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Castille-León : vieilles vignes, terroir et patrimoine
Par Isabelle Escande - Photographies : fournies par les domaines, le 31 octobre 2022
Ribera del Duero, Toro, Cigales, Rueda… La région de Castille-León, au nord-ouest de l’Espagne, englobe de célèbres appellations, nichées sur les berges du fleuve Duero, qui produisent certains des meilleurs vins de la péninsule.
Pourtant riche d’une longue tradition viti-vinicole, la région de Castille-León a fait son entrée relativement tardivement sur le marché international des vins. Le bas rendement de son vignoble dû aux conditions climatiques de la zone ou encore la concurrence directe de régions voisines ont empêché, dans le passé, la consolidation d’une viticulture puissante.
Mais ce qui était gage de succès à l’époque des vins industriels, ne l’est plus aujourd’hui. La production faible à l’hectare est, de nos jours, synonyme de qualité et aux grands groupes sont préférées les petites bodegas familiales qui ont su tirer profit des nouvelles exigences. Elles se sont modernisées et équipées d’installations de dernière technologie, mais elles n’ont pas tiré un trait sur la tradition, loin de là. Nombreuses sont celles qui ont maintenu la taille en gobelet et les vendanges manuelles, ou qui ont travaillé à la conservation de variétés autochtones.
Si le tempranillo et ses différents avatars (tinta del pais, tinto de toro, etc.) occupent une place de choix dans la production de Castille-León, ils ne sont pas les seuls à avoir gagné leurs lettres de noblesse. La preuve avec le mencia de l’appellation Bierzo, ou encore le verdejo, cépage roi de Rueda, qui donne des vins d’une acidité croquante aux arômes délicats.
Plurielle, l’offre des vins de la région se caractérise aussi par sa grande diversité de styles. Souvent, ces nectars portent, en effet, la marque de leur créateur et l’empreinte du terroir qui les a vus naître, ce qui les rend facilement identifiables les uns par rapport aux autres. Jugez-en par vous-même en goûtant les belles productions des cinq bodegas que nous avons sélectionnées pour vous !
Le vignoble se répartit entre deux communes de Valladolid : Nava del Rey et Villaverde de Medina.
Bodegas La Granadilla, un rêve familial
Si les cinq frères et sœurs Descalzo Matos (Luis Alfonso, Roberto, Ana, David et Miguel) cumulent chacun plus de 20 ans d’expérience dans le monde viticole, c’est en 2015 qu’ils décident de réaliser leurs propres vins et de créer Bodegas La Granadilla, au cœur de la DO Rueda, la plus ancienne appellation de Castille-León. Aujourd’hui, leurs vins sont parmi les plus réputés de la région.
Produits exclusivement à partir de vignes du domaine, ils reflètent le style de la bodega, jeune et innovante, mais dotée d’un riche savoir-faire. “Notre principale priorité réside dans la qualité du raisin” nous confie Ana. “Nos 104 hectares de vignes sont cultivés avec le plus grand soin. Un tiers du vignoble est certifié bio et le reste l’est pratiquement, car nous accordons une grande importance au respect de l'environnement et au développement durable”.
70% du vignoble est planté en verdejo, mais ce cépage se révèle bien différent selon les parcelles où il est cultivé, nous explique le directeur technique de la bodega, Roberto Descalzo Matos. Le Verdejo de La Granadilla est plus puissant en bouche avec un taux d'alcool plus élevé, que celui de Nava, plus frais et fruité. Quant aux raisins de La Garbancera, ils sont plus complets et équilibrés”. Ils sont ensuite savamment assemblés pour donner des vins qui séduisent aussi bien le marché national qu’international.
Ana Descalzo Matos et son père, Miguel Ángel Descalzo, qui fut le premier à se lancer dans le monde de la viticulture.
Bodegas La Granadilla est gérée par les cinq frères et sœurs Descalzo Matos.
Cette année, la sécheresse a provoqué les vendanges les plus précoces de l’histoire de la bodega, avec un coup d’envoi en août.
