Terroirs
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Les crémants d’Alsace jouent le jeu des terroirs
Par Jean-Paul Burias, le 27 mai 2024
En vogue depuis plusieurs années, les Crémants d’Alsace réussissent une habile combinaison de terroirs exceptionnels et d’un remarquable savoir-faire. Au cœur d’un processus de fabrication rigoureusement défini, ces vins constituent une séduisante alternative aux mythiques Champagnes.
Des blancs magnifiés dans le monde entier aux fines bulles de plaisir, il y a un pas qu’une grande région viticole française a franchi aisément. Célèbre et réputé pour ses blancs aux cépages emblématiques (gewurztraminer, riesling, pinot gris, sylvaner…), le vignoble d’Alsace révèle aussi des merveilles dans une galaxie pétillante qui mérite d’être découverte. La région bénéficie de conditions climatiques favorables avec un climat chaud en été, plutôt ensoleillé en automne et une géologie variée. Dans une quête de vins étincelants, racés et fruités, les dates de vendanges sont relativement précoces afin de privilégier le caractère vif et sémillant de raisins croquants. Les Crémants d’Alsace sont généralement issus de l’assemblage de plusieurs cépages, pinots blanc, gris et noir, riesling, chardonnay et auxerrois, mais aussi élaborés à partir d’un cépage unique, comme la plupart des blancs de blancs à partir du pinot blanc. Tout en finesse et en équilibre, ils additionnent le charme des accents minéraux à la magie des palettes aromatiques fruitées et à l’éloquence naturelle des terroirs. Voici quelques pépites qui mettent parfaitement en lumière les atouts de ces vins indémodables.
La Cave de Ribeauvillé : l’éloge de la tradition
Avec son église, trois châteaux et une tour du XIIIe siècle, Ribeauvillé ravit les touristes et les oenophiles. A l’entrée de ce village médiéval, la Cave de Ribeauvillé constitue un passage privilégié. Créée en 1895, la plus ancienne cave coopérative de France couvre 246 hectares sur des terroirs d’exception. Sa charte de qualité garantit une vendange manuelle, un strict contrôle des rendements et un travail en lutte raisonnée ou en agriculture biologique. Les effervescents représentent 40% de la production avec une gamme de cinq propositions différentes : les Crémants Giersberger, assemblage pinot blanc et auxerrois, Giersberger Rosé 100% pinot noir, Giersberger Chardonnay, Crémant Bio, assemblage pinot blanc, auxerrois, pinot gris, riesling et Grande Cuvée, une solera élaborée à partir de pinot noir et de chardonnay. « Tous ont un dosage brut pour une optique gastronomique élégante avec de la fraîcheur », note Célia Langlois, responsable communication. « La fabrication passe par une sélection du pressurage, une élaboration selon la méthode traditionnelle et un vieillissement sur lattes de minimum 18 mois, plus long que celui régit dans l’Appellation d’origine contrôlée qui impose 12 mois ». Toute la production est issue de raisins récoltés à la main avec un débourbage statique et une durée d’élevage rallongée. « Notre petite structure et notre manière de travailler exigeante impose des couts de production élevés », analyse David Jaegle, directeur général. « La différence de notre production se fait au niveau de la reconnaissance de la cave, de la qualité lors de la dégustation et de notre image positive, qui constitue une porte ouverte au développement export ».
Yves Baltenweck, président de la Cave de Ribeauvillé et Évelyne Bléger-Cognacq, oenologue.
Guillaume Kester, viticulteur à Ribeauvillé.
Henri Windholtz, viticulteur de la Cave de Ribeauvillé.
Maison Zoeller : la force des arômes
Les maisons typiques s’immiscent au milieu de ruelles tortueuses dont certaines donnent sur le canal de la Bruche creusé en 1681. Au cœur de Wolxheim, la Maison Zoeller dévoile un imposant pressoir du XVIIe siècle qui témoigne d’une activité de plus de quatre siècles. Le vignoble conduit en agriculture biologique et biodynamique est certifié Demeter. Issu de deux parcelles dont l'une est située dans le Grand Cru Altenberg de Wolxheim avec un vieillissement de 30 mois, le Crémant Chardonnay s’accompagne de crémants traditionnels élaborés à partir de pinot blanc et de pinot auxerrois et d’un rosé à base de pinot noir. « Nous bénéficions du fait d’avoir dès les années 1980 dirigé notre production vers les cépages destinés aux crémants », note Mathieu Zoeller, qui a rejoint l’exploitation en 1992 après des études viticoles. « Ainsi, les vignes dédiées ont une moyenne d'âge de 25 à 30 ans et elles développent des beaux arômes et du corps ». La philosophie de la Maison a toujours été d’obtenir un raisin mûr et sain plutôt que des artifices en cave. « La gamme classique privilégie le coté fruit », reprend Christèle Zoeller. « Une forte part de pinot blanc entre dans l'assemblage car ce cépage est plus fin et plus floral que le pinot auxerrois qui amène des notes mûres, un peu beurrées. »
Mathieu Zoeller, son fils Hector et son épouse Christèle qui a rejoint le domaine en 2003.
