Terroirs

Savoie : Chignin et Chignin-Bergeron, deux voisins si différents !

Avec une vraie complémentarité, le vignoble de Savoie produit deux appellations aux noms presque similaires, mais aux saveurs bien différentes. Au-delà de leurs proximités géographiques, les vins de Chignin et Chignin-Bergeron soulignent les qualités et les particularités de deux cépages et d’un terroir de montagne quasi unique en France…

Vendanges à la Cave de Cruet

Vendanges à la Cave de Cruet

 

Au jeu de la dégustation, la découverte des deux dénominations géographiques au sein de l’appellation vin de Savoie pourrait s’apparenter à une subtile équation. Près des sommets des Alpes, dans une constellation de vallons et de collines, les vins de Chignin et Chignin-Bergeron sont régis par deux particularités qui valorisent leurs différences. Le premier est issu de la jacquère. Avec 50% de présence dans le vignoble savoyard, ce cépage rustique est très résistant aux maladies fongiques, mildiou ou oïdium et plus simple à travailler avec moins de passage en vigne. Plus sec et minéral, il évolue en parfaite adéquation avec le terroir argilo-calcaire. Le second provient de la roussanne qui représente seulement 5% des volumes de la région. Plus fragile, il est aussi plus rond et fruité, avec une vigne plus feuillue. A la période végétative, ce cépage pousse très rapidement et de façon ramifiée. Il exige beaucoup de travail en vert et l’ébourgeonnage, pour aérer le feuillage, les grappes et aussi éviter les maladies. Plus puissant, il offre du gras et des arômes plus fruités d’abricots, de coing et de miel. A ces particularités, s’ajoutent le facteur terroir qui représente un autre élément dans leur différenciation, même si son influence s’avère toutefois moins importante. Ces deux cépages présentent des profils et des saveurs différentes. Pour autant, les deux réussissent à donner des vins très en vogue, en lien avec les nouvelles tendances de consommation basées sur la fraicheur et une minéralité qui apporte de la profondeur et de la densité. Un choix qui est une vraie richesse pour les vins de Savoie…

 

Vignoble Perceval : un domaine au sommet

A quelques kilomètres du Mont-Granier, qui du haut de ses 1933 mètres domine la vallée du Grésivaudan et la combe de Savoie, la Pierre Hachée semble vouée à protéger les vignes du domaine Perceval. Issu d’un écroulement de la montagne intervenu en 1248, ce gros rocher est situé au cœur de cette propriété familiale fondée en 1910, certifiée Haute Valeur Environnementale de Niveau 3 (HVE 3) depuis 2020. Succédant à quatre générations de vignerons, Pascal Perceval et son épouse Gwenaëlle produisent sur 54 hectares, 40 cuvées différentes dont des Chignin et des Chignin-Bergeron.

 

Pascal et Guy Perceval dans les vignes

Pascal et Guy Perceval

 

Pascal Perceval tient une bouteille qui a été immergée dans un lac

Pascal Perceval en dégustation

 

« Au-delà des cépages et bien qu’ils soient cultivés sur le même terroir des côteaux de la Savoyarde, il existe une différence majeure entre les deux appellations du fait de leur vinification, analyse Pascal Perceval. Le Chignin-Bergeron est plus connu que le Chignin. La différence de prix s’explique aussi par son rendement qui est seulement de 30 hectolitres à l’hectare contre 50 hectolitres pour le Chignin. Les deux sont appréciés par une strate différente de consommateurs. »

 

Vignoble de la Pierre : la force des cépages

Il est difficile de trouver un lien plus fort entre un domaine et son terroir. Le Vignoble de la Pierre réunit depuis plusieurs générations l’expertise et le savoir-faire de vrais passionnés à Chignin au coeur de la Savoie. La vocation viticole de ce village au nom évocateur situé sur les contreforts sud-occidentaux du massif des Bauges, remonte à l’Antiquité. L’histoire de ce domaine référence débute en 1960. Alors propriétaire de quatre hectares de vignes et de vaches laitières, René Girard-Madoux, décide de replanter des parcelles en friche du coteau de Torméry, accrochées sur les pentes de la Savoyarde qui culmine à 1135 mètres. La tâche est immense au milieu de terres abandonnées depuis longtemps, suite au phylloxéra, à la pénurie de main d’oeuvre et à l’exode rural, mais qui bénéficient de pentes avec une amplitudes de 20% à 60% exposées au soleil couchant du sud-ouest.

