Terroirs

Les crus du Beaujolais : un retour au premier plan

Le Beaujolais est longtemps resté un vin populaire, bon marché et très sous-estimé. Pourtant 10 crus de haut niveau subliment ce vignoble attachant sans doute trop longtemps resté dans l’ombre de la Bourgogne voisine. Chacun présente une identité distincte et cette addition de talents créée une incroyable variété apportée par des terroirs aux réelles spécificités.

Le granit des abords de Mâcon, la capitale de la Bourgogne sud, rejoint les sols argilo-calcaires du sud, près de Lyon, une des plus grandes villes de France, un temps capitale des Gaules. Ici, le terroir frise la perfection. Les 15 000 hectares de vignes du Beaujolais livrent un ensemble de qualités naturelles exceptionnelles, qui depuis quelques années sont encensées. Longtemps affublée d’un statut de bas de gamme, le vignoble a souffert de l’image marketing Beaujolais nouveau, commercialisé chaque année le troisième jeudi de novembre, qui s’est finalement retournée contre un label d’exigence et de qualité qui ne demandait qu’à être exploré. Si ce millésime à boire dans l’année a contribué à faire connaître l’appellation, sa dérive productive a hélas développé le spectre d’un vin de soif sans éclat. Heureusement, cette désagréable tendance s’est éloignée grâce au travail de vignerons qui élaborent de magnifiques cuvées toutes en finesse et en fruit. En bouche, ces vins de plaisir présentent une belle structure, un aspect croquant et gourmand avec des tanins doux. Les vins du Beaujolais retrouvent leurs lettres de noblesse tout en parvenant à séduire une cible de consommateurs plus jeunes et internationale. Démonstration !

 

Saint-Amour : Un nom qui fait rêver

Guillaume Manin, président de la Cave des Grands Vins de Fleurie

Guillaume Manin, président de la Cave des Grands Vins de Fleurie depuis 2018

 

C’est un rituel étonnant. A Saint-Amour, des couples du monde entier viennent confirmer leurs vœux de mariage dans cette commune au si joli nom. Le cru le plus septentrional de l’appellation, est devenu au fil des ans une référence en matière de Beaujolais. Depuis 1927, la Cave des Grands Vins de Fleurie a su capter et révéler la typicité des nombreux terroirs qui écrivent ses vins avec notamment des Saint-Amour vifs et équilibrés. « De la plaine aux hauts de coteaux, chaque terroir raconte notre histoire dans chacune de nos cuvées avec des terrains granitiques et argilo-siliceux, des cailloutis et des couches schisteuses, analyse Guillaume Manin, président de la Cave depuis 2018. Les différents climats différencient nos vins et leurs caractères. » Fruités, pleins de générosité et de gourmandise, les Saint-Amour se caractérisent par une robe grenat étincelante parée de reflets violets. Le nez chaleureux s’ouvre sur des notes intenses de fruits noirs comme la mûre ou la myrtille avant quelques nuances de bâton de réglisse. Dans une belle intensité, ils marquent toute leur subtilité et leurs belles différences, avec une bouche longue et délicate qui laisse apparaître des tanins croquants et gourmands.

 

Brouilly : l’image du gamay

David Duthel, propriétaires du Domaine Ruetdevant le caveauDavid Duthel, propriétaires du Domaine Ruetdevant le caveau

 

Appellation d’origine contrôlée depuis 1938, le vignoble de Brouilly est considéré comme le plus grand cru du beaujolais. Ses vins s’intègrent parfaitement dans la définition de simplicité, de plaisir et de bon goût. Depuis 1926, aux pieds du remarquable terroir de Brouilly, les 19 hectares du Domaine Ruet s’étendent sur des coteaux magnifiquement exposés au sud. Les sols granitiques, caillouteux et peu profonds du nord Beaujolais favorisent la production de grands vins. « La richesse et la diversité du terroir différencient toutes les appellations, explique Katy Duthel, propriétaire avec son mari David. La finesse des vins se caractérise par des tanins ronds et élégants, un nez mêlant sous-bois ensoleillé et fruits rouges ainsi qu'une fraîcheur en fin de bouche apportée par la minéralité d’un sol de granit rose. » En bouche sur des notes de parfums fin de framboises et de mûres et d'épices, le Brouilly vielles vignes attise les sens par son équilibre, aux tanins soyeux et sa note finale de fraicheur rassurante apportée par la minéralité.

 

Morgon : riche et séduisant

Alexis Depardon du Domaine de la Bêche Olivier Depardon dans ses vignes

Alexis Depardon du Domaine de la Bêche Olivier Depardon dans ses vignes

 

La réputation rejoint aussi la réalité. La légende raconte que le Morgon possède le fruit d'un beaujolais et le charme d'un bourgogne. Issu d’un terroir particulier constitué de roches décomposées et de schistes friables, ce vin à la robe grenat profond et aux arômes de fruits mûrs séduit par sa plénitude en bouche. Créé par Henri Depardon en 1848, le Domaine de la Bêche constitue une référence de l’appellation, qui s’est transmise depuis 8 générations avec l’arrivée d’Alexis Depardon dans l’exploitation à 20 ans en 2015 et de sa grande sœur Caroline pour la partie commerciale en 2018. « Ce qui caractérise nos vins est le savoir-faire que nos prédécesseurs nous ont transmis et aussi bien sûr les terroirs, précise Olivier Depardon qui a lui pris les rênes du domaine en 1985. La vinification se fait en vendange égrappée avec une macération de 12 à 15 jours. » Le résultat est tout simplement saisissant, avec des Morgon qui se distinguent par une remarquable complexité aromatique, une puissance, du gras et de la matière, marqués par des tanins bien fondus.

