Cépages

Cap vers le Portugal et ses cépages rouges autochtones !

Avec ses 250 cépages autochtones, le Portugal a de quoi faire pâlir d’envie plus d’un pays viticole. Peu comparables aux standards internationaux, ils n’ont commencé à faire parler d’eux que récemment et restent encore méconnus du grand public. Partir à la découverte du patrimoine ampélographique portugais vous met dans la peau d’un chercheur de trésor, loin des sentiers battus !

Outre ses multiples cépages indigènes, le Portugal bénéficie d’une culture viticole qui date de l’Antiquité et de terroirs exceptionnels d’une grande diversité. D’ailleurs, pendant longtemps, pour les anciens, le sol d’où provenaient les raisins, comptait davantage que le cépage en lui-même. Les variétés coexistaient naturellement dans les vignobles et il arrivait même que le vigneron ne sache pas quels cépages il cultivait. La terre importait plus et bien sûr aussi l’art de l’assemblage, une véritable tradition dans le pays.  

 

Avec l'émergence des pays viticoles du Nouveau Monde, les tendances du marché ont changé et le goût pour les mono-cépages a commencé à faire des adeptes, piquant la curiosité des producteurs portugais qui se sont mis à s’intéresser de plus près à leurs cépages, notamment autochtones, et à les vinifier séparément. Le savoir-faire en assemblage s’est heureusement maintenu (la plupart des vins portugais sont des coupages), mais il a atteint, grâce entre autres aux nouvelles connaissances ampélographiques, des degrés de perfectionnement dignes des plus grands. 

 

Les cépages indigènes contribuent, aujourd’hui, à la grande diversité de styles des vins portugais. Comme il nous est impossible de vous les présenter tous, nous vous en avons sélectionné quatre parmi les plus réputés dans les rouges : le baga, le touriga franca, l’aragonez et le plus fameux de tous, le touriga nacional. Et qui d’autre que les domaines qui les cultivent et les vinifient pour en parler le mieux ?

 

Les vendanges, dans le vignoble de João Portugal Ramos, se font principalement à la main. 

 

Le baga, un diamant à polir

Cépage typique de la région de Bairrada où, dans le passé, il représentait près de 90% de l’encépagement, le baga n’est pas une variété facile. Pourtant certains producteurs sont parvenus, grâce à leurs efforts et à leur volonté de perfectionnement, à en tirer profit et ont su montrer son potentiel aromatique. Il est aujourd’hui choisi pour l’élaboration de vins de qualité. 

Pour en savoir un peu plus sur ce cépage, nous sommes partis à la rencontre d’une coopérative de poids de l’appellation Bairrada au Centre-Ouest du pays, Adega de Cantanhede. Elle est d’ailleurs la première bodega à avoir remporté, lors d’un grand concours international en 1997, la médaille d’or pour un vin portugais réalisé exclusivement à partir d’un cépage autochtone, le baga bien entendu !

Dotée de ceps de baga âgés de plus de 90 ans, la coopérative s’est efforcée, depuis quelques années, de préserver ce patrimoine et de valoriser ces vignes au rendement très limité, qui trouvent leur terrain de prédilection dans les sols argilo-calcaires de la région. “Le calcaire favorise un bon drainage des sols et une rétention de la chaleur, permettant une maturation plus rapide et un meilleur contrôle de l'acidité et par conséquent de l'astringence des tanins”, nous explique l’œnologue de la maison, Osvaldo Amado. “D'autre part, l'argile permet de retenir l'eau pendant les journées les plus chaudes de l'été, évitant ainsi le recours à l'irrigation. Elle contribue également à la production de vins plus équilibrés, avec une densité plus marquée”.

 

Victor Damião, président de la coopérative. 

 

Le léger relief de la région et l’emplacement géographique du vignoble, à une vingtaine de kilomètres de la côte, a également contribué à une viticulture de qualité. “La fraîcheur et les fréquents brouillards matinaux de l'Atlantique atteignent les parties les plus intérieures de la zone, favorisant une maturation équilibrée même pendant les jours d'été les plus chauds”. Les pluies par contre, en fin de cycle, peuvent avoir des conséquences néfastes sur le cépage qui, avec sa peau particulièrement fine, est très sensible à la “pourriture grise” (Botrytis Cinerea). Heureusement, des solutions respectueuses de l’environnement existent et sont de plus en plus mises en pratique, comme l'enherbement (le fait d'entretenir un couvert végétal entre les rangs de vignes), une défoliation méticuleuse et ponctuelle, ou encore une récolte précoce. 

