Terroirs

Brouilly et Côte-de-Brouilly, les faux jumeaux du Beaujolais

Jumelles et pourtant distinctes sur bien des aspects, les appellations Brouilly et Côte-de-Brouilly évoquent la diversité et la richesse des crus du Beaujolais. Voisines tant par leur géographie que par leur nom, elles offrent néanmoins des singularités qui traduisent la subtilité de leurs terroirs respectifs et se démarquent à chaque gorgée.

Le vignoble du domaine Père Benoit

Le vignoble du domaine Père Benoit.

 

 

Le Beaujolais, terre de gamay, recèle de véritables trésors et notamment de jolis crus aux identités marquées. Parmi ces pépites, on retrouve les appellations Brouilly et Côte-de-Brouilly, qui en constituent les crus les plus méridionaux.

Balayant une superficie de 1200 hectares, Brouilly en forme également le cru plus vaste. À son cœur, tel un joyau préservé, se niche le Côte-de-Brouilly, s'étirant sur 310 hectares. Deux vignobles si proches, mais dont les terroirs distincts révèlent des caractères bien différents.

Le Côte-de-Brouilly, perché sur les pentes du Mont Brouilly, est célèbre pour ses pierres bleues qui confèrent au vin une minéralité spécifique, une touche presque éthérée.

En contraste, le Brouilly, encerclant le mont, offre un sol dominé par des granites roses. Ces derniers apportent au vin une texture, une profondeur, et une rondeur qui le rendent irrésistiblement gourmand.

Ainsi, là où les vins de Brouilly enchantent par leur finesse et leur fruit, le cru Côte-de-Brouilly présente généralement des vins plus complexes et plus structurés, conjuguant une matière croquante et des tanins plus serrés.

Cette dualité, fruit de terroirs singuliers, s'illustre également dans leurs marchés respectifs. Alors que Brouilly séduit une clientèle cherchant une entrée en douceur dans le monde du Beaujolais et figure depuis longtemps à la carte des vins de nombreux restaurants parisiens, Côte-de-Brouilly, plus confidentiel, attire plutôt une clientèle à la recherche de vins plus racés et structurés.

Partons à la découverte de l'univers de ces deux voisins du Beaujolais, qui, loin d'être rivaux, se complètent avec harmonie.

 

La Maison Coquard et son propriétaire Christophe Coquard

La Maison Coquard et son propriétaire Christophe Coquard.

 

 

Maison Coquard : « des crus proches et différents à la fois »

Ancrée dans une riche tradition viticole, la Maison Coquard se démarque par son héritage, porté par des générations de vignerons passionnés. En 2005, un tournant décisif a été pris lorsque Christophe Coquard est revenu pour embrasser sa vocation d'artisan vigneron. Loin du simple commerce de vrac auquel se destinait la production du vignoble jusque-là, ce dernier a œuvré à hisser la Maison Coquard au rang des propriétés incontournable du Beaujolais, dont elle produit l'ensemble des 12 appellations et des 10 crus.

 

Christophe Coquard, propriétaire de la Maison Coquard

Christophe Coquard, propriétaire de la Maison Coquard.

 

 

« Le marché des vins du Beaujolais est en pleine floraison », explique celui-ci. « D’autant qu’avec le changement climatique, ces vins offrent un plaisir gustatif renforcé et jouissent ainsi d'une dynamique de vente prometteuse malgré leur représentation modeste de 3% du vignoble français. »

Concernant les crus de Brouilly et Côte-de-Brouilly, « ce sont des crus proches et différents à la fois », souligne le vigneron. Proches, parce que « ces deux appellations partagent un terroir granitique unique qui confère une minéralité typique à leurs vins », différents parce que « les vins de Brouilly, tendres et fruités, ont toujours eu leur place à la carte des restaurants parisiens, tandis que Côte-de-Brouilly séduit une clientèle qui connait déjà les vins de Brouilly et veut découvrir autre chose ».

S’il rappelle également que « le vaste territoire de Brouilly confère à l’appellation une présence notable sur le marché », il précise que « Côte-de-Brouilly jouit d’une notoriété toute aussi importante, notamment grâce à l’attraction du Mont Brouilly, qui joue le rôle d’un repère touristique parmi les crus du Beaujolais ».

Ainsi, si Brouilly est largement accessible, Côte-de-Brouilly trouve sa niche chez les cavistes et à l’export, se démarquant sur des marchés tels que l’Irlande, le Canada, la Norvège et le Royaume-Uni ».

 

Le chai à barriques du Château du Bluizard

Le chai à barriques du Château du Bluizard.

 

 

Château du Bluizard : « deux crus complémentaires »

« Le Château du Bluizard est un très vieux domaine qui date du Moyen-Age », explique David Ratignier, son propriétaire.

