Terroirs

Costières de Nîmes, Luberon, Ventoux : Trois identités peu communes

Situées dans le Rhône méridional, les appellations Costières de Nîmes, Luberon et Ventoux partagent une tradition viticole ancestrale remontant à l’Antiquité. Implantées dans des réserves naturelles de biodiversité, elles offrent à leurs visiteurs des paysages spectaculaires et une douceur de vivre bien méditerranéenne, que l’on retrouve volontiers dans l’expression généreuse de leurs vins. Nous avons sélectionné 6 domaines de qualité remarquable pour mettre en lumière les points communs de ces trois appellations, mais également ce qui fait leurs singularités.

Le Domaine Mourgues du Grès propose un parcours ludique au cœur du vignoble pour mieux comprendre son histoire et sa diversité.

 

Le Rhône méridional jouit d’une notoriété internationale pour ses vins rouges gras et généreux, à dominante de grenache noir, dont Châteauneuf-du-Pape est certainement le porte-drapeau. Celle-ci porte dans son sillage de nombreuses autres AOC rhodaniennes dont font partie les Costières de Nîmes, la plus méridionale d’entre elles, faisant le trait d’union entre le Rhône provençal et le Languedoc ; le Luberon, accolé au Nord de la Provence et sa production majoritaire de rosés frais et délicats ; et le Ventoux, l’appellation la plus septentrionale des trois, dont le volume de production est deux fois plus important que les deux premières. Ces trois appellations jouissent d’un climat général méditerranéen, bien souvent balayé par le Mistral, sec et relativement frais, bienvenu pour lutter contre les maladies cryptogamiques. Elles bénéficient néanmoins de caractéristiques microclimatiques spécifiques, à l’origine de certaines de leurs singularités. Charriés par le Rhône depuis les massifs alpin et central à l’époque glaciaire, les galets roulés typiques des appellations proches du fleuve permettent au sol d’emmagasiner de la chaleur afin de favoriser la maturation des baies. Ces galets emblématiques de la vallée du Rhône sont également drainants, et aident à conserver l’humidité en profondeur dans des sous-sols généralement de nature argilo-calcaire. Il serait néanmoins réducteur de ne pas également évoquer l’immense variété de natures et textures de sols, d’expositions, d’altitudes, liée aux nombreux chamboulements géologiques à l’origine de la formation des paysages rhodaniens. Les expressions des vins s’en trouvent incontestablement diversifiées. Enfin, bien que proches géographiquement, ces trois appellations ont chacune leur propre histoire, leur propre culture. Entre Provence et Languedoc, entre massifs pré-alpins et Méditerranée, c’est cette diversité climatique, géologique et culturelle qui a conduit à des évolutions différentes de ces trois vignobles et leurs styles de vin respectifs.

 

Romain et ses parents Anne et François Collard, vignerons au Château Mourgues du Grès.

 

COSTIÈRES DE NÎMES : LA PLUS MÉRIDIONALE

Bordant le Rhône, entre garrigues et Camargue, les Costières de Nîmes se trouvent tout au sud des vignobles rhodaniens, à quelques dizaines de kilomètres seulement de la mer Méditerranée. À ce titre, l’appellation profite d’une influence maritime marquée qu’elle seule peut revendiquer. « Les contreforts de pierres et garrigues des Cévennes juste au Nord chauffent très rapidement l’été, provoquant un mouvement quotidien de convection de l’air à l’origine d’une brise marine soutenue les jours où celle-ci n’est pas contrariée par le Mistral » explique François Collard, vigneron au Château Mourgues du Grès. Vous l’aurez compris, c’est une appellation extrêmement ventée, ce qui lui permet de ventiler le vignoble et ainsi limiter les traitements anti-fongiques. Elle fait d’ailleurs partie des régions avant-gardistes en termes d’agriculture biologique. Le Château Mourgues du Grès se situe à 5 kilomètres seulement du Rhône. On y retrouve logiquement des sols de galets roulés nous précise François Collard : « Les galets sont très drainants, et protègent les sous-sols plus argileux de l’évaporation. Ils constituent ainsi un réservoir hydrique dans lequel la vigne peut aller puiser, participant ainsi à sa résilience lors d’épisodes caniculaires ». Le vignoble de 70 ha certifié en biodynamie depuis 2019 se situe principalement sur un plateau de galets roulés, mais dispose également de sols marneux constituant de bonne réserves hydriques sur le flanc nord du plateau, et de sols calcaires plus asséchants sur le flanc sud. Cette variété de sols permet d’obtenir une belle palette de lots d’assemblage, essentielle pour élaborer le vin final. Costières de Nîmes, comme l’essentiel du Rhône méridional, est traditionnellement une appellation d’assemblage. « Les sols sont également composés en partie de terres fines issues de la pédogénèse, riches en éléments minéraux et favorables à  l’expression d’une minéralité et d’une fraîcheur remarquables dans nos vins, blancs notamment ». Les vins blancs au Château Mourgues du Grès représentent d’ailleurs un quart de la production totale. La cuvée Capitelle blanc est un assemblage de grenache blanc issu de vieilles vignes sur sols calcaires, complété par une touche de roussanne et de viognier. Fermentée en levures indigènes et élevée durant un an en demi-muids, cette cuvée retranscrit une minéralité intense, portée par un fruité gourmand et un élevage généreux.