En cave, le baga nécessite aussi un peu d’attention nous confie l’œnologue. Naturellement riches en tanins, les baies sont entièrement égrappées dans les caves de la maison, dans un souci d’assouplissement. S’ensuit une fermentation alcoolique à 28ºC et une macération douce, au cours de laquelle la technique du délestage est privilégiée. L’élevage, quant à lui, se fait presque toujours dans des fûts de chêne français, ce qui permet de polir les tanins fermes du baga. Les vins rouges réalisés à partir de ce cépage peuvent d’ailleurs être rangés parmi les vins portugais ayant la plus grande capacité de garde, nous glisse Osvaldo. “Ils évoluent avec élégance et conservent toute leur personnalité pendant plusieurs décennies”.

Une autre caractéristique de ce cépage est sans aucun doute sa polyvalence. Le baga est utilisé, par les œnologues d’Adega de Cantanhede, pour élaborer des vins rouges de couleur profonde, aux arômes vifs de baies sauvages et de prune noire, et dotés d’une acidité mordante. Intégrant parfaitement la noblesse du chêne français, ils dévoilent des notes de café, d'herbe sèche, de tabac et de fumée. Mais ce n’est pas tout ! Rosés, blancs de noirs, effervescents, vins fortifiés… Le baga se décline en plusieurs variations qui se vendent aujourd’hui aussi bien sur le marché national qu’international, où sa vente est en pleine expansion. Un trésor à découvrir au plus vite !

 

Le domaine compte des vignes de baga âgées de plus de 90 ans.

 

Osvaldo Amado, œnologue en chef d’Adega de Cantanhede. 

 

L’équipe d’Adega de Cantanhede :  Osvaldo Amado, Victor Damião, Maria Miguel Manão, Albino Costa et Ivo Silva.

 

Le touriga franca, facile à cultiver, complexe en bouche

Autrefois connu sous le nom de touriga francesa (même s’il n’a aucun lien avec la France), ce cépage est parmi les plus répandus au Portugal. Variété facile à travailler, il apprécie particulièrement les sols peu fertiles et schisteux, nous explique l’œnologue João Maria Portugal Ramos, fils de João Portugal Ramos, une référence dans le monde pour les vins portugais. Il a grandement contribué à leur reconnaissance internationale ces vingt dernières années. 

 

João Portugal Ramos avec son fils João Maria, lui aussi œnologue, et Filipa, sa fille, qui travaille quant à elle dans le marketing. 

 

João Portugal Ramos et son équipe réalisent aujourd’hui des vins dans quatre régions du pays, mais c’est dans le Douro et l'Alentejo, qu’ils cultivent le touriga franca, bien que les meilleurs résultats soient obtenus dans le Douro Superior, où le climat est chaud et sec, nous confie João Maria Portugal Ramos.

Résistante au stress hydrique, cette variété indigène protège ses grappes du rayonnement direct du soleil à l’aide de ses feuilles. Avec son cycle de développement long et son rendement modéré, elle peut se récolter mécaniquement ou manuellement. Mais les vendanges du touriga franca dans le domaine se font en règle générale à la main. 

Le touriga franca donne des vins complexes, très structurés, avec un grand volume en bouche. Des caractéristiques qui sont fondamentales pour un grand porto, nous explique João Maria. Il sert donc à l’élaboration du fameux vin fortifié portugais, mais pas seulement. Assemblé avec d’autres cépages, il est à la base de plusieurs vins rouges du domaine. "Intéressant à vieillir, il doit être assemblé avec un cépage à plus forte acidité pour obtenir un meilleur potentiel de vieillissement”. L’élevage se fait, chez João Portugal Ramos, en cuve et en bois.  

Très colorés, les vins réalisés à partir de cette variété, offrent des arômes délicats et intenses de fleurs sauvages, de violette, de fruits rouges, et d’épices séchées. Des nectars puissants, mais élégants. 

 

L’équipe de João Portugal Ramos. 

