Terroirs
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Cave coopérative en Champagne : l’union fait la force
Par Alain Echalier - Photographies : fournies par les domaines, le 26 juin 2023
Faire son vin est un métier difficile où les choix parfois anodins en apparence portent vite à conséquence. Les personnalités des vignerons sont quelquefois exacerbées et le champagne avant d’être un art demande aussi une certaine technicité. S’associer pour le produire pourrait donc apparaitre comme une gageure. Pas vraiment ! Les coopératives représentent une part importante de la production et rencontrent un certain succès. Pour en avoir le coeur net, nous en avons interrogé six, de styles et de vignobles distincts.
Vignes de la cave coopérative de Colombé.
La région Champagne s’étend sur plus de 34 000 hectares de vigne et compte énormément de viticulteurs. Si chacun cultive du raisin, tous n’élaborent pas et ne commercialisent pas eux-mêmes leur vin. Le champagne est en effet complexe à réaliser : pressurage très doux, assemblage subtil, effervescence lente. Il demande donc un réel savoir-faire, accompagné d’une infrastructure coûteuse et de beaucoup de trésorerie. De plus, la détention des terres est parfois très morcelée, certains ne possédant que quelques toutes petites parcelles. Aussi dit-on généralement qu’il faut actuellement au moins 2 ou 3 hectares de vigne, pour pouvoir élaborer son propre champagne ; être « Récoltant Manipulant » (RM).
La filière compte donc deux autres types d’acteurs. Les Maisons de Champagne tout d’abord, des négociants, quelquefois également propriétaires de vignes, qui s’approvisionnent en matière première (raisins ou jus), élaborent leur champagne et le commercialisent. Ce sont les « Négociants-Manipulants » (NM), dont font partie les grandes marques les plus connues ; souvent celles qui sont les plus présentes sur les différents réseaux de distribution, dont la grande distribution.
Ensuite, comme pour tous types d’agriculture, il existe aussi des Coopératives où les propriétaires de vignes peuvent adhérer. Chacun possède sa terre et la cultive comme il l’entend. Mais il faut pour cela bien sur respecter le cahier des charges de l’appellation, plus celui généralement plus restrictif de la coopérative dont il est adhérent. Au moment de la vendange, les raisins sont livrés à la coopérative, qui se charge d’élaborer le champagne. Le vin peut alors être vendu par le récoltant : « Récoltant coopérateur » (RC) sous son propre nom, ou par la coopérative elle-même « Coopérative de Manipulation » (CM) sous une des marques dont elle est détentrice.
L’indication de la catégorie de production d’un champagne figure sur la bouteille. L’étiquette doit en effet mentionner le code RM, NM, RC ou CM.
Installations modernes de vinification à l'UVCB.
Coopérative : une démarche collective et protéiforme
Historiquement, le vin est le produit d’un travail collectif. Les gigantesques pressoirs médiévaux, dont certains subsistent encore, illustrent bien l’industrie viticole monacale d’autrefois. Plus le pressoir était grand, plus l’abbaye comptait de terre et de moines vignerons !
Plus récemment c’est le drame du Phylloxera qui a poussé les vignerons devenus autonomes après la Révolution française à se rassembler à nouveau pour lutter contre le ravageur. La 1ère coopérative voit le jour en Champagne en 1921, mais leur essor véritable survint surtout après la 2e guerre mondiale, dont l’impact ravageur incita nombre de vignerons à s’associer et à mutualiser les coûts. Aujourd’hui la région compte 130 coopératives et plus de 14 000 viticulteurs adhérents qui travaillent près de la moitié de la surface de l’appellation champagne.
Les coopératives se sont souvent crées à un échelon local, le village. On s’associe d’abord avec son voisin, puis avec le voisin de son voisin... Mais certaines ont grandi considérablement et il existe maintenant des unions… de coopératives.
