Terroirs

Le fascinant succès des rouges du Rhône méridional

Depuis plusieurs décennies, ces vins de la Drôme et du Vaucluse ont le vent en poupe. Un travail de restructuration a commencé au vignoble, qui porte déjà ses fruits avec des rouges plus frais, moins boisés, digestes, qui sont plébiscités par les consommateurs.

Racheté en 2018 par Mariusz et Marta Gawron, de riches investisseurs polonais, le château Isolette dans le Luberon est en pleine restructuration. Avec quarante-cinq hectares de vignes dont trente sont classés en appellation Luberon, ce très ancien domaine situé entre Bonnieux et Apt vend le reste de sa production en appellation Ventoux et en vin de cépage (IGP Méditerranée).

Depuis vingt ans, le directeur du domaine Olivier Rouquet explique que le profil des vins a bien changé :

« Le Luberon cultivait beaucoup de carignan que nous avons arraché au profit de la syrah et du grenache. Les consommateurs veulent des vins ronds et tanniques alors les élevages en demi-muid ou en barriques sont réservés aux vins de garde ».

Les vins rouges du domaine sont pour la plupart vinifiés en cuves. Sur les cuvées haut de gamme, l’élevage peut accompagner la vinification entre 18 et 24 mois mais le style de la maison est de ne pas marquer le vin. « Dans nos rouges, nous essayons surtout de garder le fruit et la rondeur, l’utilisation de fûts n’est là que pour micro-oxygéner le vin. Nous utilisons des bois français de la forêt de Tronçais (dans l’Allier) avec un grain très serré, très fin et une chauffe délicate », ajoute ce directeur technique.

Aujourd’hui, la restructuration du vignoble de l’Isolette n’ira pas sans la replantation de mourvèdre. Olivier Rouquet estime qu’avec les aléas climatiques, le mourvèdre devient très bénéfique dans les vins rouges parce qu’il est tardif. Ce cépage vient contrebalancer le degré du grenache qui est plus précoce. Et même si la syrah semble adaptée à la sécheresse, son degré peut être élevé tandis que le mourvèdre permet de beaux assemblages.

À l’Isolette, les vins boisés sont réservés à une petite clientèle d’amateurs et trois cépages feront les vins rouges du Rhône du futur, le trio syrah, grenache, mourvèdre, néanmoins il faudra beaucoup de feuillage et de l’irrigation pour limiter les degrés. Au Château l’Isolette, on s’affaire déjà pour replanter cinq hectares.

 

Trois priorités pour les Côtes du Rhône

Denis Guthmuller est le président de l’Organisme de défense et de gestion des appellations Côtes du Rhône et Côtes du Rhône Villages et il co-préside depuis 2014, la Commission économique d’Inter Rhône. Originaire d’Alsace, il exploite quarante hectares à Sainte Cécile les Vignes, dans le Vaucluse, avec son épouse Florence, depuis la fin des années 1990. Il s’est engagé rapidement dans l’action collective en présidant durant des années la Cave Cécilia avant sa fusion avec la coopérative de Cairanne dont il est aujourd’hui le vice-président. Il a converti son exploitation familiale au bio en 2009 contribuant activement à la création, en 2019, de l’Association interprofessionnelle Sud-Est Vins bios dont il est aussi président.

 

 

Si son action à la tête du Syndicat général s’inscrit dans la continuité des précédents mandats, Denis Guthmuller s’est fixé plusieurs priorités. La première est de redonner du revenu au vigneron à travers le rendement, facteur-clé de la rentabilité des exploitations, tout en conservant un haut niveau d’exigence qualitatif.

La deuxième priorité est d’accentuer les actions en faveur de la préservation de l’environnement et de la biodiversité avec un objectif ambitieux : faire des AOP Côtes du Rhône une référence nationale en termes de développement durable. Pour lui, le climat rhodanien est plutôt propice aux pratiques environnementales vertueuses et c’est une vraie opportunité pour l'image de vigneron rhodanien. Sa troisième priorité est de travailler sur le profil des vins, dans les trois couleurs, pour s’adapter au réchauffement climatique mais aussi répondre aux attentes des consommateurs de demain.

 

Le duo grenache syrah méridional

Dans la vallée du Rhône, bon nombre d’appellations et de crus ont travaillé sur le profil aromatique des vins qu’ils soient d’assemblage ou monocépage. Parmi eux, Vinsobres est un exemple. Ces vins au profil très corpulent dans les années 90 sont désormais plus fruités et plus frais. De gros efforts ont été entrepris sur le cru Cairanne où les vendanges sont obligatoirement manuelles, où les vieilles vignes sont perçues comme un patrimoine à protéger, le tri des raisins obligatoire et l’ajout de sulfites très limité.

 

 

À Rasteau, les vins rouges secs sont très structurés, aromatiques, avec beaucoup de rondeur grâce au cépage principal, le grenache. Issu de vieilles vignes, le grenache produit des vins à la trame tannique soyeuse et aux arômes de fruits mûrs et d’épices tandis que la syrah apporte à ces rouges secs une couleur intense et des notes de fruits noirs, de violette et de poivre séduisantes. Alors si le Rhône méridional compte le grenache comme le cépage le plus planté, la syrah donne ses lettres de noblesse aux grands vins de la vallée du Rhône septentrionale où elle est vinifiée en cépage rouge unique bien qu’elle puisse être complantée avec le viognier (un cépage blanc) sur le cru Côte-Rôtie et avec roussanne et marsannne sur les crus Saint-Joseph et Hermitage. À Cornas, la syrah est cultivée en cépage unique sur toute l’appellation de 136 hectares. Reste une dichotomie d’origine historique très marquée entre la syrah du Nord et le grenache du Sud de la vallée du Rhône. La syrah a gagné les terroirs méridionaux et languedociens les plus frais dans les appellations Pic Saint-Loup ou Terrasses du Larzac, où elle est préférée au grenache, contrairement au Rhône méridional.

