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Champagne : 17 Grands Crus passés au crible
Par Alain Echalier - Photographies : Fournies par les domaines - © Pascal Maillet-Contoz, le 20 février 2023
Quel crédit apporter à la mention Grand Cru en Champagne ? Et d’ailleurs d’où vient-elle ? Nous allons tout vous dire sur l’historique, la définition et les nuances entre ces 17 pépites du terroir champenois, avec en point d’orgue l’interview de dix producteurs implantés dans les différentes communes concernées.
Une linotte mélodieuse chante dans les vignes de Champagne Paul Déthune.
Que signifie le terme « Cru » dans l’univers du vin ? me demandent souvent mes amis quand ils visitent la France. Le dictionnaire nous répond qu’il s’agit de « l’Ensemble de terres considéré du point de vue de ce qui y croît, d'une culture particulière ». Et le premier exemple donné parle de… « beurres français, normands et bretons » ayant des goûts distincts, questions de crus ! ». On comprend donc que la notion de crus dépasse bien le monde du vin, et fait référence au terroir d’origine de tout ce qui touche à la gastronomie. D’ailleurs, l’étymologie même du mot vient de « croitre ». Le produit de bon cru est donc celui qui croit sur un terroir réputé et qui, par extension, est de bonne qualité.
En Champagne, un « Cru » est… un village
En matière de vins, les meilleurs Crus, c’est à dire les Grands Crus, ont des définitions qui varient d’une région viticole française à l’autre. En 1855, les Bordelais ont choisi pour le Médoc de classer des Châteaux (Château Latour est un Premier Grand Cru Classé). Les Bourguignons ont privilégié une approche par parcelles (Le climat nommé « Musigny » est un Grand Cru de la Côte de Nuits). Pour la Champagne, la formalisation a eu lieu plus tard, en 1911. Elle fonctionne par commune : le village de Verzy par exemple, est un Grand Cru de la Montagne de Reims.
Les rangées de vignes de Aÿ Champagne par Champagne Collet.
Classification pour pacifier !
Le marché de production du champagne a pour singularité d’être partagé entre des viticulteurs qui font pousser des raisins, raisins achetés par les Grandes Maisons de Champagne (les marques, telles Gosset, Pommery…). Mais certains viticulteurs réalisent aussi eux même leurs propres champagnes, ou bien sont adhérents au sein de coopératives pour l’élaborer. Il y donc pluralité d’acteurs, aux intérêts parfois fort divergents.
Le manque de raisins causé par le phylloxéra au tournant du XXe siècle provoqua ainsi une forte crise. En plus, en 1907 et 1910, orages et gels donnèrent de mauvaises récoltes. Plutôt que d’avoir à augmenter le prix d’achat du raisin raréfié, les Maisons de champagne s’approvisionnèrent alors… en dehors de la zone d’appellation de l’époque. S’ensuivirent des émeutes et des « manifestations punitives » envers certains négociants.
Afin de revenir au calme, le marché de production fût réorganisé. Et c’est à cette occasion qu’une échelle des Crus, déjà utilisée par certains, fût généralisée. Elle classe toutes les communes de l’aire d’appellation champagne avec un pourcentage, entre 80 et 100 %. Celui-ci reflète la part du prix du kilo de raisin fixé chaque année dont doivent s’acquitter les négociants vis-à-vis des viticulteurs. Certaines communes ont obtenu un score de 100%, ce sont les Grands Crus champenois. Il y en eut d’abord quelques-unes seulement. Par la suite, l’échelle fût revue à plusieurs reprises et ce chiffre distingue aujourd’hui 17 communes.
Chardonnay Dom Legras Frapart.
Classification basée sur le sous-sol ?
L’histoire de l’évolution de l’échelle des Crus champenois montre que les critères utilisés pour attribuer le fameux pourcentage furent assez variables. En fonction des récoltes et de l’abondance ou non des raisins, mais aussi des négociations ayant lieu village par village entre viticulteurs et Maisons de champagnes, certains viticulteurs ayant parfois des vignes dans plusieurs villages, l’échelle changea de nombreuses fois. Les scores évoluèrent, parfois distincts pour les raisins blancs ou les raisins noirs, des villages furent intégrés à l’aire d’appellation… alors, voyons quels sont vraiment les critères ?