 

La Cave de Pazac, entre Rhône et Cévennes.

 

Un peu plus au Nord, entre garrigues et Rhône, la Cave de Pazac est une cave coopérative singulière. Elle regroupe 9 vignerons sur 280 ha de vignes labellisées HVE depuis 2020. Jean-Louis Boyer, son directeur, nous confie être animé par une tradition et une culture plus provençale que languedocienne. Bien que située entre ces deux appellations méditerranéennes, « le langage traditionnel local est le provençal, et nous sommes situés à quelques kilomètres du Rhône seulement, nous sommes une appellation rhodanienne à part entière ». Là encore, c’est la fraîcheur relative des vins qui surprend, le Mistral et l’influence maritime participant à un rafraîchissement des nuits, et donc une belle amplitude thermique diurne. L’expression de la Syrah s’en trouve rehaussée, celle-ci entrant pour plus de la moitié dans les différents assemblages de la cave. La cuvée Le Pigeonnier Rouge est un exemple du succès commercial de cette appellation. Produite à plus de 100 000 cols annuels, elle exprime un fruité intense, et une sensation en bouche ample et généreuse. Parmi les AOC rhodaniennes, l’appellation Costières de Nîmes enregistre en 2021 la plus grosse progression au niveau des exportations. Elles comptent pour plus de 40% de sa production, avec pour marchés privilégiés la Belgique, le Royaume Uni, la Chine et les USA.

 

Les cassures géologiques nombreuses au sein du vignoble du Château Isolette sont à l’origine d’un important panel de terroirs différents, essentiels pour exprimer tout l’art de l’assemblage, cher aux AOCs du Rhône.

 

LUBERON, ENTRE RHÔNE ET PROVENCE

Situé en plein parc naturel, le vignoble s’étend sur les versants Nord et Sud du massif du Luberon. Olivier Rouquet, régisseur du Château Isolette situé sur le versant Nord nous explique que le Luberon regroupe en fait au sein d’une même appellation 2 zones viticoles aux caractéristiques climatiques bien distinctes : « Le versant Sud dont le vignoble se prolonge jusqu’au fleuve de la Durance, est sous une influence méditerranéenne bien plus marquée, avec des températures plus élevées de jour comme de nuit. Dans la partie Nord du Luberon, le Mistral souffle moins fort mais le vignoble bénéficie davantage de descentes nocturnes d’air frais en provenance des massifs alpins. Cela induit une forte variation diurne des températures pouvant atteindre 15 à 20°C. Les nuits fraîches permettent de conserver les acidités et de ralentir la phase de maturation des baies, si bien que le débourrement et les vendanges interviennent 2 semaines plus tard qu’en plaine. » Le vignoble du Château Isolette s’étend sur 45 ha de vignes implantées au cœur d’un espace forestier d’environ 200 ha. Il se situe sur des altitudes de 300 à 400 mètres, profitant ainsi d’une fraîcheur accentuée par sa situation topographique. Le vignoble du Luberon est constitué d’une multitude de parcelles, très souvent encerclées de forêts. Il est le théâtre d’une biodiversité naturelle très développée. Certaines parcelles du Château Isolette se situent plus bas sur les rives du cours d’eau Calavon, qui marque la frontière avec le territoire de l’AOC Ventoux. Les sols sont ici constitués de marnes, plus fertiles que sur les côteaux. Ils sont en général à l’origine de vins souples, du fait de la nature des sols et de rendements plus élevés. Sur les contreforts Nord du Luberon, les parcelles sont principalement exposées Nord, sur des altitudes atteignant 400 mètres. Ces sols pauvres sont constitués d’éboulis caillouteux. Olivier Rouquet est formel, son terroir est plus proche du Rhône septentrional que du Rhône méridional : « La syrah trouve ici un terrain de prédilection, elle y acquiert des caractéristiques dignes d’appellations prestigieuses situées autour de Tain l’Hermitage. La tension, la concentration aromatique, la structure tannique fine, tous les ingrédients sont là pour créer de grands vins à partir de ce cépage. » Afin d’assurer le suivi de qualité dans la transformation des raisins, tout est mis en œuvre pour protéger les baies à la vigne et lors des vendanges, avec un ramassage de nuit dans de petites bennes inertées à la glace carbonique. L’élevage lui aussi est soigné pour travailler le côté réducteur de la Syrah, avec un élevage en fûts et demi-muids de chêne français de plusieurs vins. L’élevage dure de 18 à 36 mois selon les cuvées, dans le but d’obtenir une micro-oxygénation lente et progressive, très peu marquée par le bois. La cuvée Bohème, porte drapeau du Château Isolette, est complétée par une touche de grenache pour respecter le principe d’assemblage de l’appellation, mais Olivier Rouquet l’assure : « Si l’AOC m’y autorisait, je produirais de magnifiques cuvées parcellaires 100% Syrah ».