Bodegas Francisco Casas, une ode au savoir-faire
L’on faisait du vin, dans la région de Toro, avant même l’arrivée des Romains en Espagne, nous apprend Eduardo Casas, quatrième génération à la tête de Bodegas Francisco Casas, une entreprise familiale installée à Morales de Toro depuis plus de cinquante ans. Et au Moyen Âge, ces nectars étaient si bien considérés qu’ils furent choisis pour remplir les soutes de La Niña, La Pinta et La Santa-María afin d’accompagner Christophe Colomb lors de son voyage vers le Nouveau Monde.
Dotés d’arômes intenses de fruits noirs épicés et d’une belle robe sombre aux reflets violets, les vins de Toro ne laissent pas, en effet, indifférents. Élaborés principalement à partir du tinta de toro, un cépage cousin du tempranillo, ils séduisent par leur touche minérale qui évolue vers des notes de fruits mûrs après un long passage en fûts. “Charnus et bien charpentés, avec des tanins doux, ils offrent une belle persistance en bouche”, nous explique Eduardo.
Si on lui demande d’où vient la qualité de sa production, Eduardo n’hésite pas à évoquer les viticulteurs qui travaillent pour la bodega. Fins connaisseurs du terroir, ils cultivent leurs vignes, taillées en gobelet, de façon traditionnelle, avec un rendement qui ne dépasse pas les 5 000 kilos par hectare. Sans oublier bien sûr, l’équipe œnologique dirigée par Jesús Garcia Alvarez, qui fort de son expérience internationale à Bordeaux et au Chili, dirige d’une main de maître l'élaboration et l'élevage des vins.
Composée de personnes expérimentées, portées sur une vinification responsable, l’équipe de Bodegas Francisco Casas, qui a récemment obtenu la certification IFS*, s’efforce aujourd’hui de réduire de 50 % les émissions de la bodega et d’utiliser des matériaux provenant de sources renouvelables. Car miser sur la qualité, c’est aussi s’engager pour l’avenir !
*IFS : Prérequis indispensable pour accéder à la grande distribution, elle certifie la qualité et la sécurité des produits alimentaires transformés.
Eduardo Casas, quatrième génération de Bodegas Francisco Casas.
Jesús Garcia Alvarez, œnologue de la maison.
Valdemonjas, l’art du terroir
Anfiteatro, Platea, Balcón, Gallinero (amphithéâtre, parterre, balcon, poulailler)... Les noms des différentes parcelles de la bodega Valdemonjas, qui évoquent les volumes intérieurs d’un théâtre, sont éloquents, et témoignent d’une certaine vision de la viticulture. Au-delà de son caractère agricole, elle est l’art de mettre en valeur un terroir. “Le vin et l’art sont nos passions, nous n'avons jamais pu les envisager séparément” nous confie Alexis Moyano Agüera, fils du fondateur de la bodega.
La bodega dispose de cuves en ciment ovoïdes qui permettent une micro-oxygénation naturelle et continue.
Si le domaine a été créé en 2012, la famille Moyano Agüera a commencé à faire du vin dans la Ribera dès 1998, lorsqu’elle a planté son premier vignoble, el Pago de Valdemonjas, sept hectares de tempranillo, certifiés écologiques. D’une grande diversité de sol, de dénivelé et d’exposition au soleil, ce dernier est divisé en micro terroirs, travaillés séparément. “Chacun d’entre eux, nous apporte quelque chose de spécial”, nous explique Alexis. “Les parcelles les plus basses nous offrent fraîcheur, vigueur et fruit. Les plus hautes, quant à elles, nous fournissent élégance, puissance et maturité”.
En 2009, la propriété s’agrandit avec l’acquisition d’un petit vignoble de vieilles vignes, presque centenaires, el Nogal de la Valera, cultivées également de façon écologique. “Puissants, élégants et longs en bouche, les vins issus de ce terroir ne nécessitent presque aucune intervention, car les baies se bonifient d’année en année”, nous souffle Alexis.
