Terroirs
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La famille des Côtes de Bordeaux : unie dans sa volonté de diversification
Par Camille Bertrand - Photographies : fournies par les domaines, le 05 juin 2023
Acteur de poids en France comme à l’export, la famille des Côtes de Bordeaux est à l’épreuve d’un contexte économique fragile et instable. Enquête en forme de témoignages pour donner la parole aux principaux acteurs d’un marché du vin qui peine à se réinventer.
Fusion de cinq terroirs que sont Blaye, Cadillac, Castillon, Francs et Sainte-Foy, les Côtes de Bordeaux couvrent près de 12 000 hectares de vignes qui s’épanouissent de part et d’autre de l’estuaire de la Gironde, au confluent de la Garonne et de la Dordogne.
Dynamique, l’Union ne cache pas, depuis sa création en 2007, son ambition de créer des vins de marque bénéficiant de la notoriété des vins de Bordeaux, tout en valorisant les terroirs spécifiques de cette grande aire de production, et notamment de ses coteaux.
Le vignoble du Château Haut Beynat.
Des terroirs qui sont désormais réunis sous cette identité commune que près de 900 producteurs font vivre avec ardeur. Adaptation de leur offre aux nouveaux profils des consommateurs ; recherche de nouveaux marchés ; développement de nouveaux circuits de distribution voire changement de modèle commercial… Si leurs démarches ne sont pas les mêmes, tous ont en commun cette infaillible volonté de pérenniser leurs vignobles et de « tirer notre épingle du jeu », comme nous le confiera l’un deux, conscients qu’il est urgent pour cela de sortir de l’ombre des grands crus classés qui masquent leur offre de vins affichant d’excellents rapports qualité-prix.
Jusqu’ici, cette force collective rayonnait aussi bien entre les frontières hexagonales qu’à l’export, où toutes appellations confondues, la part de marché a doublé en tout juste quinze ans, passant de 11 à 22%.
Mais, dans un contexte économique difficile, alimenté par une paralysante crise sanitaire et aggravé par un conflit armé, comment s’en sort cet acteur de poids qui, en France, occupe l’honorable place de 4ème AOC en volumes de vins rouges produits ?
Dans les coulisses des Côtes de Bordeaux, nous avons rencontré quelques producteurs de l’appellation afin de recueillir leurs témoignages.
Elevage d'un lot de Blaye Côtes de Bordeaux à la cave coopérative Alliance Bourg.
Alliance Bourg : « tirer notre épingle du jeu en proposant des vins plus fruités qui répondent mieux aux goûts des consommateurs »
« Alliance Bourg est née en 2007 de la fusion des caves de Pugnac, de Tauriac et de Lansac », explique Bastien Queille, son directeur technique. Aujourd’hui, « elle regroupe une soixantaine de vignerons sur une superficie d’environ 500 hectares et produit près de 20 000 hectolitres de vin rouge par an ». Des chiffres importants qui font de la cave coopérative « le leader des Côtes de Bourg en volumes » mais également un acteur important de l’appellation Blaye Côtes de Bordeaux, dont elle produit près de 6000 hectolitres.
Dans un contexte économique difficile, « nous souhaitons tirer notre épingle du jeu en proposant des vins plus fruités qui répondent mieux aux goûts des consommateurs. ». Aussi, la cave veille désormais à « produire des vins plus gourmands, avec une plus grande buvabilité. ». S’il observe que « les ventes de Bordeaux générique reculent plus vite que celles des vins en AOC Blaye », « nous essayons de développer notre part à l’export pour pallier cette baisse ». Côté logistique, « nous subissons les difficultés d’approvisionnement en matières sèches mais nous anticipons les stocks, réalisons les mises au moment de la réception des bouteilles et essayons de développer ce qui part au vrac pour avoir de la trésorerie plus rapidement. ». Au pilotage de ces décisions, Caroline Bru, la nouvelle directrice générale d’Alliance Bourg, a rejoint l’équipe début 2022.
Château Les Bertrands : « plus on va loin, moins on a de concurrence »
Propriété familiale située à Reignac, sur les appellations Blaye Côtes de Bordeaux et Bordeaux, « mon père a repris le domaine dans les années 60 », explique Laurent Dubois. Si celui-ci a développé la partie export dès son arrivée en 1993, c’est « parce que je me suis aperçu que plus on va loin, moins on a de concurrence. », explique-t-il. Petit à petit, il expédie une part croissante de sa production à l’export, notamment en Chine, où il commercialise près de 40% de ses vins.
Mais, en 2020, les choses changent lorsque « la crise sanitaire engendre une chute de 80% de cette part. ». Bien déterminé à conserver son avance sur la scène internationale, où il a déjà conquis bon nombre de marchés, « nous nous sommes tournés vers l’Afrique de l’ouest, où le Bordeaux a encore la côte, pourvu que l’on vende des bouteilles esthétiques, fabriquées dans un verre lourd et dotées de belles étiquettes ».
Château Les Bertrands.
Conscient que « ces marchés n’attendent pas des vins haut de gamme », le propriétaire orchestre et segmente l’ensemble de ses vinifications, « pour créer une large gamme de vins et donc de prix capables de répondre aux besoins des différents consommateurs. ». S’il admet que « les coûts du verre lourd ont augmenté et (que) cela nous oblige à rogner un peu sur nos marges », le vigneron peut néanmoins se féliciter d’avoir conservé une belle part de ses ventes à l’export, « de l’ordre de 65% ».
Les trois générations de la famille Dubois dans le chai à barriques du Château Les Bertrands.