En Champagne, tous s’accordent pour dire que c’est le sous-sol crayeux qui fait la qualité des raisins. D’ailleurs parmi les 17 Grands Crus, 11 sont des villages de la Montagne de Reims et 6 sont dans la Côte des blancs. On n’en trouve ni dans la vallée de la Marne, ni dans l’Aube, pas même dans la Côte des Bar. Or, Montagne de Reims et Côte des blancs possèdent des sous-sols avec une craie qui parfois affleure et est ultra profonde. On peut donc estimer qui si l’échelle fût approuvée entre professionnels, elle relève, avant tout du sous-sol, mais probablement aussi des micros-climats locaux et peut être quelquefois un peu des rapports de force conjoncturels.
Le droit communautaire européen qui proscrit les ententes, fit disparaitre la rémunération basée sur l’échelle des crus à partir de la vendange 2004, redonnant une liberté des prix. Mais les villages Grands Crus purent conserver cette désignation devenue historique.
Les rayons du soleil sur Ambonnay.
Grandes Maisons et Vignerons face à face
Celebris, Dom Perignon, Cristal, La Grande Dame, Comtes de Champagne, Dom Ruinart… Parmi les champagnes de prestige des grandes Maisons on ne trouve guère de mention « Grand Cru » sur les étiquettes !
En effet, même si la plupart des raisins qui les constituent proviennent généralement des 17 communes disposant de la fameuse désignation, la réglementation impose cela soit le cas pour la totalité des raisins, si l’on souhaite apposer la mention « Grand Cru ». Or, la production de ces communes est bien insuffisante pour les volumes requis. Les Grandes Maisons les assemblent donc aussi avec des raisins provenant d’autres Crus apportant leurs qualités complémentaires.
En revanche, les viticulteurs qui vinifient eux-mêmes leur champagne et qui ont la chance de disposer de parcelles dans des villages Grands Crus revendiquent souvent cette mention. Quelques-uns vendent aussi une partie de leurs raisins Grands Crus aux Maisons de champagne. Raisins qui sont toujours achetés plus chers, que ceux provenant d’autres communes. Aujourd’hui personne ne nie donc la supériorité de quelques terroirs, mais seuls certains l’utilisent pour communiquer. Ces communes situées au sommet de la pyramide des terroirs sont : Ambonnay, Aÿ, Beaumont sur Vesle, Bouzy, Louvois, Mailly-Champagne, Puisieulx, Sillery, Tours-sur-Marne, Verzenay, Verzy, Avize, Chouilly, Cramant, Le Mesnil-sur-Oger, Oger et Oiry. Et maintenant, en route pour un road-trip au sien de l’élite champenoise !
Edouard, Sylvie et Michel à Champagne Lancelot-Royer.
Cramant, Champagne P. Lancelot-Royer
C’est Michel Chauvet, époux de Sylvie Lancelot, qui présente la Maison située dans cette commune de la Côte des blancs. Tous deux forment la 5e génération ; Le fils, Edouard Chauvet, prendra la relève. Ils exploitent 5,3 hectares, dont 3 en Grand Cru à Cramant, mais aussi, Avize et Oger. Naturellement, ils ne produisent donc que du blanc de blancs.
Michel rappelle que « Cramant » vient de « craie ». C’est elle qui fait le Grand Cru. Si on trouve de la terre sur 50 cm, les racines de la vigne plonge ensuite dans la craie. Et c’est fort bénéfique. Un exemple ? L’été 2022 qui a été si chaud et sec n’a pas trop fait souffrir leur vigne en Grand Cru : le calcaire est spongieux ; par capillarité l’eau y est gardée.
Les vignes à Cramant dans la Côte des Blancs.