Mathieu Zoeller lors du dosage.
Les Vignobles Ruhlmann-Schutz : fraîcheur maximum
L’histoire de ce domaine commence en 1688. Un chevalier Hongrois nommé Ruhlmann s’installe à Dambach-la-Ville et décide de cultiver la vigne. Au fil des générations, l’activité se développe avec une superficie qui atteint 40 hectares aujourd’hui. En 1994, le domaine a pris son nom actuel. Laurence Ruhlmann, Christine et Jean-Victor Schutz quittent leur métier pour rejoindre André Ruhlmann et créer les Vignobles Ruhlmann-Schutz. Sur le flanc des Vosges entre 175 et 420 mètres d’altitude, les vignes profitent de l’exceptionnel atout de la vallée du Rhin et d’une faille géologique de sols variés et complexes. Cette répartition géographique favorise une adaptation des cépages au terroir avec une production de 20% de vins non tranquilles. « Nous travaillons nos crémants avec des parcelles situés sur des sols argilo-calcaires et parfois granitiques », indique Antoine Schutz, directeur export. « L'assemblage de notre Crémant Brut est original avec un maximum de fraîcheur, une base classique de pinot blanc auxerrois, une pointe de riesling pour l'acidité et un apport de pinot gris pour le côté fruité ». Le temps de latte pour les Crémants Brut et Rosé est généralement de 12 mois, poussé à 18 mois pour l'Extra-Brut. « Nous sommes évidemment une belle alternative aux Champagnes », reprend Antoine Schutz. « C’est un vrai atout à l’export avec une demande grandissante et exigeante ».
La famille Ruhlmann-Schutz.
Les vignes et Dambach-la-Ville.
Domaine Clément et Matthieu Weck : un travail d’artisan
Un blason du début du XVIIIe siècle agit comme un symbole. La famille Weck est l’une des plus anciennes lignées de Gueberschwihr, un village réputé pour ses maisons à colombage et son vignoble. Né en 1942, Clément Weck a tout naturellement continué l’exploitation familiale, avant de délaisser en 1973 la polyculture pour se consacrer exclusivement au raisin et mettre la totalité de sa récole en bouteille. En 1995 et à seulement 23 ans, son fils Matthieu le rejoint après des études de viticulture et de commercialisation des vins et spiritueux. « Les crémants représentent 20% de notre production », explique-t-il. « Ils sont issus majoritairement de vieilles vignes avec des assemblages qui changent selon le type de cuvée souhaitée ». Les vignes sont travaillées de manière artisanale avec une limitation des passages de machines qui malmènent et tassent le sol. Manuelle, la récolte optimise la sélection des grappes tout en respectant le sol et en évitant les tassements. « Le crémant est une alternative au Champagne », souligne Clément Weck. « Mais il représente aussi une concurrence, car les méthodes de vinification et d’élaboration s’approchent, avec un prix qui démocratise le produit. Notre offre est de plus en plus complète, du zéro dosage, au brut, en passant par le demi-sec ».
La porte du XVIIe siècle de la cave du domaine Weck.
Clément Weck et son épouse Jacqueline, avec leur fils Matthieu et son épouse Isabelle.