 

Olivier Rouquet élève ses Syrah durant plus de 18 mois en fûts de plusieurs vins pour lentement les oxygéner sans pour autant masquer toute leur finesse par des arômes de bois.

 

La famille Delay face au Mont Ventoux.

 

VENTOUX, SOUS INFLUENCE MONTAGNARDE

En arc de cercle au sud du Mont-Ventoux, pic mythique culminant à 1 912 mètres, le vignoble du Ventoux couvre environ 5 600 ha de vignes, soit l’équivalent des surfaces plantées en Costières de Nîmes et dans le Luberon réunies. Bénéficiant également d’un soleil généreux, le Ventoux est - au même titre que les Costières de Nîmes - ventilé par un Mistral vigoureux. La partie située au Nord-Ouest, la plus vallonnée, est sous l’influence montagnarde du Mont-Ventoux et de son air frais dévalant les pentes la nuit. Le Domaine du Bon Remède, situé sur les contreforts du Ventoux bénéficie de nuits fraîches où les températures peuvent descendre aux alentours de 15°C l’été, alors même que la température franchit allègrement les 30°C en journée. Vincent Delay, 4e génération de vignerons au domaine, fraîchement diplômé en œnologie, nous explique la diversité des sols sur les parcelles constituant son vignoble de 35 ha : « les sols sableux nous permettent d’obtenir de la finesse sur nos blancs et nos rosés, tandis que les sols plus lourds d’argiles et de galets procurent puissance et concentration à nos rouges ». La cuvée Secret de Vincent élaborée à partir de Syrah et d’une pointe de grenache est issue de vignes de 40 à 50 ans sur terroir de galets roulés. Elle mêle un fruit généreux à des notes plus complexes, minérales et de garrigues. Son volume en bouche, la définition fine de ses tanins en font une grande cuvée qui profitera de plusieurs années en cave pour dévoiler tout son potentiel.

 

Patricia et Joël Jacquet signent des vins authentiques, véritables ambassadeurs de leur terroir au pied du Ventoux.

 

Cultivées en biodynamie depuis 2008, les vieilles vignes du domaine du Grand Jacquet sont le miroir de leur terroir.

 

À quelques kms de là, le Domaine du Grand Jacquet se compose de 15 ha de vignes situées sur des côteaux, de 250 à 400 mètres d’altitude. Le grenache noir est à l’honneur dans ce domaine familial exploité selon les préceptes de la biodynamie depuis 2008. « La syrah, plus fragile, a parfois du mal à s’épanouir sur ces terroirs caillouteux, très régulièrement balayés par un fort Mistral. Elle se retrouve en général plantée sur des parcelles protégées plus en contrebas » précise Joël Jacquet, exploitant sur ces terres depuis 1982. La cuvée rouge Les Planètes nous a convaincus par sa générosité aromatique, sa bouche suave et veloutée, ainsi que par la claire expression de son terroir. Le grenache noir qui compose 90% de l’assemblage provient d’une parcelle de vignes âgées de 45 ans située à une altitude de 300 mètres, sur un sol d’argiles et de graviers. Les racines profondes procurent aux ceps une grande résilience face à la sécheresse. Les conditions plus fraîches et ventées qu’en plaine débouchent sur une production de raisins concentrés, à la peau épaisse et claire. Les tanins sont très souples, le complément de syrah permet d’apporter au vin la couleur qui lui faisait défaut. Patricia et Joël Jacquet signent des vins authentiques, généreux et équilibrés, porteurs d’une forte identité méridionale.