 

De l’usage modéré du bois

Fondée en 1859, la Maison Ogier - qui appartient au groupe Advini - est installée à Châteauneuf-du-Pape au cœur de la plus prestigieuse des appellations du sud de la France. Pour interpréter les subtiles variations des terroirs des Côtes du Rhône, Ogier a approfondi sa connaissance des sols de l’appellation (galets roulés, safres, grès rouges, éclats calcaires), puis a adapté en conséquence ses vinifications et ses élevages. Ses chais centenaires abritent plus de 8 000 hl de cuverie bois, de foudres, de demi-muids, de barriques et de cuves tronconiques. Mais n’imaginez pas pour autant que les vins sont boisés à outrance. Bien au contraire. « Si chaque cuvée a sa propre identité, nos vinifications sont conduites en co-fermentation (plusieurs cépages dans une même cuve) afin d’obtenir un équilibre et une complexité uniques par cet intime mariage des cépages. Si certains de nos vins sont élevés en cuve béton pour préserver leur fruit, la plupart de nos crus de rouge gagnent à être logés sous-bois pour conserver leur typicité tout en gagnant en finesse et en fraîcheur. Nous réservons donc un passage en barriques neuves aux crus du nord, principalement à base de syrah et à certaines appellations du sud (Gigondas, Châteauneuf-du-Pape) dans la limite de 6 à 8 mois selon la qualité du millésime », commente Edouard Guérin, l’oenologue de la Maison Ogier.

 

 

Pour les autres crus, le choix de demi-muids est préférable pour poursuivre le travail déjà entamé depuis la sélection des sols. Ces grands contenants permettent une très faible oxydoréduction et de petites interactions avec le bois confortent la belle structure, tout en développant le velouté et la finesse du vin. Le temps d’élevage varie donc en fonction du potentiel du vin entre 12 et 24 mois.

 

« Ainsi notre Côtes du Rhône rouge démarrera une première phase en cuve béton, avant de passer en contenant bois de grande contenance comme les foudres ou les cuves tronconiques pour affiner les tanins », ajoute l’oenologue. Chez Ogier, les chais sont un patrimoine au même titre que les vignes, afin de sublimer chaque cuvée, au gré des millésimes, et lui donner cette buvabilité si recherchée.

Entre Vaison la Romaine et Orange dans le Vaucluse, David et Éric Martin ont repris le domaine familial éponyme depuis une vingtaine d’années, avec l’ambition de développer la vente en bouteilles et l’export. Ces cousins germains sont les arrières petits-fils du fondateur Julien Martin qui a créé le domaine en 1905.

 

 

À ce jour, ils exploitent 78 hectares de vignes en Côtes du Rhône, Côtes du Rhône Villages (Plan de dieu, Sainte Cécile les Vignes) et en crus Rasteau et Cairanne. Selon les cahiers des charges de ces appellations, le grenache occupe 40 à 50% de l’encépagement, puis syrah et mourvèdre complètent les assemblages. Le domaine commercialise aujourd’hui 250 000 cols dont 80 000 cols de Côtes du Rhône générique, moitié en France, moitié à l’export vers l’Angleterre et les États-Unis. L’appellation Village Plan de dieu connait un vif succès sur tous les marchés. Le vin est élevé dans de vieux foudres achetés par le grand-père il y a plus de 60 ans, dans lesquels ces vignerons affinent la majorité de leurs vins. « Nous utilisons des barriques de second vin seulement sur le cru Cairanne avec un élevage de 3 à 4 mois pour le différencier. On obtient de légères notes boisées qui préservent le fruit » expliquent-il.

 

Le gout du consommateur a changé

 

 

Au domaine Martin, on constate aussi l’évolution des modes de consommation.

« Le consommateur a changé, il y a vingt ans il recherchait des profils de vins tanniques et il laissait les vins vieillir. Actuellement, on préfère choisir des vins peu évolués, sur le fruit. Les modes de conservation urbains ne permettent pas à tout le monde de laisser les vins se bonifier»

A l’export, il se félicite d’avoir un marché au Kenya avec une compagnie aérienne à laquelle il vend son Côtes du Rhône Plan de dieu. Le vigneron estime que depuis l’obtention de cette appellation en 2004, le marché connait une belle croissance.

Au domaine des Arches près de Nyons, enfin, cette exploitation familiale est en polyculture depuis six générations. Idéalement situés sur la route des Alpes, entre Vaison-la-Romaine et Nyons, 14 hectares de vignes en AOP Côtes du Rhône sont exploités et 15 000 cols sont commercialisés localement. Le patriarche du domaine, Daniel Ravoux, constate que dans les années très chaudes, qui sont de plus en plus fréquentes, les vins sont très généreux en alcool et nécessitent d’être affinés avant leur consommation. Il reste d‘ailleurs persuadé que ces vins sont bien meilleurs et beaucoup mieux appréciés lorsqu’ils sont consommés à leur apogée. Mais le consommateur comme les cavistes le pressent de produire des vins à boire rapidement. En attendant le classement des vignes en Côtes du Rhône Villages Nyons, la famille peut toutefois se réjouir de l’évolution qualitative des vins du Rhône, qui est une vraie révolution lorsque l’on jette un oeil sur le style ancestral des vins de la région.

 

By Christelle Zamora - Photographs: courtesy of the estates - © DR - © Christelle Zamora - © Alain Reynaud