Terroirs
Terroirs
Graves : un terroir à prendre au sérieux
Par Alain Echalier - Photographies : fournies par les domaines, le 29 août 2022
Les vins des « Graves » ne sont souvent connus que des amateurs éclairés. Ils donnent pourtant des vins typiquement bordelais, très accessibles financièrement et avec toute une gamme de profils. Présentation de l’appellation, et visite détaillée de quelques exploitations.
La zone géographique des appellations d’origine contrôlées « Graves » et « Graves supérieures » s’étend sur une bande d’une dizaine de kilomètres de largeur sur la rive gauche de la Garonne, de Bordeaux à Langon, en contournant celles de « Sauternes » et de « Barsac ».
Au Château Clare la forêt n'est jamais loin.
Le terroir mis en valeur
Contrairement à beaucoup d’appellations françaises qui désignent leur village d’origine, on fait ici référence au sol de galets, cailloux, graviers plus ou moins gros, apportés au fil des périodes géologiques par la Garonne. Ces graves sont parfois mêlés à des limons et des argiles. Ceci apporte plusieurs avantages :
-Pauvres car sans trop de matière organique, ils ne gâtent pas trop la vigne, qui dès lors concentre ses raisins.
-Cette concentration est d’ailleurs renforcée par le caractère drainant des graves, qui évite aux plantes les excès d’eau.
-Enfin, les sols réfléchissent le rayonnement solaire, car les graves redistribuent la chaleur sur les grappes de raisins et améliorent ainsi leur maturation.
Le climat de la région est océanique, tempéré par la présence de l’eau : océan et fleuves. La vigne dispose d’un bon ensoleillement. Les années où l’été est peu ensoleillé – souvent des « millésimes difficiles » - deviennent rares du fait du réchauffement climatique. Mais celui-ci est surtout à l’origine d’évènements soudains : gels, grêle, averses violentes, proliférations de champignons, de parasites (mildiou, oïdium, etc). D’ailleurs, en cas de forte sécheresse, l’irrigation est maintenant légalement possible, sur dérogation. Mais celle-ci reste onéreuse et très rare.
Les pratiques viti-vinicoles
On fait du vin dans la région depuis plus longtemps que dans le célèbre « Médoc ». La cote des Graves a dominé le marché jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Le nom de « vin de Graves » a d’ailleurs fait son apparition lors de l’âge de croissance de la région, entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Les exportations vers le Royaume-Uni et le nord de l’Europe avaient déjà fortement commencé.
3500 hectares de vignes sont aujourd’hui cultivés par 240 viticulteurs, dont plus de 80% habitent sur place. C’est donc un terroir riche de ses habitants et bien vivant, assez différent de celui du nord, parfois un peu triste. L’œnotourisme permet ici de rencontrer les « paysans », au sens noble du terme.
Sur 20 millions de bouteilles produites, 2/3 sont du vin rouge. Il provient essentiellement de cabernet sauvignon et de merlot, avec parfois un peu de Cabernet franc, de Côt – nom local du malbec – et de petit verdot. Le blanc est fait à partir de sémillon et de sauvignon blanc, additionné de temps en temps de muscadelle. Rouges comme blancs font souvent l’objet d’un élevage en barrique de bois, pour assouplir les tannins et contribuer à l’aromatique des vins. L’appellation « Graves supérieures », qui désigne un blanc liquoreux obtenu à partir de raisins en surmaturité, ne représente plus que quelques fragments de la production. Nous vous emmenons maintenant à la rencontre de quelques vignerons du cru.
Chateau Clare, vignes en lisière de foret
C’est Thierry Carreyre et son épouse, agés d’une cinquantaine d’années, qui sont maintenant à la tête de cette exploitation de 15 hectares. « Clare » fait référence à Claire, un amour d’un ancêtre familial. Le couple représente la cinquième génération. Ils vivent sur place, et leur travail a permis de presque doubler la surface de vigne. Lui se charge des vinifications, elle de la commercialisation.
Thierry Carreyre, vigneron au Châteu Clare.
L’entreprise se situe dans une clairière de la forêt de Landiras, au sud-ouest de l’appellation Graves. Cela permet une sorte d’agro foresterie naturelle, explique Thierry. La présence toute proche de la forêt apporte de nombreux atouts, dont notamment une protection contre le gel printanier. Le terroir est un peu plus frais que dans le reste de la région. Cela se ressent dans le style des vins. Le Chai est également protégé. Pour les vinifications, il n’est ainsi pas utile d’utiliser des cuves thermorégulées. Ici la grave est profonde. Elle descend jusqu’à 5 à 6 m. C’est parfait pour le drainage et permet aux racines d’aller chercher de l’eau en profondeur.