 

Vendanges tardives au Domaine de Tara pour élaborer la cuvée Mi-figue mi-raisin, expression gourmande de son terroir.

 

Plus au Sud, proche du Luberon, le Domaine de Tara dispose sur une partie de son vignoble de 12 ha de parcelles de terres ocres, riches en nutriments et en fer. Le domaine est situé sur le village de Roussillon, autrefois appelé Village des Ocres lors de l’exportation de ces terres ocres vers les Pays Nordiques pour lutter contre le salpêtre. Michèle et Patrick Folléa ont d’ailleurs nommé une de leurs gammes de cuvées Terre d’Ocres. Ce terroir apporte finesse et gourmandise aux vins de la gamme destinés à une consommation dans leur jeunesse. Le paysage vallonné leur offre également de beaux terroirs sur coteaux argilo-calcaires. Le domaine produit une proportion élevée de vin blanc comparée au reste de l’AOC. Environ 30% de la production y est dédiée. La cuvée Hautes Pierres blanc, assemblage de roussanne et de grenache blanc fait preuve d’une grande finesse. Ce vin blanc de gastronomie a subi une fermentation et un élevage en fût de chêne avec bâtonnage durant plusieurs mois, ce qui lui confère une superbe matière et une aromatique complexe et persistante, parfaitement équilibrées par une profonde fraîcheur.

 

La famille Folléa aux commandes du Domaine de Tara.

 

UN TRIO DYNAMIQUE AUX PERSONNALITES DIVERSES

Le Rhône est une vaste région viticole dont il n’est pas aisé de définir une identité propre, tant elle est composée de multiples zones ayant chacune un caractère affirmé… Ainsi définir en quoi les Costières de Nîmes, le Ventoux ou le Luberon sont des appellations rhodaniennes peut paraître complexe. La proximité du Rhône et les terroirs de galets roulés retrouvés à de nombreux endroits sur les Costières de Nîmes lui confèrent une identité rhodanienne assez évidente. Néanmoins, la présence de garrigues au Nord-Est, telles que celles observées dans le Languedoc ; et l’influence nette de la mer Méditerranée sur le climat de l’AOC, argumentent dans le sens d’une identité méditerranéenne singulière : un trait d’union entre Languedoc et Provence. Le Luberon, plus éloigné du Rhône et sous influence plutôt alpine ne semble pas rattaché de manière évidente au Rhône Sud, si ce n’est culturellement par son organisation professionnelle en grandes coopératives, et sa gamme de cépages. Il reste néanmoins très provençal au travers de son art de vivre et sa culture, la production de rosé représentant d’ailleurs plus de 50% de la production de l’AOC, dans le sillage de la Provence voisine. Malgré cela, le Luberon est multiple, et comme nous l’avons vu plus haut, les terroirs caillouteux en altitude sur les versants Nord du massif du Château Isolette produisent des Syrah extrêmement séduisantes, se rapprochant des vins de la partie sud du Rhône septentrional. Enfin, le Ventoux et ses grandes plaines ondulantes ne manque pas d’atouts. Son micro-climat allie une bonne ventilation et des amplitudes thermiques favorables à l’émergence de vins frais. On retrouve de nombreuses similitudes avec le Rhône méridional plus central, ce qui lui confère une identité clairement rhodanienne. Il jouit néanmoins dans ses vins d’une fraîcheur souvent plus marquée qu’en Côtes du Rhône. Nous retrouvons d’ailleurs cette fraîcheur dans les trois appellations que nous avons traitées dans ce sujet, ceci pour des raisons différentes : influence maritime, influence alpine, altitude et exposition, sols et sous sols…

 

Le Château Isolette se situe dans un magnifique écrin de verdure au style très méditerranéen.

 

Enfin, le dernier point commun qu’il convient de souligner est que ce sont trois appellations extrêmement dynamiques, disposant encore d’un beau potentiel de montée en gamme. Moins chers que leurs voisins plus prestigieux, les vins produits par des producteurs talentueux de ces appellations comme ceux sélectionnés pour cet article, constituent d’excellents rapports prix plaisir, et méritent d’être découverts au plus vite.