Domaine Aimé Stentz : typicité et saveurs
Le temps a passé à Wettolsheim. En 1919, Jacob Stentz achète une auberge de ce village et la transforme en exploitation viticole. Longtemps la production est vendue en vrac. En 1960, Aimé Stentz et son épouse Angèle lui donnent un nouvel élan en valorisant le terroir et les processus d’élaboration. Cinquième génération de vigneron, leur petit-fils, Marc Stentz rejoint le domaine avec un premier millésime en 2011, avant de diriger depuis 2016 ces 13 hectares en agriculture biologique. « Nos quatre crémants représentent un quart de notre production », avance Marc Stentz. « Ils sont différents et présentent des saveurs et une typicité caractéristique qui répondent aux envies des consommateurs ». Le Crémant Brut Prestige est un assemblage 60% de pinot blanc, 25% chardonnay et 15 % riesling, élevé 18 mois sur lattes avant remuage et dégorgement. La gamme inclut le Crémant Brut Prestige rosé, 100% pinot noir, le Crémant Chardonnay et la Cuvée Équinoxe. Récoltée le jour de l’équinoxe d’automne, elle est élaborée avec 50% de pinot blanc qui symbolise le jour et 50% de pinot noir qui représente la nuit. « Cette union du jour et de la nuit révèle deux forces opposées qui s’associent en un mariage harmonieux », complète Marc Stentz. « Cette cuvée joue entre la lumière du soleil qui lui donne sa puissance et l’obscurité du chai qui lui confère sa fraîcheur et sa finesse. Il est important de distinguer le Crémant d’Alsace du Champagne. Ils n’ont pas forcément le même terroir, les cépages et les assemblages. Mais nous ne perdons pas la face par rapport à nos prestigieux voisins. »
Jocelyne Stentz et son fils Marc.
Travail à la cave du Domaine Aimé Stentz.
Vins d'Alsace Kuehn
Au cœur de l’Alsace, Ammerschwihr dévoile ses collines ensoleillées et son terroir au caractère particulier. Dans une couche géologique variée, granit, calcaire, schiste et sous-sols marno-calcaires favorisent des flacons exceptionnels dont les règles de production stimulent l’excellence et l’authenticité. La maison de négoce Kuehn produit 250 000 bouteilles par an de bulles fines et complexes. « Nous utilisons 20% de vin de réserve pour préserver une continuité dans le style de la maison et gommer l’effet millésime », exprime Timothée Boltz, directeur général. « Pour le Crémant 1675, nous privilégions un élevage long de 7 ans sur lattes. L’objectif est de faciliter la dégustation sans acidité trop forte avec des cuvés complexes et fines qui gardent la notion de plaisir avant tout ». La maison a développé une gamme en adéquation avec les demandes des clients, avec des profils de sucrosité, extra-brut, brut et demi-sec, de couleurs blanc et rosé, de cépages chardonnay et pinot noir avec une méthode culturale biologique où chacun trouve son style. « Notre volonté, selon les sorties et marchés, est d’anticiper au maximum les temps de vieillissements sur lattes qui est un vrai gage de qualité », rajoute Nicolas Garde, directeur technique et œnologue. « Les assemblages sont essentiellement réalisés à partir de pinots blancs et d’auxerrois avec une large palette de terroirs complémentaires. Par rapport aux Champagnes nos crémants n’ont pas à rougir avec une forte augmentation des volumes de 80% en trois ans. Nous avons le potentiel pour proposer dans le futur des cuvées toujours plus qualitatives et en accord avec les tendances de consommation. »
Moment festif pour le staff des Vins d'Alsace Kuehn.
Parenthèse vigneronne au domaine Kuehn.
Un succès qui ne se dément pas
Reconnue par un décret de 1976, l’Appellation d’origine contrôlé (AOC) Crémant d’Alsace s’impose comme le premier vin effervescent consommé à domicile en France après les Champagnes. Cette décision a fixé un cadre strict à l’élaboration d’un produit de qualité avec des exigences élevées pour les 500 élaborateurs réunis au sein du Syndicat des producteurs de Crémant d’Alsace. « Depuis les années 1990, les ventes connaissent une progression constante et régulière », indique Olivier Sohler, directeur. « On est passé à 40 millions de cols par an, dont 22 % à l'export, avec une progression en Europe, dans les pays de l'Est et aux Etats-Unis. Cette dynamique de croissance s'explique notamment par une vraie tendance de consommation et un prix raisonnable ». Les vins non tranquilles atteignent désormais en Alsace 33% des volumes ce qui est un record. « Nos marchés en clientèle particulière ne nous confrontent pas aux autres effervescents ni aux Champagne car la demande est spécifique », souligne Mathieu Zoeller de la Maison Zoeller. « Notre clientèle locale ou extérieure recherche d'abord un produit de qualité avec un prix en adéquation ». L’engouement pour la filière française se répercute désormais sur l’ensemble des marchés export, avec une production qui répond aux attentes des consommateurs du monde entier. Et c’est un vrai succès.
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