Le vin rouge représente 80% de la production, avec une répartition merlot/cabernet sauvignon à 60%-40% qui permet une dizaine d’années de garde aux vins. Les plants de vigne ont environ 30 ans. Si 2019 a été un peu chaud pour le merlot, là aussi la fraicheur apportée par la foret laisse le temps de voir venir. Le vigneron veut aller plus loin que le HVE. Il met ainsi des semis un rang sur deux pour ne pas utiliser d’herbicide, utilise des bio contrôles plutôt que des pesticides… C’est nécessaire, et correspond à une attente de la clientèle !
Le style recherché pour les vins est le fruit ; la cerise. Il y a une dizaine d’année, le couple qui vendait essentiellement au négoce a commencé à mettre directement en bouteille une partie de sa production. Le nom de la cuvée est tout trouvé : Louis, le prénom de leur fils, maintenant âgé de… 10 ans. Les années fraiches ils produisent aussi un peu de rosé. Mais plutôt que d’utiliser l’appellation « Bordeaux rosé » – car celle de « Graves » ne permet pas le rosé, ils préfèrent le commercialiser en « vin de France ». « Bordeaux » a perdu en France un peu de son lustre d’antan, a constaté le vigneron lors de salons avec des particuliers.
Au Château Clare, la vie se développe entre les rangs de vigne.
Domaines de la Mette : régularité
L’entreprise viticole qui appartient à un particulier, Jean-Baptiste Solorzano, s’étend sur 82 hectares, dont 62 en appellation Graves. Elle se déploie en 4 lieux distincts, qui produisent des vins commercialisés sous 4 noms de châteaux distincts (Château Millet, Prieuré-Les-Tours, Martin et Claron). C’est le Directeur technique, M. Despujols qui nous la présente.
Le Château Millet, à Portets, est le centre de l’entreprise. Cette bâtisse, reconstruite à la fin du XIXe siècle, regroupe les bâtiments d’exploitation. Située en bord de Garonne, elle est très jolie et permet entre autres de recevoir les particuliers lors des opérations portes ouvertes.
Les sols cultivés sur l’ensemble des lieux comportent des graves, bien sûr, mais pas que, surtout quand on s’éloigne du fleuve. On trouve aussi des calcaires, ou de petites graves caillouteuses. La vendange est souvent précoce car les sols peuvent être chauds.
La production porte essentiellement sur le vin rouge ; le blanc ne représente que 10 à 12 000 bouteilles par an. L’appellation Graves blanc est moins connue et certaines parcelles de blanc sont même ici passées en rouge. Le cabernet sauvignon fait part égale avec le merlot. Dans les 10 dernières années, on a d’ailleurs replanté du cabernet sauvignon qui devient de plus en plus pertinent avec le réchauffement climatique. Le Château Martin contient 4% de petit Verdot, et le Château Claron 3% de carmenère. La vigne est taillée très tardivement, pour retarder au maximum son cycle, et éviter le danger de gels au moment critique des bourgeons.
Ici, on ne produit pas de 2nd vin, tous les efforts sont portés sur les 4 vins de Château et la gamme présente une qualité assez régulière. Le choix est fait d’obtenir une bonne concentration. Une macération préfermentaire à froid de quelques jours est souvent réalisée, puis on laisse progressivement monter les températures, tout en les contrôlant. Le chai est pour cela équipé de cuves thermo régulées. L’élevage se fait en barrique et aussi en partie au moyen de staves (morceaux de chêne immergés dans les cuves), avant que les vins soient assemblés.
Les vins tournent autour de 9 à 10€ par bouteille. Les ventes s’effectuent en grande distribution, mais aussi aux Etats-Unis, ou en Belgique. L’idée est d’avoir un style agréable, mais avec une bonne longueur. Ce sont actuellement les millésimes 2018 et 2019 qui sont commercialisés. Les tannins sont assouplis depuis peu avec un peu de micro oxygénation.
Les cuves du Domaine de la Mette.
Chateau Millet.
Jean Médeville et Fils : toute la gamme des Graves
Les vignobles Jean Médeville et Fils sont maintenant représentés par la 7e génération de la famille, les frères Jean et Marc. A vrai dire le berceau familial est situé juste de l’autre côté de la Garonne, au Château Fayau sur la commune de Cadillac. Mais si le chai de vinification se trouve « rive droite », l’entreprise compte plusieurs propriétés sur la « rive gauche », parmi les Graves.
Peyreblanque (Pierre blanche) est un Château de 11 hectares qui tire son nom du sol calcaire. La terre y est rouge, mais elle est parsemée de cailloux blancs. Situé à 40 km au Sud de Bordeaux, cette propriété est parfaite pour élaborer un vin blanc élevé en barriques de chêne. Ici on travaille surtout les arômes fermentaires et d’élevage, plutôt que le fruit.
Château Fayau.
Château Peyreblanque.
Le Château du Mouret se situe au centre de l’appellation Graves. Il compte 18 hectares et sert au contraire à produire des vins sur le fruit. Pour cela, la matière est travaillée à basse température. Le château Boyrein a, avec ses 15 hectares de vignes, a également vocation à donner des hyper fruités. Les deux produisent des Graves rouges et des blancs. Enfin le Château du Seuil compte 10 ha à Cérons. Nous en reparlerons.
