Terroirs
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Castillon, la Rive droite hors des sentiers battus
Par Alain Echalier - Photographies : Fournies par le Domaine, le 19 décembre 2022
Ce terroir accueille plus de 200 vignerons qui exploitent de petites propriétés de 10 hectares en moyenne. On y trouve des traces de viticulture, remontant à l’époque Gallo-Romaine. Pourtant, la notoriété de ce vignoble en France comme à travers le monde est aujourd’hui encore très aléatoire. Tentons de rattraper cette injustice.
Rappelons-le, quand Henri Plantagenêt devint roi d’Angleterre, ayant épousé en 1152 Aliénor d’Aquitaine, toute la « Guyenne » passa sous domination anglaise. Or à l’époque, cela représentait un bon tiers de la France actuelle, incluant toute la région du Bordelais. Castillon, petite bourgade sur la Dordogne en amont de Libourne et de Saint-Emilion, en faisait partie. Cela ouvrit le marché Londonien aux vins de la région et… provoqua un véritable essor viticole !
Un nom chargé d’histoire
Mais ça n’est que trois cents ans plus tard que « Castillon » acquis sa notoriété. Alors que les Anglais défendaient leur territoire continental face aux troupes du Roi de France, leur chef, Talbot perdit une bataille décisive le 17 juillet 1453 qui lui fut fatale. Cette bataille, qui eut lieu près de Castillon, mis fin à la guerre de Cent ans et marqua le retrait des Anglais du continent.
La Bataille de Castillon
De nos jours, une reconstitution du combat est mise en scène chaque été dans un spectacle populaire. La cave coopérative des producteurs de Saint-Emilion a d’ailleurs commercialisé une bouteille commémorative de l’évènement, en appellation Castillon, naturellement.
Chaque année, la reconstitution de la Bataille de Castillon nous ramène en 1453
L’appellation Castillon Côtes de Bordeaux
Voisine à l’est de l’appellation Saint-Emilion, elle s’étend sur plusieurs communes autour de celle qui est maintenant nommée Castillon-la-bataille. Comme à Saint-Emilion, un plateau, plutôt argilo-calcaire descend ensuite vers la plaine sablo-graveleuse où coule la Dordogne. Le coteau peut être assez abrupt, avec des dénivelés allant de 30 à 70 mètres. Le terroir est donc qualitatif, surtout sur sa partie ouest qui tangente celle de Saint-Emilion et où les sols calcaires sont plus marqués. Mais c’est peut-être justement le prestige des vins de cet encombrant voisin, qui fait un peu d’ombre à ceux de Castillon.
Alors que jusqu’au début du XXe siècle on y produisait du vin rouge ou blanc, le blanc a maintenant disparu de l’appellation. Six cépages peuvent entrer dans son élaboration, et le merlot en est le roi incontesté, souvent accompagné d’un peu de cabernet franc, voire de cabernet sauvignon ou de côt (nom local du malbec). Parfois, on trouve des traces de petit verdot ou de carmenère, mais les deux ne peuvent dépasser 15%.
Si Castillon a été une appellation indépendante, les vins sont maintenant techniquement regroupés au sein de l’appellation « Côtes de Bordeaux » et en constitue une mention complémentaire. Le cahier des charges stipule d’ailleurs des conditions de production - rendement maximum, degré de maturité minimum…- un peu plus qualitatives que les simples Côtes de Bordeaux.
Les vignes du Château Bréhat
Les vins face à la crise climatique
Comme dans la plupart des vignobles du monde, les perturbations du climat à Castillon ont un impact à court et à long terme. A long terme, l’élévation des températures apporte une maturité de la pulpe des raisins avec des taux de sucre important, et une acidité qui baisse. Ceci est particulièrement marqué pour le merlot de par sa peau fine. En conséquence les vins contiennent plus d’alcool et ils peuvent perdre en fraicheur. Face à cela les vignerons répondent de différentes façons. Depuis un moment déjà, ils choisissent les sols les moins chauds pour le merlot, et ont commencé à augmenter la part des autres cépages dans les assemblages. De plus, ils vendangent de plus en plus tôt : début septembre pour 2022. Enfin, l’acidité totale des vins est rectifiée, comme dans quasiment tous les vins sudistes, par ajout d’acide tartrique. C’est là l’acide naturellement présent dans les raisins.
On obtient ainsi des vins à la couleur rubis foncé, concentrés, avec des notes de fruits rouges bien murs, de pruneau, de cuir et de gibier. Mais en prévision de la poursuite du réchauffement, une mesure plus drastique est dès lors actée : on ne plante plus guère de merlot.