Construit en 1759, le Château Grange Cochard se compose de 8,5 hectares de Morgon sur des pentes granitiques et schisteuses. « Nos vins sur le fruit se caractérisent par du velours, une belle fraicheur et longueur et une authenticité que les gens recherchent, explique Jean-Philippe Manchès qui a racheté le château avec Jean-Philippe Janoueix l’an dernier. Ils présentent un goût caractéristique grâce à un terroir, un micro climat et un caractère spécifique. » Le cépage gamay apporte toute sa qualité dans des vins aussi limpides que soyeux et séduisant.

 

Juliénas : un rouge intense

Le Domaine des Mouilles, propriété de la Famille Perrachon

Le Domaine des Mouilles, propriété de la Famille Perrachon depuis 1989 à Juliénas

 

Parfumés, les Juliénas révèlent un agréable bouquet de pêche, de fruits rouges et d’arômes floraux. Etabli depuis 1877 sur le sol granitique et très caillouteux d’un des meilleurs coteaux de l’appellation, Le Domaine de la Bottière qui appartient au Domaine Laurent Perrachon & Fils, synthétise l’essence même de leurs qualités, avec un travail à l'ancienne, des vendanges manuelles et un rendement par pied qui est un des moins élevés de France. « Ce travail et les caractéristiques des sols, garantissent la qualité et l'authenticité de nos 6 crus du Beaujolais, Chénas, Fleurie, Morgon, Moulin-à-Vent, Saint Amour et bien sûr Juliénas », analyse Maxime Perrachon, sixième génération du domaine. « Avec une robe rouge superbe, intense, le Juliénas est un vin riche, puissant, nerveux, coloré, avec des arômes d'une grande distinction. Il peut très bien vieillir cinq à six ans pour accompagner ensuite agréablement un coq au vin, une volaille ou une viande blanche ». Fruités et agréables, les Juliénas remplissent la bouche d’une chair harmonieuse, équilibrée et longue qui affirme toute leur personnalité.

 

Côte-de-Brouilly : délicieusement racé

 

Yves-Dominique Ferraud en dégustation

Yves-Dominique Ferraud en dégustation

 

Sur les versants pentus et bien exposés du Mont-Brouilly, le vignoble de la Côte-de-Brouilly bénéficie d’un terroir d’une homogénéité unique en Beaujolais. Son mélange de granit et de schiste favorise l’élaboration de vins racés à la robe pourpre qui demandent à mûrir avant de développer toute leur élégance en bouche. Depuis sa création en 1882, la Maison Ferraud refuse la standardisation et travaille sans relâche pour que chaque cru garde sa typicité et sa personnalité. Ses vins comme le Côte-de-Brouilly Domaine Rolland, une cuvée fruitée et fraiche caractéristique de l’appellation, rencontrent un franc succès à l'exportation avec près de 70 % des volumes de production totale dans quarante pays. « Chaque vin est élaboré domaine par domaine par un vinificateur propre à chacune des appellations et non des wine makers tournant d'un cru à un autre, indique Yves-Dominique Ferraud. Malgré l’utilisation d’un seul et même cépage, le gamay noir à jus blanc, la personnalité des crus et leurs différences proviennent de plusieurs facteurs comme l'âge de la vigne, son exploitation, mais surtout et essentiellement des terroirs qui procurent une diversité surprenante des sols. »

 

Chiroubles : des cuvées au sommet

 

La gamme du Domaine Anthony CharvetLa gamme du Domaine Anthony Charvet

 

Situé à 400 m d’altitude, ce vignoble de 300 ha est le plus haut du beaujolais. Au coeur des appellations Chiroubles, Fleurie et Morgon, le domaine Anthony Charvet est situé comme un symbole, route de Chiroubles. Dixième génération à travailler les raisins issus du gamay, Antony Charvet est, à 42 ans, le garant de la qualité de la production. « Le Chiroubles Granite bénéficie d’un terroir hors norme, indique-t-il. Issue de vignes de cinquante ans plantées sur 1,5 ha de terroir granitique, d’où son nom, cette cuvée est le fruit d'une macération de 12 à 13 jours de raisins en partie égrappés provenant des coteaux les plus granitiques du Beaujolais dont la roche date de 320 millions d'année ». Cette formule gagnante symbolise toutes les vertus des Chiroubles qui s'affirment dans le fruité au nez comme en bouche, la longueur et la finesse, avec de magnifiques tanins en soutien.