Après des études à Montpellier, ce natif du Beaujolais revient pour une carrière de 15 ans dans la distribution de produits agricoles. Coïncidence ou signe du destin, « cette entreprise était basée dans le même village que le Château du Bluizard et son propriétaire était mon client ».

Déjà intéressé par la reprise du domaine si l’occasion venait à se présenter, David Ratignier a saisi cette occasion en 2008. Du jour au lendemain, l’homme se retrouve à la tête de 30 hectares.

Si l'ampleur de la tâche aurait pu en décourager certains, le jeune vigneron y voit une opportunité d'apprentissage et d'innovation et s’entoure petit à petit de jeunes vignerons dont l’un d’eux devient son associé.

 

David Ratignier, vigneron au Château du Bluizard

David Ratignier, vigneron au Château du Bluizard.

 

 

Petit à petit, l’homme affine sa technique et produit des vins qui expriment la singularité des terroirs de Brouilly et de Côte-de-Brouilly. « Les sols granitiques de Brouilly produisent des vins soyeux, tandis que les sols plus argileux de nos Côte-de-Brouilly, situés au fond de la vallée, donne des vins veloutés, riches et tanniques ».

Loin de les voir comme des rivaux, le propriétaire considère que ces deux crus sont complémentaires. « Le cru Côte-de-Brouilly présente l’avantage d’offrir des vins structurés mais pas du tout asséchants, quand le cru de Brouilly produit des vins très fruités et plus accessibles ».

Concernant les marchés respectifs de ces crus jumeaux, il observe que « Brouilly est très prisé à Paris et à l'export, en particulier au Canada, alors que Côte-de-Brouilly se vend bien en vente directe et gagne du terrain en grande distribution ». Des marchés sur lesquels le vigneron reste à l’écoute, veillant à produire des vins aptes à être bus dans leur jeunesse pour la grande distribution mais n’hésitant pas à renforcer l’élevage des nectars qu’il vendra à ses clients particuliers.

 

 

Domaine du Père Benoit : « Les crus Brouilly et Côte-de-Brouilly bénéficient d’un intérêt croissant »

Le Domaine du Père Benoit témoigne d'une riche histoire familiale. Pascal Mutin, représentant de la 4ème génération, porte fièrement le flambeau de cette tradition. « Le nom Père Benoit est un écho à notre nom de famille », confie ce dernier.

 

Pascal et Laurence Mutin

Pascal et Laurence Mutin

 

 

Nicolas Mutin, 5ème génération, a rejoint le domaine familial en 2014

Nicolas Mutin, 5ème génération, a rejoint le domaine familial en 2014.

 

 

Depuis 1991, avec Laurence, sa femme, ils ont repris les rênes du domaine qui s'étendait sur 12,5 hectares à l'époque, et l'ont étendu à 17 hectares. Rejoints par leur fils Nicolas en 2014, ils adoptent une philosophie axée sur le respect de la terre et adaptent leur conduite du vignoble à chaque parcelle. « Pour les jeunes vignes, nous privilégions le labour des sols, tandis que pour nos vieilles vignes centenaires, la démarche est différente », explique Pascal. Cette attention portée au détail s'inscrit dans leur certification HVE, qui priorise l'environnement.

Les crus Brouilly et Côte-de-Brouilly, (40% de la production du domaine ndlr), bénéficient d'un intérêt croissant. « Nos méthodes de vinification ont évolué, nous nous sommes perfectionnés, et cela se ressent dans la qualité de nos crus », explique le vigneron. Si la majorité de la production trouve preneur en France, et notamment auprès de la clientèle parisienne, l'engouement à l'international se fait sentir depuis deux ans.

Mais c'est sur les spécificités de ces deux appellations que le propriétaire s'attarde : « Brouilly, parce que plus vaste, présente une plus grosse diversité géologique que Côte-de-Brouilly. Dans le verre, les vins de Brouilly sont fruités et légers quand ceux de Côte-de-Brouilly sont plus corsés et puissants, reflets d'un terroir plus concentré. »

 

Domaines Chermette

Domaines Chermette.

 

 

Domaines Chermette : « Brouilly est l’un des crus les plus emblématiques du Beaujolais »

Fort d’un héritage viticole séculaire, les Domaines Chermette sont le reflet d'une histoire familiale intimement liée au terroir du Beaujolais. Pour cause, des recherches généalogiques dévoilent que la famille Chermette serait implantée au Vissoux depuis le XVIIe siècle, un lieu-dit qui tirerait d’ailleurs son nom du patronyme des ascendants de Pierre-Marie Chermette, propriétaire du domaine familial dont il évoque l’histoire avec passion : « Là où autrefois la polyculture était reine, l'exploitation s'est spécialisée en viticulture depuis trois décennies. Notre domaine s'étend désormais sur une trentaine d’hectares certifiés HVE 3. »

 

Pierre-Marie Chermette entouré de son fils Jean-Etienne et de son épouse Martine

Pierre-Marie Chermette entouré de son fils Jean-Etienne et de son épouse Martine.