 

Fin des vendanges au Vignoble de la Pierre

Fin des vendanges au Vignoble de la Pierre

 

En 1988, Yves Girard-Madoux succède à son père René. Il plante d’autres parcelles et permet au domaine d’atteindre onze hectares autour de cinq cépages blancs qui représentent 80% de la production, jacquère, roussanne, altesse, velteliner, verdesse et pour 20% de deux rouges, mondeuse et pinot noir. « Avec la jacquère, le Chignin donne un vin peu alcoolisé qui dépasse rarement 11,5°, note Yves Girard-Madoux. Au départ moins connu, le Chignin-Bergeron présente plus de matière et de rondeur. Il s’est en quelque sorte approprié la notoriété du Chignin. » Certifié Haute Valeur Environnementale Niveau 3 (HVE 3) depuis 2019, Vignoble de la Pierre produit une large palette des vins de Savoie où le Chignin et le Chignin-Bergeron s’invitent parmi les cuvées phares.

 

Vendanges au Vignoble de la Pierre

Vendanges au Vignoble de la Pierre

 

Maison Philippe Viallet et Les Fils de René Quenard : un duo majeur

Des fleurs aux raisins, il n’y a qu’un pas qu’Yvonne et Marcel Viallet ont franchi aisément. En 1966, ce couple de pépiniéristes achète 2,5 hectares de vignes du domaine Clos Réservé dans l’appellation Apremont à seulement dix kilomètres de Chambéry, Plus d’un demi-siècle plus tard, la Maison Viallet a su évoluer pour proposer un des plus beaux catalogues de vins de Savoie. En 1982, Pierre Viallet leur fils ainé prend les rênes du domaine. Il est rejoint en 1985 par son frère Philippe. Diplômé de l’école œnologique de Beaune, il crée en 1985 en parallèle, une maison de négoce dédiée aux vins de Savoie, mais aussi du Jura et du Bugey : Les Fils de René Quenard.

 

Dégustation des vignerons cavistes de la Maison Philippe Viallet, Clemence Badoux, Cloe Desolme, Alexis Cote et Christian Cheze

Dégustation des vignerons cavistes de la Maison Philippe Viallet, Clemence Badoux, Cloe Desolme, Alexis Cote et Christian Cheze

 

En 2008, Philippe Viallet rachète ce domaine prestigieux, principalement situé sur la commune de Chignin, qui exploite une superficie de 18 hectares et produit essentiellement le cru Chignin-Bergeron, à partir de la roussanne, qui couvre la moitié de la surface du domaine. Elle constitue la cuvée phare La Bergeronnelle, un vin riche, ample et complexe, aux arômes de fruits à chair jaune d’abricot et de coing. La jacquère est elle aussi présente et on la retrouve dans la cuvée La Maréchale, un Chignin typique par sa minéralité et sa fraîcheur, aux arômes floraux. « Chez Les Fils de René Quenard, les Chignin-Bergeron proviennent d’un assemblage de plusieurs parcelles étalées sur l’ensemble de l’appellation ce qui leur confère une complexité et une finesse unique », explique Alexis Cote, responsable des vignes. « Pour autant, ils ne rentrent pas en concurrence avec les Chignin. Si leurs noms ne se ressemblaient pas, on ne chercherait même pas à les comparer. On peut dire de façon simpliste que le Chignin est plus accessible et abordable au niveau prix mais également en termes de dégustation. Le Chignin-Bergeron possède un profil aromatique plus complexe ».

 

Alexis Cote, responsable des vignes à la Maison Philippe Viallet

Alexis Cote, responsable des vignes à la Maison Philippe Viallet

 

Les vignes du domaine prestigieux Les Fils de René Quenard à Chignin

 

Les vignes du domaine prestigieux Les Fils de René Quenard à Chignin

 

Maison Cavaillé : une star des vins de Savoie

Sous l’œil bienveillant du Lac du Bourget, haut lieu du tourisme alpin et près de la station thermale d’Aix-les-Bains, la Maison Cavaillé s’impose comme une institution des vins de Savoie autour des différentes appellations, dont Chenin et Chenin-Bergeron. « Le facteur terroir constitue un premier élément », décrypte Laurent Cavaillé. « Si les Chignin-Bergeron se situent plus en altitude, c’est surtout le cépage qui différencie grandement ces deux crus. Nos Chignin sont minéraux. Ils reflètent les caractéristiques de la jacquère.

 

Laurent Cavaillé dans ses vignes 

Laurent Cavaillé dans ses vignes 

 

Les Chignin-Bergeron se révèlent complexes, amples et aromatique avec dans certaines de nos gammes, des cuvées plus tendues qui répondent à une vraie demande des consommateurs ». Les vins de la Maison Cavaillé sont le fruit d’un travail de sourcing, de choix et de suivi d’un cahier des charges strict porté par les frères Laurent et Jean-Christophe Cavaillé et les vignerons savoyards. « Le Chignin-Bergeron est la star des vins de Savoie, le plus prestigieux et le plus connu », reprend Jean-Christophe Cavaillé. En revanche, le Chignin souffre encore d’un manque de notoriété. En effet, le cépage jacquère est plus souvent apparenté aux Apremont. Heureusement, c’est de moins en moins vrai grâce au travail de communication du Comité Interprofessionnel des Vins de Savoie (CIVS) qui assure la promotion en France et à l’étranger de notre vignoble. Il n’existe pas de concurrence entre ces deux vins, car ils sont vraiment différents ».