D’ailleurs ils réalisent un champagne millésime 100% Cramant qui passe 7 années en cave. La cuvée 2015 sortira début 2023. Depuis la fin du Covid, la clientèle semble demander de plus en plus les plus grande cuvée, remarque Michel. Or Cramant à une superbe renommée ! Danemark, Pays-Bas, Etats-Unis et Japon sont demandeurs.
Les Grands Crus sont recherchés, ajoute-t-il. D’ailleurs, ils vendent aussi un peu de raisins à la Maison Billecart-Salmon. Et quand 1 kg d’un Cru basique coûte de 5 à 6 euros, les raisins des Grands Crus tournent autour de 8€. C’est souvent la Maison Moet & Chandon, celle qui produit le plus, qui « donne le la » (ndlr : qui fixe le prix du kg chaque année) ensuite, les autres s’alignent.
Les vendanges au domaine Legras-Frapart.
Bouteilles avec agrafes et liège dans les caves du Domaine Franck Bonville.
Oiry/Chouilly, Champagne Legras-Frapart
Situé à Oiry, cette micro-Maison de moins de 2 hectares, exploite des vignes dont la majorité sont à Chouilly. Classiquement, il faut 3 hectares pour pouvoir vinifier son propre champagne, explique Gaylord Legras. Aussi lui cultive le raisin, mais est également formateur en commerce au Lycée viticole de la Champagne.
A Chouilly, ses vignes de chardonnay datent de 1939 et de 1958, de vieilles vignes donc. Elles poussent sur deux parcelles situées à 300 m l’une de l’autre, et avec la même inclinaison de coteau. Aussi s’il vend la majeure partie de ses raisins, Gaylord élabore avec le reste une cuvée quasi parcellaire.
Un Grand Cru, c’est, indique Gaylord, un champagne dont la typicité est plus identifiable, a fortiori quand il s’agit d’un vin mono cépage comme le sien. D’ailleurs pour sa clientèle, la mention de Grand Cru est parlante, notamment en Suède où il vend son champagne – son épouse est suédoise.
Il travaille lui-même ses vignes avec l’aide d’un ouvrier agricole. Disposant de vins de réserve des deux mêmes parcelles, ils les ajoutent à la vendange en cours à la hauteur de 20%. Le Champagne est ensuite vieilli 7 ans et est dosé autour de 6 g de sucre par litre. Quand il est commercialisé son vin développe des arômes de pain grillé et de noix, mais même s’il est Grand Cru, ne gagne pas vraiment à être conservé de longues années. Buvez-le dans les 1 à 2 ans, suggère Gaylord. A une Vingtaine d’euros la bouteille, on n’hésite pas.
Gaylord Legras combine viticulture et enseignement du commerce.
Avize, Champagne Franck Bonville
C’est Ferdinand Ruelle-Dudel, qui travaille avec Olivier Bonville, 4e génération de la famille, qui présente la Maison. Lui fait beaucoup de commercial et un peu de cuverie, Olivier faisant l’inverse.
La Maison exploite 15 hectares dont 9 à Avize, 4,5 à Oger et 1,5 au Mesnil sur Oger. Ils ne produisent donc que des Grands Crus et ne cultivent que du chardonnay. Interrogé sur le sens contemporain d’un « Grand Cru », Ferdinand rappelle qui si l’échelle des Crus n’est plus active, cette classification basée sur le négoce représente une réalité de raisins. Grosso modo, dit-il, prenez une carte, repérez les zones ou la craie affleure et avec des villages tournés vers l’est, et vous avez les Grands Crus champenois.
Olivier Bonville et Ferdinand Ruelle-Dudel.
Eux font des assemblages Avize + Oger. Les jus d’Avize présentent souvent beaucoup de fraicheur avec des notes de fleurs blanches, des agrumes et une certaine salinité toute minérale en finale. Oger est plutôt situé dans une cuvette ; les sols sont un peu plus profonds, et de fait les jus sont plus généreux et gourmands (ndlr : comprenez un peu moins acides et plus fruités). L’assemblage des deux villages est donc tout naturel.