A court terme, les vagues de chaleur, et pluies ou orage de grêle soudain, ont d’autres types d’effet. Le volume de production baisse. Soit parce que la vendange est abimée et qu’une partie est abandonnée lors d’un tri sévère, soit parce que les rendements sont faibles. Cela a été le cas pour l’été 2022 : la chaleur et la sécheresse donne des baies de petite taille.
Clément Paradisi, oenologue à Maison Seignouret
Seignouret frères et Cie : châteaux et/ou marques
C’est par une vieille Maison de négoce que nous débutons nos consultations. François Seignouret a en effet fondé cette Maison en 1830. Elle distribue aujourd’hui 11 millions de bouteilles chaque année à travers le monde, dont 80% à l’export. Clément Paradisi, œnologue, se charge du sourcing. 95% des vins achetés proviennent de la Gironde. S’il y a même certains Grands Crus, on y trouve aussi bien sur des Castillons-Côtes de Bordeaux.
La Maison commercialise d’ailleurs le château Lartigue. Elle suit ce vin depuis une quinzaine d’années, pour un volume d’environ 50 000 bouteilles par an. Cela signifie, indique Clément, se rendre au Château et gouter les jus et les vins en cours d’élaboration. Le vin est ensuite acheté « à la cuve », mais la mise en bouteille se fait au château, afin que la mention « Mise en bouteille au château » figure sur l’étiquette. Important, car elle rassure encore le consommateur. Enfin les vins peuvent soit être stockés dans des chais maintenus à température de la Maison Seignouret, soit directement partir à l’export ; Laos, Vietnam, Etats-Unis... Avec cette gamme de vin, il vaut mieux des rotations rapides. La bouteille, vendue au consommateur entre 10 et 12€, est un merlot à 95%, très fruité mais avec quand même un peu de garde. Clément précise qu’il a bu récemment un 2016 qui était encore très savoureux.
S’il convient que Castillon a une notoriété plus faible que son voisin Saint-Emilion, Clément défend néanmoins l’appellation. Elle a un terroir avec de jolis coteaux. Ce sont des vins qu’il apprécie avec des mets un peu consistants, comme une petite pièce de bœuf grillé.
Mais la Maison élabore aussi des marques. Ce sont alors des vins qui se basent sur le savoir-faire du négociant, en sourçant et assemblant des vins qui peuvent venir de plusieurs producteurs, quitte à en changer au cours des années. Deux modes de commercialisations donc bien distincts.
L'inventaire à Maison Seignouret
Vignobles Alain Aubert : l’expertise du terroir
C’est un homme très expérimenté de 79 ans que nous interrogeons. Dans sa famille on fait du vin depuis bien longtemps. Lui a commencé à 14 ans avec son grand père, et possède aujourd’hui plusieurs châteaux, dont deux en appellations Castillon.
Château German s’étend sur 35 hectares. Les vignes sont celles qui ont été replantées après le très rude hiver 1956 : 70% de merlot, 20% de cabernet sauvignon, et 10% de cabernet franc. « Ce sont des parcelles qui démarrent à deux mètres de l’appellation Saint-Emilion. Une démarcation politique, voire religieuse » indique Alain Aubert. « A l’Ouest la terre des Catholiques, où l’on aime donner des noms de saints (Saint-Emilion, Lussac-St-Emilion, St-Georges-Saint-Emilion…) et à l’Est la terre des protestants. D’ailleurs, à l’ouest les pigeonniers sont carrés, tandis qu’ils sont ronds à l’est. Ne vous étonnez pas si Castillon n’a pas été englobé dans les satellites de Saint-Emilion ! Mais dans ce secteur, il est bien difficile de distinguer les vins ».
Château Hyot possède aussi 35 hectares, mais est situé plus en pied de côte. Les sols sont plus argileux, et il n’y a plus que 40% de merlot. Les vins, qui ne sont pas vendus bien chers, sont boisés avec des copeaux. Le résultat est bon, mais Alain Aubert précise que leur utilisation est assez technique : il faut les goûter toutes les trois semaines pour procéder au juste dosage. Pas à la portée de tous.
Ces bouteilles sont aujourd’hui vendues à 90% à l’export. Alain regrette l’époque où il avait 30 000 clients en France, mais progressivement son réseau de représentants est parti en retraite. Aujourd’hui les vins partent en Chine ou aux Etats-Unis, ainsi qu’en Afrique de l’Ouest où une sorte de marché commun facilite l’exportation. Certes, il y a la concurrence des vins du « nouveau monde », mais Bordeaux jouit toujours d’une sacré notoriété et les Castillons, comme tous les vins de Gironde, arborent aussi la mention « Grand vin de Bordeaux ».