 

L’aragonez, un cépage voisin parfaitement adapté

L’aragonez n’est rien de moins que le tempranillo, cépage roi de la Rioja ou encore de la Ribera del Duero, sous son nom portugais. Il est aussi appelé tinta roriz dans la vallée du Douro. Dans la région de l'Alentejo, qui se situe près de Lisbonne, il figure parmi les 10 variétés les plus cultivées.

“L'aragonez est un cépage qui s'adapte bien à différents types de sols et de climats, mais pour obtenir une qualité extraordinaire, il faut privilégier les sols sableux et argilo-calcaires, dans des climats chauds et secs. De cette façon, les baies sont plus petites et plus concentrées”, nous explique Nelson Rolo, œnologue en chef de la bodega Morais Rocha, qui compte 18 hectares de vignes à Vidigueira à 200 km environ de la capitale, au Sud du pays.

 

José Joaquim Morais Rocha, fondateur du domaine.

 

Dans cette maison de l’Alentejo, ce cépage rouge joue un rôle prépondérant, puisqu’il est utilisé pour l’élaboration de vins effervescents, de rosés, et bien sûr de rouges Reserva. Les baies destinées à ces derniers sont vendangées mécaniquement de nuit, afin de préserver leur fraîcheur, alors que, pour les autres, la récolte manuelle est choisie. Variété précoce, elle est l’une des premières à être vendangée, nous informe Nelson. “L'acidité et le bon pH sont privilégiés”. 

Dès que les baies arrivent au chai, une macération pré-fermentaire à basse température (7ºC) est réalisée, afin de favoriser l’intensité aromatique des moûts. L’aragonez est employé en assemblage avec d’autres cépages qui se complètent. “J’apprécie particulièrement la combinaison avec le trincadeira, l’alicante bouschet et le cabernet” nous souffle l’œnologue.

 

La maison combine savoir-faire artisanal et équipements dernière technologie.

 

Les vins issus de l’aragonez sont très élégants et denses avec une grande structure en bouche. Ils dévoilent des notes de mûres, de prunes et de fruits noirs, mais également une légère touche épicée où domine la cannelle. Très appréciés, et dotés d’une belle capacité de garde, ils se vendent aussi bien sur les marchés nationaux qu’au niveau international. 

 

Ana Morais Rocha, fille du fondateur, gère aujourd’hui le domaine.

 

Le touriga nacional, une haute réputation bien méritée

Il est, en effet, le plus connu des cépages portugais. Il entre dans l’élaboration du fameux porto, mais il est aussi à l’origine de grands vins rouges du pays. Bien implanté dans la vallée du Douro, il est également cultivé dans l’Alentejo ou encore dans la région de Dão, au centre du Portugal où, avant l’épidémie du phylloxéra, il couvrait 90 % du vignoble.

Même s’il a de petits rendements (mais c’est souvent un gage de qualité), le touriga nacional est une variété à la maturation tardive, ce qui le rend moins sensible au gel printanier. Par ailleurs, il est particulièrement résistant à la chaleur et aux maladies cryptogamiques, notamment à l’oïdium, grâce à sa peau épaisse. 

 

Le domaine appartient à la famille Santos Lima depuis cinq générations. 

 

À ces avantages de culture, il faut ajouter sa grande polyvalence. Dans le domaine familial de la Casa Santos Lima, qui produit des vins dans cinq régions du Portugal, il est aussi bien employé pour élaborer, en assemblage, des vins rouges que des rosés ou des effervescents. Doté d’un bon potentiel de vieillissement, le touriga nacional offre des nectars à la robe sombre, très tanniques, puissants et structurés. D’une belle complexité aromatique, ils dévoilent des arômes variés de fruits noirs, de cuir, de graphite, de violette ou encore de cacao.  

Intenses et fruités, les vins à base de touriga nacional séduisent un public qui n’est pas seulement portugais, loin de là. La plupart des vins de Casa Santos Lima sont d’ailleurs destinés à la vente internationale, nous confie José Luis Santos Lima, le gérant de la maison. Le cépage, lui aussi, s’est exporté, puisqu’on le trouve aujourd’hui en Australie ou encore en Californie, et son expansion semble gagner du terrain. Face au changement climatique, l’intérêt pour ce cépage, aromatique et robuste, s’est dernièrement accru. Dans le vignoble bordelais, par exemple, le touriga nacional est cultivé à titre d’expérimentation. Affaire à suivre donc…

 

José Luís Santos Lima dirige aujourd’hui la bodega.