En fait la famille Bonville est originaire d’Oger. Elle vendait ses raisins au négoce. Mais la chute de la demande dans les années 1930 l’a incitée, le foncier étant encore accessible, à acheter des vignes dans les alentours, à Avize donc. Mais à l’époque, tout se faisait au cheval, il fallait donc rester dans un rayon de 2 heures à cheval, maximum. Ceci explique leur grand nombre de parcelles, mais toutes finalement assez proches.
D’ailleurs la Maison, qui élabore aussi des champagnes mono-crus - Avize, Oger et le Mesnil –reconnait que Le Mesnil est peut-être le plus prestigieux des trois du fait de la présence du champagne Salon ou du Clos du Mesnil de Krug, ne dévalue pas pour autant son cru Oger. Chez les Bonville, on aime Oger !
Enfin, ils participent aussi à une association : Les Grands Crus d’exception, qui élabore conjointement une cuvée comprenant tous les 17 Grands Crus champenois. Mais ce vin nommé C17, et qui sortira fin 2022 uniquement en magnum, est déjà entièrement prévendu.
Alfred et Franck Bonville pendant les vendanges.
Epernay, Champagne Lombard
C’est Thomas Lombard, le fils de la famille, et actuel DG qui présente cette exploitation familiale. Si elle possède 5,5 ha de vignes en 1er Cru, la famille fait aussi du champagne en tant que négociant (NM) à partir de 55 hectares, dont 10 sont classés en Grand Cru. Ceux-ci incluent Avise, Cramant, Oger, Ambonnay… Thomas insiste sur le partenariat qui est passé avec les viticulteurs. Si les contrats sont parfois renouvelés année par année, pour certains cette relation a débuté à l’époque de son grand père. Rien n’est imposé, mais la Maison Lombard est très présente. « Il s’agit bien sûr d’achat de raisins », précise Thomas, « et non de jus. Des prélèvements de sols sont faits, nous discutons de la maturité des raisins et nous sommes sur place au moment des vendanges… Les prix augmentent, et avoir de nouveaux partenariats est difficile, car la compétition est forte ».
Thomas Lombard presente une bouteille et son domaine.
Pour lui, le propre d’un Grand Cru est la constance de la qualité des raisins, d’un millésime à l’autre. Les vignes y sont moins sensibles aux aléas climatiques, de par la présence du sous-sol crayeux. Les Lombard réalisent tous les types de cuvées de Grand Cru : des cuvées assemblant plusieurs villages, des cuvées monocru ne provenant que d’un seul village, et aussi des cuvées parcellaires ne provenant que d’une seule vigne. Plus on va vers le parcellaire et plus la clientèle est généralement constituées d’œnophiles, de sommeliers ou de vignerons eux-mêmes. Cela permet des vieillissements en cave longs qui permettent eux même de ne pas doser les champagnes et d’obtenir des notes finales salines et iodées. La Maison joue la carte de la transparence. Les étiquettes peuvent inclure énormément d’information : le terroir, la date de vendange, de mise en bouteille, de dégorgement, le grammage du dosage… et même parfois une carte qui s’ouvre permettant de repérer les parcelles !
L’export constitue à peu près la moitié du volume. Les pays les plus demandeurs de Grands Crus sont pour eux : Italie, Allemagne, Japon, Danemark et Singapour.
Un livret expliquant les sites viticoles du Champagne Lombard.
Thomas Lombard dans ses vignes.
Une barrique dans la cave de Champagne Lombard.