Les champagnes commercialisés directement par les coopératives représentent aujourd’hui 30 millions de bouteilles, sur un peu moins de 300 millions produites chaque année par la région. Car les coopératives peuvent aussi vendre leur jus aux… Maisons de champagne. Enfin, les viticulteurs sont aussi souvent directement sollicités par les Maisons elles-mêmes. Dans la région, les intérêts divergents finissent souvent par se rencontrer, au prix néanmoins d’un délicat équilibre. Car dans son ensemble la matière première fait défaut, et le vin se vend bien. Nous avons entrepris un tour d’horizon de cet univers champenois méconnu au travers de six structures réprésentatives de la diversité du vignoble. En voici le résultat.
UVCM, Champagne G. Gruet et fils
L’âme du Sézannais
C’est Magali Midena qui nous présente L’Union Viticole des Coteaux de Bethon, dont elle est salariée. Cette cave a été créé en 1967 sous l’impulsion de Gilbert Gruet, un vigneron du village de Bethon qui était récoltant-manipulant. Aujourd’hui cette petite coopérative locale compte une centaine d’associés coopérants, et reçoit un approvisionnement correspondant à 115 hectares de vigne.
Union viticole de Coteaux De Bethon.
« Bethon est situé dans la partie sud de la Champagne qu’on nomme le Sézannais. Les sols y sont essentiellement crayeux, aussi la vaste majorité des plantations sont du chardonnay », explique Magali. Le climat, un peu plus chaud, requiert une vendange toujours un peu en avance par rapport au reste de la Champagne. Ici les coopérateurs ne sont pas exclusifs et beaucoup sont tous petits. 70% de la production est vendue sous forme de jus ou de vins clairs auprès des Grandes Maisons qui recherchent la minéralité des supers raisins de la région. Ce sont des partenariats.
« Mais l’UVCM est une coopérative de commercialisation », rappelle Magali. Et elle souhaite relancer sa marque au nom du fondateur de la coopérative. La cuverie a donc été modernisée BT5, et une jeune œnologue de la famille du fondateur, Delphine Gruet, a rejoint l’équipe. Seuls les jus de la cuvée, la meilleure partie lorsqu’on presse, sont utilisés.
Les ventes se répartissent à parts égales entre le marché français et l’export, Canada, Belgique, Pays-Bas et Etats-Unis. Les dosages moyens tournent autour de 8 g/l.
Vignes en été à Bethon.
Coopérative viticole de Colombé-le-sec, Champagne Charles Clément
Des cuvées abouties
Cette petite coopérative fondée en 1956 compte à ce jour 60 vignerons représentant 120 hectares. Elle est située au sud-est de l’appellation champagne, dans l’Aube, au sein de la Côte des Bar. Le nom du village fait référence au fait qu’on est rapidement sur la roche et qu’il n’y a pas de nappe phréatique proche. Georges Rognon, qui la dirige depuis une dizaine d’années, explique que c’est bien sûr le pinot noir qui représente 80% de l’encépagement. Une moitié du volume est revendu en vin clair, 40% sont repris par les adhérents, le reste est champagnisé et commercialisé par la coopérative.
Membres de la coopérative de Colombé-Le-Sec.
Georges Rognon n’est pas mécontent d’être situé en Côte des Bar, bien connue des amateurs. « C’est bien d’être différent », explique-t-il. « Ici est la Champagne la plus continentale, avec les plus grandes différences entre hiver et été bien marqués. Certes les degrés montent, suite à une série d’années très chaudes, mais des stratégies comme l’évitement de fermentation malolactique permettent de garder de la fraicheur ». Car s’il aime les vins ronds et vineux, Georges ne cherche pas spécialement les goûts de fruits rouges, mais plutôt une sensation de fruits blancs à la dégustation.
Une petite structure, à taille humaine, permet aussi de peaufiner le produit. Pour cela il dispose de vins de réserve remontant à 2016 et les bouteilles restent sur lies de l’ordre de 4 années. C’est bien plus que les 15 mois minimums requis par l’appellation et qui sont souvent le temps de vieillissement des champagnes brut des grandes Maisons ! Les dosages sont effectués en faisant des essais en petit comité, mais avec des avis différents. Comme partout la tendance va vers le brut et l’extra brut, mais la coopérative réalise aussi un demi sec. « Des gens y sont attachés, et cela permet des accords intéressants avec certains mets », rappelle Georges.
Colombé-Le-Sec.