 

Régnié : souple et bien construit

 

Soleil couchant sur Durette

Soleil couchant sur Durette

 

Dernier né des Beaujolais, avec un décret qui date seulement de 1988, Régnié s’étend sur 650 hectares. Autour de l'église aux deux clochers de Régnié-Durette, le vignoble se caractérise par des vins souples et bien construits, à la robe cerise et des arômes de groseille, mûre et framboise. Parmi les fleurons de l’appellation, le Château de Durette propose une large gamme de crus du Beaujolais, avec le meilleur reflet de leur identité et de leur terroir. « Notre souhait est de proposer des vins avec une belle buvabilité, une identité de terroir où le fruit du gamay prédomine », annonce Marc Theissen, le propriétaire. « Chaque terroir à son identité, mais chaque appellation est complètement gamay. C’est la magie de ce cépage qui peut être charnu et puissant à Moulin-à-Vent, élégant et fruité à Fleurie, vif et racé sur Côte-de-Brouilly, structuré et épicé à Morgon, ample et généreux à Juliénas et fruité et jovial sur Régnié ».

 

Fleurie : la beauté en majesté

Vendanges au Château Grange Cochard

Vendanges au Château Grange Cochard

 

Ce vin velouté et élégant séduit de plus en plus les consommateurs du monde entier. L’extraordinaire variété des terroirs incite à mener un travail de haut niveau tout en adoptant une approche parcellaire minutieuse avec des rendements naturellement limités. Au Château de Poncié, tout est mis en oeuvre pour que la vinification permette de préserver l’esprit de Fleurie, sans être prisonnier de la tradition, avec des vins frais, friands, harmonieux et une texture soyeuse qui depuis toujours a façonné leur réputation d’excellence. « Nous avons la chance d’avoir une offre de Beaujolais avec des vins de caractères différents, qui vont du fruité gourmand, en passant par le fruité complexe, pour finir vers des vins de prestige », analyse Marion Fessy directrice du domaine. « Solaire, soyeuse, la cuvée Fleurie 949 rassemble toutes les qualités d’un cru magnifique de plus en plus plébiscité à l’étranger ».

 

Moulin-à-vent : structuré et charpenté

 

Marion Fessy directrice du Château de Poncié, et Joseph Bouchard responsable du domaine

Marion Fessy directrice du Château de Poncié, et Joseph Bouchard responsable du domaine depuis 2009.

 

Sur 680 hectares, Moulin-à-Vent constitue sans doute le cru le plus prestigieux des Beaujolais. Ce vin de garde structuré et charpenté aux arômes d’iris, de roses fanées et d’épices rencontre un succès croissant, notamment à l’export. La Cave du Château de Chénas regroupe actuellement 80 familles de vignerons sur 200 hectares de vignes. « Ce qui caractérisent nos vins, c’est un triptyque qui réunit un sol majoritairement granitique avec l’influence de la vallée de la Saône, un grand cépage gamay qui s’adapte aux changements, et des vignerons avec différents modes de culture et d’élevage », commente Célestin Perraud, chef de cave. « Le Beaujolais est une région très vallonnée avec une variété de sols et de micro climats qui expliquent les différences entre les terroirs et certaines vinifications propres à certains crus comme le Moulin-à-Vent ».

 

Chénas : petit mais si grand

Le Château de Chénas

Le Château de Chénas.

 

Le plus petit cru du Beaujolais affiche seulement 280 hectares. Les Chénas se caractérisent par des vins charpentés aux notes florales et boisées. Forte d’environ 80 familles de vignerons, la Cave du Château de Chénas présente une histoire riche, renforcée par l’expérience du temps, portée par des grands terroirs et un savoir-faire ancestral, qui séduisent de plus en plus d’adeptes. L’export représente 30% du chiffre d’affaires principalement au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, au Japon, en Chine, en Belgique et au Danemark. « Les Chénas sont des vins modernes avec un niveau d’alcool moyen, des jolis fruits et des bouches rondes agréables et pas trop tanniques, qui se marient avec des cuisines différentes, souligne Didier Rageot, directeur de la cave. Typique de l’appellation, le Chénas Cœur de Granit s’affirme par un fruit très pur et une belle harmonie. »

 

Retour à l’authenticité !

Les vins du Beaujolais ont réussi leur pari. L’image quasi industrielle d’une mauvaise époque a pratiquement disparue. Les crus tendent à prendre le leadership de la région, portés par des valeurs tournées vers l’avenir : diminution des rendements, qualité des récoltes et des vinifications, optimisation des outils de production… L’interprofession et une majorité de viticulteurs ont su relever un niveau qui atteint aujourd’hui des sommets. Les cuvées faciles à boire et parfois un peu lourdes, ont laissé la place à des vins minéraux, puissants, élégants, forts d’une palette de goûts d’une richesse incroyable. L’amélioration de la visibilité des vins de garde de la région a stimulé à nouveau l'intérêt des professionnels autant que du grand public. Surtout, elle a relancé les ventes sur tous les circuits de distribution et reconquit des parts de marché en volume et en valeur aussi bien en France que dans le monde entier. Le gamay qui n'était pas un cépage en vogue revient dans le cœur des consommateurs.