Aÿ et Epernay, Champagne Collet
C’est Carl Cercellier, le Directeur Commercial, accompagnée de la chef de produit Elena Lapie, qui présentent la Maison. En fait, champagne Collet est la marque d’une très grande coopérative, la Coopérative Générale des Vignerons. Celle-ci regroupe 850 adhérents qui travaillent… 850 hectares de vignes, donc beaucoup autour d’Aÿ et d’Epernay. Au total c’est 167 villages, dont les 17 classés en Grand Cru. Carl reprend l’histoire de la Maison : « Malgré la création de l’échelle des Crus de 1911 qui forçait à se fournir en raisins champenois, la 1ère guerre mondiale qui s’est passée dans la région a été terrible, et quelques années après, les vignerons continuaient à peiner. Ils se sont donc constitués en coopérative, la 1ère de Champagne, et une des toutes premières de France. En 1928, Raoul Collet qui en faisait partie et dirigera la Maison pendant 30 ans cède son nom à la marque Maison, et celle-ci devient ensuite « Collet ».
Célébration du centenaire de Cogevi, le 7-8 Oct 21.
Aujourd’hui la Cogevi approvisionne beaucoup de grandes Maisons mais continue à vinifier et commercialiser directement son propre champagne, le champagne Collet. Plusieurs cuvées existent, Brut Art déco mêlant 7 Grands Crus mais aussi 13 1ers Crus, une cuvée prestige contenant 90% de Grands Crus, mais la seule contenant 100% de Grand Cru – et donc labellisée comme telle – est une cuvée parcellaire. 1 hectare situé à Aÿ. « Maintenant, on se situe plus en Bourgogne qu’en Champagne », dit-il en riant, faisant ainsi référence à l’approche terroir extrême des Bourguignons. Cette petite parcelle, qui appartient à la coopérative, produit un champagne millésimé vieillit 8 ans et dosé à 8 g. Celui commercialisé actuellement est le 2012. Ici le Chef de cave est en poste depuis… 28 années.
« Peut-être ferons-nous un jour une cuvée de 17 Grands Crus, puisque nous les avons », indique Carl, « et il y a d’autres projets de Grands Crus en réflexion. Mais il ne faudrait pas déshabiller notre cuvée Art déco pour autant ! » En Champagne, tout doit être minutieusement soupesé.
Villa Collet.
La Maison Champagne au domaine Cogevi.
Ambonnay, Champagne Paul Déthune
Plus au nord, sur la Montagne de Reims, se trouve cette maison dirigée par Pierre Déthune, et qui porte le nom de son père. Elle est située à Ambonnay et elle compte 7 hectares, tous localisés dans ce village Grand Cru. « Ambonnay, c’est 200 à 300 mètres d’épaisseur de craie, surmontée d’un peu d’argile ; ni trop imperméable, ni trop filtrant », explique Pierre. En plus les terres ont une exposition sud, sud-est qui profite du soleil du matin, qui contrairement à celui du soir n’est pas trop chaud. Ici la pluviométrie est modérée par rapport à la Marne, ou même par rapport à l’autre côté de la montagne de Reims où les orages estivaux peuvent être importants. Il semble que la montagne protège des catastrophes et ils sont ainsi peu touchés par la grêle.
Sophie et Pierre Déthune.
Bien sûr on privilégie ici le pinot noir – on parle de « Côte des noirs », avec un ratio de 70%, contre 30% de Chardonnay. Raisins de Chardonnay qui goûtent ici plus fruités et moins minéral qu’en Côte des blancs. Champagne Paul Dethune, c’est 10 cuvées distinctes : avec des vins élevés en inox, en foudre ou en barrique. « Il faut proposer une progression », explique Pierre. Quand on ne connait pas, on commence généralement par l’inox, puis on va vers des vins de plus en plus complexes. Son haut de gamme est une cuvée parcellaire moitié pinot noir et moitié chardonnay élevée en barrique, avec même du chêne provenant de la foret d’Ambonnay. La bouteille est fermée avec une cordelette de chanvre autour du bouchon, clin d’œil aux pratiques historiques.
Pierre prépare aussi une 11e cuvée, sans aucun soufre ajouté. Cela demande une hygiène du raisin parfaite ! Mais le goût est différent, c’est donc pour lui un défi.
Une fermeture à l'aide d'un cordon de chanvre au Champagne Paul Déthune.