Coopérative de Vincelles, Champagne H. Blin
Le pays du pinot meunier
Vincelles est un village situé dans la vallée de la Marne, un endroit propice aux gelées. Le directeur général de la cave coopérative, Daniel Falala, explique que le Meunier, qui résiste mieux, représente donc 70% des 110 hectares cultivés par les 115 viticulteurs adhérents. Ici tous les raisins proviennent des 5 km à la ronde ; en moyenne les viticulteurs ont 1 hectare, et le plus gros en a 6, donc s’unir pour mutualiser est indispensable.
La coopérative a été fondée en 1947 entre 29 vignerons, dont Henri Blin. Aujourd’hui Simon Blin, son petit-fils, en est le Président. Il est membre d’une famille vigneronne à Vincelles depuis 12 générations.
HB roas Simon Blin président, Sébasten Barbier chef de cave, Daniel Falala directeur de la cave coopérative de Vincelles.
Le chef de cave depuis 2011, Sébastien Barbier, est un spécialiste du Meunier. Le cépage a longtemps été le vilain petit canard de la Champagne, même s’il en représente 1/3 des raisins. Mais depuis 10 à 12 ans, on en parle. A Vincelles la topologie aide. Les orientations sud/sud-est permettent d’arriver au bout des maturités. De plus les vignerons taillent plus qu’ailleurs. Des rendements plus bas contribuent à la qualité. Enfin la vinification souvent parcellaire avec de micro-cuves, permet de distinguer les sols lourds des sols légers et d’être plus précis, avant même l’assemblage.
Attente de la presse à Champgane H.Blin.
La coopérative s’enorgueillit d’avoir été la première et longtemps la seule à faire du bio. Pourtant c’est plus difficile avec du meunier qu’avec du chardonnay, et en cave coopérative cela devient un vrai défi qui requiert un pressoir parcellaire et une micro cuverie. Aujourd’hui 12 hectares sont en bio, et un adhérent est même en biodynamie ; un travail de jardinier. « Le bio se vend en Scandinavie, aux USA, souvent à l’export » explique Daniel Falala.
La cave coopérative de Landion présente les avantages d'un bâtiment moderne.
Membres de la coopérative vinicole Landion.
Union Auboise, Champagne Devaux
Une signature reconnue
L’Union Auboise est une coopérative de coopératives. Lorsque nous prenons contact avec Elodie Chevriot, la responsable communication & marketing, elle nous apprend que l’Union vient d’intégrer 6 nouvelles coopératives, toutes en Côte des Bar, avec 3 marques. L’Union va ainsi monter à 520 adhérents, pour une surface de 1060 ha. « Il faut grossir pour survivre », nous dit-elle. Si presses de raisins et cuves vont rester sur leurs sites respectifs - il est nécessaire, pour préserver la qualité, de minimiser la distance que les raisins parcourent - l’embouteillage et l’habillage des bouteilles peuvent être mutualisés. A une époque où les prix du verre et l’habillage augmentent fortement, c’est important. Autre avantage, toutes les marques vont rester (Champagnes Devaux, Charles Collin, Clerambault, Marquis de Pomereuil), et pouvoir être vendues communément.
Union Auboise.
Champagne Devaux fait partie des marques historiques de l’Union Auboise et produisait plus d’1 million de bouteilles en 2022. Une des caractéristiques de ce champagne est son long vieillissement sur latte ; autour de 5 années, voire 7 pour les magnums. Cela permet de développer des arômes complexes de brioche. L’âge figure d’ailleurs sur la collerette des bouteilles de la gamme.
Pourtant la région manque de vins, et beaucoup de maisons prestigieuses baissent leurs durées d’élevage. Certains se mettent même à vendre sous allocation, comme en Bourgogne voisine. Mais l’Union Auboise tient à maintenir la qualité et le style des Champagne Devaux. Donc la durée doit rester. Les dosages sont fins. L’extra brut par exemple est autour de 2 à 3 g/l.
L’Union propose aussi du Rosé des Riceys, le fameux rosé champenois à la robe soutenue et 100% pinot noir. C’est un des rares rosé que l’on peut apprécier après quelques années de bouteille, ainsi l’Union commercialise actuellement le millésime 2018.