L’entreprise mutualise le matériel de production. Au total elle produit 2/3 de rouge contre 1/3 de blanc. L’encépagement rouge est également divisé entre cabernet sauvignon et merlot. « Ici on aime le cabernet », indique Marc. « Le cépage donne des vins moins opulents que le 100% merlot, mais c’est plus équilibré. Et maintenant la vendange peut être faite rapidement, ce qui permet une bonne précision quant à la maturité du cabernet ». Lui s’occupe de la viticulture et son frère de la vinification. Toutes les exploitations sont en conversion biologique, le château du Seuil étant en bio depuis 20 ans. « Logique » dit-il, « car je suis chasseur et pêcheur ! » S’ils n’ont jamais été fervents de la chimie, l’interdiction de certains produits phytosanitaires, puis le haro sur le glyphosate les ont naturellement conduit vers le bio. A 50 ans, il faut se donner de nouveaux challenges ! D’ailleurs, il aime travailler les sols et a aussi installé quelques ruches.
Si l’appellation se vend plutôt bien en France, la difficulté provient surtout des variations soudaines de la météo, induite par le changement climatique. Lors de l’interview (en avril), la vigne avait connu des changements de température de 32 °C, en une seule semaine. Et la pluviométrie devient extrêmement variable. Les Challenges ne font que commencer !
Marc et Jean Médeville.
Vignobles Jaubert, valoriser l’appellation
Cette entreprise familiale est présidée par Xavier, sa sœur en étant la Directrice. Elle compte un total de 201 hectares, dont 42 en Graves.
Le haut de gamme est produit au Château Arzac, un terroir comprenant 7 hectares de rouge (70% de merlot, 30% de cabernet sauvignon) et 3 hectares de blanc (70% Sauvignon blanc, 30% sémillon). Situé au nord de l’appellation, la vigne est travaillée à la main et au cheval. Tout est vinifié exclusivement en barriques et par gravité pour éviter d’altérer les jus. Après deux ans d’élevage les vins sont mis en bouteille, sans être filtrés.
Xavier explique que l’appellation Graves a une carte à jouer. Situé juste au sud de la fameuse appellation Pessac-Léognan, elle en est la petite sœur, et avant 1982 rien ne les différenciait. Certes, ironise-t-il, porter un nom synonyme de « tombe » en anglais demande à être expliqué, mais on y trouve des pépites et les critiques internationales sont bonnes.
Il faut bien comprendre qu’on trouve ici une diversité de terroirs qui permettent de produire toute une gamme de vins : du concentré, des tannins fins, de la fraicheur, du fruité… Une autre propriété, le Chateau Lagrave d’Arzac, produit ainsi des vins faits en cuve inox et vendus 6 à 8 euros en Grande distribution.
L’entreprise sait aussi être créative. Pour relier le consommateur au terroir, un QR code sur l’étiquette d’une bouteille lance une application qui permet au vigneron d’en sortir, en réalité augmentée, et de s’inviter à la table des convives !
Xavier Jaubert.
Le chai des vignobles Jaubert.
Graves supérieures et Cérons : témoins du temps
Ces appellations sont devenues ultra confidentielles. On n’y dénombre plus que 11 déclarants. Il s’agit en effet exclusivement d’un vin blanc doux. Ceux-ci, essentiellement constitués de sémillon agrémenté parfois de sauvignon blanc et de muscadelle, doivent au minimum contenir 34 g/l de sucre résiduel, parfois beaucoup plus. Si les célèbres et proches villages de Barsac et de Sauternes leurs font concurrence, il faut dire que le sucre dans son ensemble, bien que naturel car obtenu par vendanges très tardives et passerillage sur pied, n’est plus guère à la mode… Les Châteaux sauternais eux-mêmes produisent de plus en plus de vin blanc sec !
Les chevaux au travail dans les vignobles Jaubert.
Travail du sol par les chevaux au Château Arzac.
Parmi nos vignerons, les vignobles Medeville comme les vignobles Jaubert en font ou en ont fait. Mais ce sont des productions très réduites qui sont parfois achetées par leurs revendeurs pour… leur propre consommation ! Dommage, car ces vins dorés aux arômes de fruits confits font merveille au dessert et avec des plats pimentés.
Car la finalité d’un vin n’est-elle pas de se retrouver à table ? Récapitulons : A l’apéritif : un Graves blanc sur le fruit. Avec un poisson travaillé, une viande crémée : un Graves blanc boisé. Avec une viande légère, des tapas : un Grave rouge simple. Avec un gibier, un mets fumé : un Graves puissant. Pour le goûter ou le dessert : un Graves supérieures ! Et tout cela n’aura coûté que quelques dizaines d’euros ! Laissez-vous tenter !
Ces articles pourraient vous plaire
Terroirs
Terroirs