Un autre moment important, dans l’aventure viticole familiale, est sans aucun doute la construction, en 2015, de la bodega proprement dite, sur le domaine de Valdemonjas. Entourée de vignes, elle s'intègre parfaitement dans son milieu naturel. Pensé pour réduire au maximum l’impact sur l'environnement, ce bâtiment éco-durable, qui a été récompensé par deux prix aux Architizer A+Awards 2016, permet à la famille et à son équipe de générer 95% de son électricité et de récupérer les eaux de pluie. Car l’art de la viticulture, c’est savoir sublimer son terroir, mais aussi “être capable de le transmettre aux générations futures dans un état égal ou supérieur à celui où nous l’avons trouvé”. Tout un programme.
L’équipe de Valdemonjas : la famille Moyano Agüera et Luca D’Attoma, l'œnologue.
Bodegas Nexus, le temple du tempranillo
“Le respect pour la singularité de notre matière première, le tempranillo, a vraiment été le point de départ de notre projet”, révèle Camino Pardo, directrice de la bodega. A cette époque, la maison élabore déjà des vins dans la DO Toro, mais décide, dans les années 2000, de compléter sa production, et crée Bodegas Nexus, 40 hectares uniquement dédiés au tempranillo, en plein cœur de la Ribera del Duero.
Un cépage, oui, mais aussi et avant tout un terroir. Car si sur les rives du fleuve Duero naît un fruit chaleureux “qui embaume jusqu’à l’air que nous respirons”, c’est au terroir que l’on doit sa singularité. “La pauvreté des sols, la rareté de l'eau ou encore le climat extrême” nous permettent de produire des vins uniques”, indique la winemaker. “ Des vins gourmands, élégants et soyeux, aux tanins doux et au profil allègre, qui préservent leur fraîcheur à travers le temps”.
En quelques années, la bodega a réussi à se faire un nom à l’international, et elle est aujourd’hui présente dans plus d’une vingtaine de pays. Toujours innovante, elle a récemment lancé le premier vin casher espagnol, un vin naturel réalisé dans le strict respect des règles alimentaires juives.
Respecter le milieu naturel est l’une des priorités de la Bodega Nexus.
Camino Pardo, winemaker et directrice générale de Bodegas Nexus.
Bodegas Santa Rufina, le choix de la qualité
Située à Cubillas de Santa Marta, dans la DO Cigales, la bodega Santa Rufina a, depuis ses débuts, choisi de privilégier la production de vin rouge. Pourtant, dans le temps, la région ne produisait presque que des rosés, fameux d’ailleurs pour leur mode de vinification particulier. Ils étaient, en effet, obtenus par un mélange de variétés rouges et blanches.
Si les producteurs de Cigales se sont aussi mis au rouge dernièrement, la bodega, quant à elle, n’a pas changé ses priorités (les vins rouges représentent aujourd'hui 85 % de ses ventes), mais elle s’est perfectionnée dans l’art de l’élevage. Un Gran reserva, élevé 36 mois en fûts, a même été sorti cette année, nous explique fièrement Blanca García, fille du fondateur de la maison.
Car Bodegas Santa Rufina est une histoire de famille. Fondée en 1997, le domaine porte le nom de la grand-mère de Blanca, décédée alors que son père était enfant, nous confie la jeune femne. Les vignes de la bodega, très âgées (40% d’entre elles sont centenaires), s’étendent sur 90 hectares et sont travaillées avec soin tout au long de l’année.
Chez Santa Rufina, la qualité a toujours primé sur la quantité. D’ailleurs, la bodega a maintenu certaines techniques traditionnelles de vinification et opté pour une mécanisation limitée. Les vendanges sont manuelles, “pour faciliter l'arrivée au chai de baies intactes et parfaites” qui proviennent exclusivement du domaine. “C’est alors plus facile de faire du bon vin” nous souffle Blanca. Et on ne peut que la croire en goûtant les crus de caractère de la bodega.
Angel García, fondateur de Bodegas Santa Rufina et sa fille Blanca García.
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