La cave à barriques de l'Union Auboise.
Coopérative du Landion, Champagne Gaston Cheq
Vignerons à tous les étages
Quand nous appelons la Présidente de la coopérative du Landion, Cecile Taperet nous réponds… du milieu des vignes où elle est en train de tailler. Car pour diriger cette petite structure de 80 adhérents qui fédère 12 communes et 180 ha de vigne, il faut bien sûr être vigneronne ! Elle l’est, comme ses parents et ses grands-parents.
Le Landion est un ru qui sillonne le paysage, et Gaston Cheq, l’égérie de la marque de la coopérative, est le Grand Homme de la région. C’est lui, en effet, qui a fait réintégrer l’Aube dans le périmètre de la Champagne viticole en 1927. Ici le sol est fait de calcaire Kimmeridgien et le pinot noir qui y pousse donne des notes de poire et de mûre. Les vendanges commencent tôt bien sûr ; en 2022, c’était même le 21 août. Et c’est la 7e vendange en 10 ans qui démarre en plein été…
La coopérative est à une taille correcte considère Cécile ; une presse, de petites cuves et surtout un brassage d’idées, de générations d’adhérents. Beaucoup des jeunes ont fait des BTS ou des DNO (diplômes d’œnologie). Pour continuer à les séduire, il faut donc aussi leur donner la possibilité de pressurer, d’isoler leurs propres raisins et de faire des tirages spécifiques. L’essentiel est que les surfaces de la coopérative soient stabilisées. Ils ont lancé sous leur marque depuis 2011 un 100% pinot noir, et un nature dosé à moins de 3 g/l.
Cécile Taperet, présidente de la cave coopérative de Landion.
Nicolas Robert, chef vigneron du Champagne Sanger.
Coopérative des Anciens du lycée viticole d’Avize, Champagne Sanger
Les copains d’abord !
C’est en « vraie coopérative » que le Directeur et son Chef de cave, Mrs Thibert et Robert, et la responsable commerciale Mme Siong, répondent à nos questions. Cette structure est originale, un « club de copains » - il faut être ancien du Lycée Viticole d’Avize pour compter parmi les 86 adhérents.
L’état d’esprit est particulier, car s’ils ne livrent en général que les 300 kg minimum requis, généralement c’est le meilleur, car chacun tient à montrer qu’il a été bien formé, et aussi par solidarité avec la génération suivante. Car la coopérative permet aussi aux jeunes du Lycée Viticole - Avize viti campus - de se former à la vinification. « Mais c’est une structure bien distincte », rappelle M. Thibert, et eux sont une coopérative à part entière, avec des objectifs commerciaux.
Les membres coopératifs au champagne Sanger, Le Club des "anciens".
Les raisins qui viennent de plus de 50 villages sont vinifiés dans 60 cuves thermorégulées, et de nombreux fûts sont également utilisés. « L’outil est moderne », explique fièrement M. Robert et la gamme inclut tous les styles de la Champagne : brut sans année, blanc de blancs, pinot noirs, rosés, cuvées haut de gamme, ratafia… Un coteau champenois est également en préparation. De l’acide tartrique pour rectifier les acidités ? Houlà, pas de ça ici ! s’empresse de répondre le Chef de cave, des fermentations malolactiques bloquées, des élevages réducteurs permettent de compenser le réchauffement climatique.
59% partent à l’export vers les USA, Hong Kong, le Japon, Singapour… Les dosages par micro-production – « de l’épicerie » - répondent aux demandes spécifiques, les USA par exemple ont maintenant tendance à réclamer des dosages moindres qu’en Europe.
Élèves et enseignants de l'école de viticulture d'Avize.
Un rôle important localement
A une époque où les concentrations économiques ont tendance à faire disparaitre les petits acteurs et par ricochet la diversité, même dans un monde aussi concentré que l’univers du vin de champagne, les coopératives demeurent donc une réelle alternative. Elles permettent de conserver une richesse sur le territoire et de préserver le tissu économique local, mais aussi sur un plan purement oenophile, d’offrir des panoplies de styles quasi à l’infini et dans des catégories de prix le plus souvent très abordables.
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