Ambonnay, Champagne Laurianne Lejour
Laurianne a débuté en 2016, quand elle a hérité de quelques parcelles de sa grand-mère à Ambonnay. Cette artisane passée par le travail du bois à l’école Boule de Paris hésite : 9 parcelles d’un total d’1,5 hectares mais très qualitatives car situées à Ambonnay et Bouzy… et proches les unes des autres. C’est une opportunité que cette passionnée de métier manuel saisit ! Elle se lance grâce à un ami à Beaumont-sur-Vesle qui lui prête une partie de son chai et de son matériel. Elle travaille elle-même la vigne pour tout ce qui peut se faire à la main : taille, palissage… et bien sur elle presse ses raisins à part, et les vinifie dans ses cuves.
Les Grands Crus, dit-elle, c’est l’observation de la nature par les paysans. Si on met du pinot noir à Ambonnay depuis si longtemps, c’est que c’est un peu mieux qu’ailleurs. La qualité y est plus régulière. Et ça se voit même à la vigne. Par exemple quand il gèle dur ailleurs, sur le coteau d’Ambonnay on ne perçoit que de petits accidents.
Une session de dosage au Champagne Laurianne Lejour.
Laurianne apprécie les vins tendus, épurés et sans fermentation malolactique. Sa gamme est déjà impressionnante. Une partie de ses raisins d’Ambonnay sont ainsi volontairement vinifiés à part, car elle leur trouve une petite amertume agréable, typique du village et qu’elle veut préserver. Les dosages (de 0 à 6, souvent zéro) sont recalibrés précisément chaque année. C’est l’occasion de regrouper quelques confrères et amis, et de leur faire gouter tous les vins avec des dosages en sucre progressant de gramme en gramme. En général, les 9/10e des arbitres choisissent la même chose : « le bon met tout le monde d’accord ! »
Laurianne Lejour devant la presse à raisin.
Beaumont-sur-Vesle, Champagne Paul Sadi
C’est Jérôme Portier, le propriétaire de cette Maison qui la présente. Elle dispose de 6,5 hectares en propre, et achète 2,80 ha de raisins. Mais en fait, ce sont également eux qui cultivent ces raisins. En Champagne, les arrangements sont parfois complexes. On compte parmi eux, 2 ha situés entre Beaumont-sur-Vesle et Verzy. Beaumont a toujours été considéré Grand Cru, « c’est historique », nous dit Jérôme. En sont les causes : L’exposition de ce village de la Montagne de Reims et la proximité d’un pressoir… Mais si Jérôme cultive bien sur un peu de pinot noir, il fait surtout du chardonnay. Un chardonnay différent, qui « pinote » un peu, c’est-à-dire plus structuré, et sur le fruit.
La cave de Champagne Paul Sadi.
En vin clair (ndlr : avant la 2nde fermentation qui apporte l’effervescence) on détecte les jus en Grand Cru indique Jérôme. « Avec eux nous faisons des cuvées mono-communales, et des cuvées parcellaires, mais nous en mettons un peu aussi dans notre Brut sans année, afin de le bonifier ». Et le Champagne Paul Sadi contribue aussi à la cuvée associative C17, tout comme la Maison Franck Bonville citée précédemment. La fermentation malolactique est ici bloquée, afin de garder une tension dans le champagne, et le dosage varie de 8 à 19 g. « Pour nos clients historiques, la mention de Grand Cru sur l’étiquette de la bouteille n’est pas si importante, par contre elle le devient pour attirer de nouveaux clients », nous dit-il. Cela les différencie du Grand négoce. Mais il arrive que certains 1er Crus soient plus chers que des Grands Crus, selon la vinification, par exemple sous-bois. Cela se comprend en fait lorsqu’on les déguste.
Jérôme Portier avec sa femme et ses parents.