Château Haut-Grelot : « il faut évoluer, changer et s’adapter »
Au Château Haut-Grelot, Julien Bonneau incarne « la 4ème génération d’une exploitation « sur laquelle mon père, Joël, a développé la vigne », explique ce dernier. C’est aussi son père qui, dans les années 80, « a développé la vente directe en France puis sur l’export ». Un travail que poursuit désormais le jeune vigneron, conscient « qu’il ne faut pas mettre ses œufs dans le même panier et diversifier les marchés ».
S’il reconnait que la crise sanitaire n’a pas favorisé les exportations, d’autant que « le marché chinois était déjà en crise depuis le début des années 2000, avec un ‘’désamour des vins de Bordeaux’’ », il concède, en revanche, qu’ « elle a largement favorisé les ventes auprès des particuliers ».
Julien Bonneau, la relève du domaine familial de Haut-Grelot.
Mais la relance, comme partout, est difficile. Pour sortir du lot, il est convaincu qu’il doit « faire des vins différents qui correspondent davantage à mes clients. ». Une liberté qu’il a plus facilement sous l’IGP Atlantique que sous les AOC, même si le vigneron produit « une majeure partie de ses vins en Blaye » : 14 cuvées déclinées dans les trois couleurs, « et même en vin orange ».
Château Haut-Grelot.
« Il faut évoluer, changer et s’adapter », confie Julien qui, dans un tel contexte, considère que « l’identité de mon domaine est plus forte que l’AOC » et mise pour cela sur « la diversification de l’offre, autant des produits que de leurs circuits de distribution. ».
Le vignoble du Château Haut-Grelot.
Château Haut Beynat: « dynamiser la vente en direct »
Sur les terroirs de l’AOC Castillon Côtes-de-Bordeaux, « La propriété est dans ma famille depuis 1840 », raconte Florence Cardoso, qui en a repris les rênes en 1996 avec son mari, Paul, « pour exercer un métier passion et rencontrer les gens ». Mais, à l’aube des années 2000, « il fallait faire du volume pour faire des économies d’échelles et les techniques pour y parvenir nous ont rendus esclaves de nos terres et nous avons perdu le sens de ce que l’on faisait ». En 2013, la grêle ravage toute la production du domaine. A deux doigts d’abandonner, les propriétaires rencontrent « des gens formidables » qui, chacun à sa manière, leur donne un coup de pouce. Parce qu’elle ne prend jamais sans donner en retour, Florence s’investit et adhère à l’association Solidarité Paysans, dont elle devient présidente, avant de créer l’association SOS vignerons sinistrés. Si le couple « repart finalement comme en 40 », « on ne veut pas continuer comme ça et on réduit notre vignoble à 7 hectares. ».
Le Château Haut Beynat, une propriété familiale entre les mains de la famille Cardoso.
En 2021, « je suis tombée sur un appel à projet intitulé Slow tourisme vague II et j’ai candidaté. ». Convaincue du bien-fondé de cette manière de « remettre du sens dans mon exploitation en accueillant les gens et en créant une économie circulaire », voilà surtout un moyen vertueux de « dynamiser la vente en direct et de fidéliser notre clientèle. ».
Le vignoble du Château Haut Beynat.
Château Bois des Graves: « le modèle des AOC est à bout de souffle »
A Saint-Ciers de Canesse, le Château Bois des Graves produit des vins sur les appellations Côtes de Bourg, Blaye Côtes de Bordeaux et Bordeaux.
En 2017, Guillaume Raymond a repris cette structure familiale, dont « le vignoble couvrait 28 hectares », explique ce dernier. Parce que les sols, argilo-limoneux, « produisent ici des vins puissants qui ne collent plus à ce que recherchent les consommateurs », il acquiert « 14 hectares de plus sur des graves rouges qui donnent des vins plus aromatiques et plus fins.»
Guillaume Raymond, propriétaire du Château Bois des Graves.
Si 98% de la production sont alors destinés au vrac, « les ventes dévissent à partir de 2018 et le prix du tonneau a tant chuté que l’on ne couvrait plus nos coûts de production ». S’il a à cœur de « faire tourner le patrimoine familial », « cela devient très difficile de s’adapter d’une année sur l’autre sans savoir où l’on va ». Arrivé au constat que « l’on arrive aux limites d’un système qui ne prend pas en considération les contraintes des vignerons », il décide de pousser la porte de la cave coopérative de Tutiac en 2022, où il apprécie « le dialogue avec les adhérents » et où « notre production est segmentée en fonction des besoins votés à l’avance », ce qui offre « une meilleure visibilité sur le long terme. ». Sur l’appellation Blaye, « j’écoule entre 1500 et 2000 hectolitres par an. ».
Le vignoble du Château Bois des Graves.
Conclusion
En l’espace de quinze ans, la grande famille des ‘’Côtes de Bordeaux’’ a su se positionner en acteur majeur des vins girondins et s’est construit une remarquable notoriété à l’échelle nationale comme internationale. Mais, à l’épreuve d’un marché instable, la force collective n’a du bon qu’à la condition de s’adapter aux multiples contraintes qui dépassent les seules contraintes économiques du marché. Dans le sillage des terroirs qui l’ont construite, les producteurs ont bien compris qu’il s’agissait désormais d’aller au-delà de l’identité parfois clivante de ces appellations. Aussi, dans toutes nos rencontres, la volonté de diversification résonne fort. Diversification de l’offre, des marchés, des circuits de distribution…
Pour tirer leur épingle du jeu, certains n’hésitent même plus à changer totalement de modèle économique, convaincus que l’avenir sera plus favorable à ceux dont l’identité propre est plus forte que celle représentée par un terroir ou une appellation. Tous, en tout cas ont la volonté de saisir à pleines mains les opportunités de relances économiques qui s’offrent à eux.
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