 

Laurent et Jean-Christophe Cavaillé

Laurent et Jean-Christophe Cavaillé

 

La cave espace de dégustation à Aix-les-Bains

La cave espace de dégustation à Aix-les-Bains

 

Cave des Vins Fins de Cruet : le savoir-faire vinicole

La belle histoire de cette cave coopérative vinicole débute en 1939. Juste avant la seconde guerre mondiale, des vignerons de trois communes de la combe de Savoie, une région naturelle longue d’une quarantaine de kilomètres, regroupent leurs vignes et leurs compétences pour créer la Cave des Vins Fins de Cruet. Plus de 80 ans après sa création, la Cave compte 240 hectares de vignes, 70 producteurs adhérents et 12 salariés. Elle produit 15000 hectolitres de vin par an, soit 20% des vins de Savoie primés régulièrement dans des concours nationaux et internationaux. Les vignes sont vendangées manuellement et séparément pour chaque cépage à leur maturité optimale.

 

Scène de Vendanges à la Cave de Cruet

Vendanges à la Cave de Cruet

Vendanges à la Cave de Cruet

 

Dans un large choix de cépages savoyards blancs et rouges, la jacquère et la roussanne figurent parmi les incontournables de la coopérative avec un Chignin, plus à consommer jeune, où la jacquère donne des vins secs et très fruités avec de la minéralité, des arômes d'agrumes et des notes fleuries. Avec la roussanne, le Chignin-Bergeron développe des notes de noisette et d'abricot, pour des cuvées toutes en rondeur avec une belle robe or. « Malgré leur proximité, l’élément qui les distingue est avant tout le cépage, avec des profils aromatiques très différents », signale Yvan Bouvet, président du conseil d'administration. « Il y a une différence de notoriété entre ces deux appellations. Le Chignin-Bergeron est plus reconnu. Il est considéré comme le haut de gamme des blancs de Savoie, ce qui explique leur écart de prix. En revanche, il n’existe pas de réelle concurrence. Le type de consommation est différent et il y a aussi la Roussette-de-Savoie qui vient s’intercaler entre les deux ». Pour le plus grand plaisir des consommateurs.

 

Premiers coups de sécateur lors des vendanges pour les dirigeants de la Cave de Cruet David Riondy, Rodolphe Perrier, David Henriquet et Yvan Bouvet

Premiers coups de sécateur lors des vendanges pour les dirigeants de la Cave de Cruet David Riondy, Rodolphe Perrier, David Henriquet et Yvan Bouvet

Pause dégustation pendant les vendanges, avec de gauche à droite Rodolphe Perrier, David Henriquet, Yvan Bouvet et David Riondy

Pause dégustation pendant les vendanges, avec de gauche à droite Rodolphe Perrier, David Henriquet, Yvan Bouvet et David Riondy

 

Voisins mais pas rivaux !

La situation semble finalement presque idéale. En parfaits voisins, les vins de Chignin et Chignin-Bergeron semblent cohabiter en bonne harmonie et non comme de féroces ennemis. Ces deux blancs invitent les consommateurs à dépasser leur a priori et à découvrir des cuvées souples, généreuses et gourmandes. En effet, l’élément majeur qui différencie ces deux appellations est le cépage utilisé. Locale, la jacquère donne des vins frais, minéraux et perlants et une vraie typicité en Savoie. La roussanne se prête à un élevage en fût. Connue par les amateurs surtout grâce aux vins de la vallée du Rhône, elle aboutit à des vins plus complexes, aromatiques et fruités. Pour autant, il n’existe pas réellement de concurrence entre les deux appellations avec un profil et un prix différent. Les volumes de Chignin-Bergeron sont plus faibles avec des techniques de vinifications plus complexes que celle du Chignin. Ces contraintes en font donc un produit plus rare avec une incidence sur son prix, plus élevé. Le marché des vins de Savoie évolue et devient de plus en plus porteur avec un climat et un terroir de montagne rare dans la galaxie des grands vins. La présence de ces deux appellations, loin de susciter une stérile rivalité concourt à la grandeur des vins de la région. Pour la majorité des vignerons que nous avons interrogés, ces deux fleurons de la Savoie remportent un vrai succès commercial, sans réelle concurrence du fait de leurs qualités comme de leurs différences. C’est bien tout ce qui compte.