècle. La cuvée représente environ 45% des ventes. « C’est un assemblage de chardonnay et de pinot noir, avec une touche de pinot meunier. La part de vins de réserve ne compte que pour 15% », indique Odilon. Car la méthode en Champagne, c’est un vieillissement sur lies (NDLR : les vins de réserve sont généralement stockés en cuve). Ils sont donc utilisés en petite quantité, comme des épices en cuisine. Le dosage est d’environ 8 g/l.

La cuvée Extra Brut est une nouveauté. « Oui, beaucoup demandent une baisse des dosages, pour de multiples raisons », indique Odilon. « Et d’ailleurs les dosages tournent autour de 5 à 8 g pour les bruts ; ce ne sont plus les 11 à 12 g d’autrefois. Mais en réalité, certains n’aiment pas forcément les très bas dosages. Il faut se méfier des modes. Chez Gosset, contrairement à certaines grosses Maisons, on n’a jamais dosé ici en fonction des marchés d’export. L’Extra Brut est réalisé avec un assemblage différent ; une majorité de pinot noir et de pinot meunier venant de la région d’Epernay, sur craie affleurante. Et ici la fermentation malo lactique, qui réduit la perception de l’acidité est possible. Ceci permet d’obtenir un équilibre en bouche, tout en affichant un dosage très léger. La bouteille utilisée est donc distincte.

La ligne Celebris révèle le haut de gamme de la Maison. Un champagne élevé au moins 12 années en cave. Pourquoi ne pas faire figurer la date de dégorgement sur la contre étiquette ? « Si le champagne n’est généralement pas conservé chez le consommateur, ça n’est pas le cas chez nous », dit Odilon. « Ce vin n’est réellement produit que dans les années exceptionnelles, des millésimes où la fraicheur était particulière. Certes, après dégorgement le gaz va doucement s’échapper. Mais au bout d’un certain temps, la bulle a fait son office. L’important reste la durée, sur lies ! ».

 

Barfontarc, fruité du pinot noir

Ce curieux nom puise son origine dans celui des trois villages BARoville, FONTaine et ARConville de la région de la Côte des Bars, plein sud de la Champagne. C’est là en effet que les vignerons se sont associés en 1962 pour créer une coopérative près de Bar sur Aube. Nicolas Vallée, nouveau responsable commercial depuis avril, explique que la coopérative est centre de pressurage de raisins pour d’autres, et commercialise l’équivalent d’une trentaine d’hectares sous la marque Barfontarc. L’entreprise reste relativement indépendante et cela plait : « On en est maintenant parfois à la 3e génération de coopérateurs. Le nombre reste stable. L’esprit reste local, humble ».

Cette région dispose d’un climat distinct. Nicolas, qui réside à Reims et se rend quotidiennement à Bar sur Aube, ne sait ainsi jamais vraiment quelle météo l’attend de l’autre côté ! Le pinot noir de la région a de la structure, mais moins que sur la Montagne de Reims. C’est surtout le fruité qui prédomine, et le côté solaire. Les champagnes sont donc plus faciles à boire, précise-t-il. Or ici, c’est bien le pinot noir qui domine, il représente 95% des raisins cultivés. Le Brut Tradition contient donc logiquement 80% de pinot noir, le reste étant du chardonnay. Il représente environ 80% des ventes. Les bouteilles vendues en ce moment sont basées sur la vendange 2016, avec 24% de vins de réserve. « Quatre ans d’élevage pour un BSA, cela devient rare » souligne Nicolas. D’autant plus que la bouteille coute environ 22€. C’est que la majorité des coopérants sont vignerons, pas des doubles actifs. Ils sont attentifs à ce que certaines cuvées restent accessibles, avec une politique de prix volontairement modérée.

La cuvée blanc de noirs, constituée uniquement de pinot noir donc, pourrait presque être un BSA, tellement le pinot noir est fruité. Mais il est tout de même puissant et s’accorde particulièrement bien avec du jambon de Parme ou du parmesan.

La coopérative a effectué, peu avant le Covid, une série de travaux pour pouvoir recevoir des visiteurs et faire déguster ses champagnes avec des produits locaux. Prendre le temps d’accueillir, rester accessible, s’adresser à tous, proposer des vins consensuels, donner envie de retendre sa flute ; tels sont les mots d’ordre de la Maison et cela participe aussi au style et à l’image.

 

Champagnes aux cent visages

On le voit, il y a une multitude de façons de jouer la partition et autant d’instruments pour l‘interpréter ! On ne peut guère dès lors parler « du » champagne mais bien des champagnes. Préférez-vous le « coup de sabre » et la fraîcheur d’un blanc de blancs ? L’équilibre délicat et la complexité d’un champagne de grande Maison vieillit longuement ? La corpulence et les arômes vineux d’un blanc de noirs ? La gourmandise d’un extra-dry ou d’un demi-sec ?... C’est bien là toute la magie de cette grande région viticole que de proposer une immense palette de vins, qui permet à chacun de trouver aisément « chaussure à son pied », en termes de style comme de budget.