Bouzy, La Commanderie Diffusion
C’est M. Beaufort, le gérant, qui présente cette exploitation, dont le nom a été donné par son grand-père dans les années 1930. Situé dans ce village Grand Cru de la Montagne de Reims, connu pour son pinot noir (ndlr : on y faisait même un célèbre Coteau champenois rouge), il nous précise que cela dépend de l’emplacement des parcelles dans le village. Bouzy est effectivement chaud dans l’ensemble et adapté au pinot noir, sauf sur le bas du coteau, qui est plus frais et où le chardonnay est bienvenu. Un peu comme pour les coteaux bourguignons ! Un chardonnay toutefois différent de celui de la Côte des blancs, moins minéral. Il réalise donc un champagne blanc de noirs, composé uniquement de pinot noir, mais aussi un blanc de blancs (100 % chardonnay). Les deux sont vieillis une dizaine d’années, puis dosés en brut de 7 à 9 g/l. Plus rare, il réalise aussi un champagne demi sec dosé autour de 33 g/l. Dans les années 1930, le champagne était une boisson de dessert, ce demi-sec en est une survivance. Mais lui préfère le champagne d’apéritif.
Verzenay, Champagne Michel Arnould & fils
C’est dans cette Maison familiale que Thomas Gibelin est venu travailler, avec son père Thierry et son oncle Patrick Arnould. L’exploitation compte 12 hectares, presque tous à Verzenay, sauf deux dans le village voisin de Verzy. La totalité de leurs champagnes, une dizaine de cuvées, est donc en Grand Cru. Ici on ne vend ni n’achète de raisins, tout est « fait maison ». Thomas explique fièrement que les sols argilo calcaires et la situation nord sur la montagne de Reims explique la puissance du pinot noir de Verzenay. « Les plus racés de Champagne », car charnu et épais en bouche. Il y a de la vigne à Verzenay depuis 1810 et le village était déjà en Grand Cru en 1950 alors que seuls 9 villages en faisaient partie. Et si le village ne compte pas de « vignerons stars », la clientèle ne vient donc tout de même pas à Verzenay par hasard.
La tonnellerie au Champagne Michel Arnould & Fils.
Les Champagnes Patrick Arnould les reçoivent avec plaisir, même si la forte demande les oblige à refuser la vente à toute nouvelle clientèle. Là aussi pour les clients les plus simples, le label « Grand Cru » qui figure bien sur les étiquettes, constitue la 1ere accroche. Mais dès qu’ils sont plus exigeants, « Verzenay », voir même l’indication précise des parcelles, deviennent LE sujet. Aussi la Maison qui travaille 52 parcelles distinctes se dirige-t-elle progressivement vers de plus en plus de parcellaire. Heureusement celles-ci sont repartis sur 7 à 8 lieux dits. Ceci permet dans un premier temps de vendanger et de vinifier ensemble certains raisins. La gamme contient par exemple une cuvée « Mémoire de vignes » avec des plants de plus de 60 ans. Enfin, pour son champagne Brut sans Année, la Maison échange quelques pinots noirs pour du chardonnay, afin d’ajouter une touche d’acidité. « Mais ces Chardonnay viennent d’un confrère du Mesnil sur Oger ; nous restons dans l’univers privilégié des Grands Crus ! »
Alors, un Champagne « Grand Cru » est-il meilleur ? On comprend que la complexe élaboration de ce royal breuvage et son extrême diversité, interdise tout réponse à l’emporte-pièce. Pourtant, on est tenté d’affirmer que d’une part le terroir ne ment pas et par ailleurs qu’il se dégage toujours de ces cuvées un supplément d’âme, une richesse et une complexité qui ont fait leur réputation. Les grands crus sont l’incarnation d’un artisanat viticole largement en retrait – tant en termes de volume que de notoriété – par rapport à la masse des champagnes commercialisées chaque année. Ils sont en tout état de cause, l’assurance d’un retour aux sources, la certitude de percevoir sur les papilles la réalité du terroir champenois, dans un monde à l’économie toujours plus globalisée. Rien que pour cette raison, ces champagnes ultra qualitatifs retiendront toujours notre attention.
Thierry Gibelin, Thomas Gibelin et Patrick Arnould.
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