Alain Aubert apprécie cette appellation. Le prix du foncier, autour de 30 000€ l’hectare, soit 10 fois moins qu’à Saint-Emilion, rend l’établissement de nouveaux producteurs possibles. Et ils vont contribuer à la redynamiser.
Alain Aubert de Château German
Château Bréhat : Une seconde carrière en bio
Béatrice et Jérôme de Monteil font partie des « néo-vignerons » de l’appellation. En 2010, après des carrières professionnelles parisiennes, ils ont repris du frère de Jérôme l’exploitation familiale. Il s’agit du Château Haut Rocher qui produit du Saint-Emilion et où ils résident actuellement. Mais ce château dispose aussi de 5,5 hectares en directe continuité et en appellation Castillon, commercialisés sous le nom de Château Bréhat. Les vignes y comptent 70% de merlot, le reste étant également réparti entre cabernet franc et sauvignon. Si pour le Saint-Emilion les vins sont vinifiés à 100% en barriques neuves, pour le Castillon c’est 50% en cuve et 50% en barrique d’un an. « Disposer de deux vins est une bonne chose pour la commercialisation », indique Béatrice, « même si les sols se ressemblent beaucoup ; Ils comptent bien plus de coteaux que de pieds de cote ».
Château Bréhat fait aussi partie de Château Haut Rocher
Au château Bréhat, les vendanges sont faites à la machine, sauf pour les vieilles vignes plus sensibles aux vibrations et pour lesquelles la cueillette est faite à la main. « La qualité des machines a bien progressé », souligne Béatrice. Ils sont aussi passés en agriculture biologique depuis trois ans. « C’est le cas de pas mal de vins en Castillon », indique le couple. Il y a en effet plus de 25% d’exploitations en bio ou biodynamie. Et on y compte aussi beaucoup de surfaces boisées qui contribuent à la biodiversité. Il y a même déjà quelques demandes pour qu’un jour, le cahier des charges de l’AOP Castillon, impose d’être détenteur du label bio. Une vraie performance à accomplir !
Béatrice et Jérome de Monteil
Le vignoble Monteil
Union de Producteurs de Saint-Emilion: un peu de Castillon aussi !
Cette grande cave coopérative a été fondée dans les années 1930 par l’ancien Directeur de Château Figeac. Aujourd’hui, c’est Anne-Sophie Larvor, responsable communication et marketing qui nous la présente. Avec 650 hectares, la coopérative produit, comme son nom l’indique essentiellement des vins d’appellation Saint-Emilion et de ses satellites. Mais comment refuser à un propriétaire de Saint-Emilion qui aurait quelques parcelles contiguës en Castillon, de ne pas travailler aussi ces vins ? Parfois, c’est juste un chemin de terre qui les sépare.
L’appellation Castillon représente donc près de 6% du vignoble exploité par l’UDP, et seulement 1% des vins commercialisés, certains pouvant l’être directement par le propriétaire. Mais l’UDP, ce sont bien sur les exigences d’une coopérative moderne, avec des cahiers des charges strictes, un savoir-faire et des infrastructures de vinifications conséquentes.
UDP vend son vin directement au consommateur grâce à sa boutique
L’UDP réalise en Castillon un Château : Rouzerol, et confectionne aussi une marque « Roy Charles ». Cette marque surfe sur l’histoire de Castillon, et en partenariat avec l’association qui organise le spectacle de la bataille, lui reverse 1€ pour toute bouteille achetée. Ce vin est vendu 7,90€ la bouteille, contre environ 9€ pour un satellite de Saint-Emilion, et 12 à 14€ pour un Saint-Emilion.
Pourtant, Anne-Sophie rappelle qu’au Moyen Âge, pendant la domination anglaise, Castillon était bien plus connu que Saint-Emilion !
Anne-Sophie Larvor, responsable marketing à UDP
Le chai à barriques à UDP
Castillon sur la voie de la reconquête
Très accessibles financièrement, les vins de Castillon présentent de plus deux caractéristiques tournées vers l’avenir. Tout d’abord, le tournant de l’agriculture biologique porté par de jeunes exploitants et désormais de plus en plus plébiscité par les consommateurs, est bien enclenché. Ensuite le style des vins, fruités et appréciables dès leurs jeunes années, correspond parfaitement à la consommation contemporaine. Faisons le pari que ce vignoble va progressivement regagner en notoriété dans les toutes prochaines années en s’appuyant sur une communication judicieuse et des vins très performants. Il ne fait aucun doute que Castillon va gagner la bataille.
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