 

 

Le vignoble, qui produit 4 des 10 crus du Beaujolais, requiert un soin manuel défiant toute mécanisation, signe d'un engagement inébranlable envers un terroir exceptionnel.

Mais parmi les 4 crus qui naissent des Domaines Chermette, Pierre-Marie affirme que « Brouilly est l’un des crus les plus emblématiques du Beaujolais ».

Originalité de la cuvée que la famille produit sous la prestigieuse AOC, « elle provient d’une parcelle située au pied du Mont Brouilly, constituée d’éboulis granitiques d’origine carbonifère évoquant davantage un terroir type Côte-de-Brouilly ». D’ailleurs dénommée pierreux pour cette originalité géologique, « cette parcelle a un côté affectif car c'est le lieu-dit où est née la grand-mère paternelle de ma femme (Martine Chermette ndlr) ».

Mais, au-delà du terroir, c'est dans le verre que la magie opère : « Nos vins, bien que proches du style Côte-de-Brouilly, offrent une légèreté et une douceur typiques de notre position méridionale ». Ce résultat est le fruit d'une vinification soignée, privilégiant le gamay en macération semi-carbonique, à la beaujolaise, avant un élevage délicat en vieux foudres.

 

Pierre-Marie Chermette et Guy Lassausaie, chef étoilé du restaurant éponyme et client des vins des Domaines Chermette

Pierre-Marie Chermette et Guy Lassausaie, chef étoilé du restaurant éponyme et client des vins des Domaines Chermette

 

 

Ce travail d'orfèvre trouve aussi bien sa place sur les tables françaises que québécoises où la production du domaine bénéficie d’un écho qui, depuis les années 90, ne faiblit pas.

 

Le Domaine de Baluce se situe sur un coteau sud du Beaujolais

Le Domaine de Baluce se situe sur un coteau sud du Beaujolais.

 

 

Domaine de Baluce : Brouilly face à Côte-de-Brouilly, une quête d'équilibre

Niché au cœur du Beaujolais des Pierres Dorées, sur un terroir sculpté par les schistes et les roches volcaniques, le Domaine de Baluce est le fruit d'un amour partagé entre la vigne et la vie. Jean-Yves Sonnery et son épouse Laurence ont lancé cette aventure viticole en 1999. Le nom Baluce est la fusion des prénoms de leurs enfants, Baptiste et Lucie.

 

Jean-Yves Sonnery, propriétaire du Domaine de Baluce

Jean-Yves Sonnery, propriétaire du Domaine de Baluce.

 

 

 « À nos débuts, le vignoble couvrait à peine 2,5 hectares en métayage. Aujourd'hui, il s'étend sur 15 hectares, dont 11 en pleine propriété », explique Jean-Yves. Les débuts modestes de l’exploitation, entre vaches, céréales et production viticole destinée à la coopérative, ont laissé place à une exploitation dédiée à la viticulture, tournée vers la qualité et la proximité avec les clients. Depuis 2019, le Domaine de Baluce vend la moitié de sa production en direct, privilégiant le contact avec les particuliers, cavistes et restaurateurs.

 

L'approche artisanale est palpable à chaque étape de la production. « Nous faisons tout à la main, du palissage à la récolte », souligne le vigneron.

L'emplacement unique de leurs parcelles en AOC Brouilly, limitrophes au cru Côte-de-Brouilly, confère aux vins une structure distinctive. D’ailleurs, le vigneron ne cache pas son ambition de s'agrandir sur ce cru, tant il en apprécie les qualités.

Pour l’heure, entouré de ses précieux collaborateurs Maurice et Adeline et de sa compagne, l’homme vise à « produire les meilleures cuvées possibles dont la personnalité reflète l'authenticité du terroir dont ils sont issus ».

 

Le chai à barriques du Domaine de Baluce

Le chai à barriques du Domaine de Baluce

 

 

Enfin, fidèle à sa conviction que le Brouilly mérite patience et attention, Jean-Yves s'écarte des pratiques courantes de certains vignerons du Beaujolais : « Nous croyons en des vins d'élevage. Un Brouilly a besoin de temps ».

Bien qu'il ne produise pas de Côte-de-Brouilly, le vigneron respecte ce cru qu'il juge plus qualitatif. Ce dernier reconnait d’ailleurs qu’il vinifie son Brouilly en s'inspirant des méthodes de vinification du cru voisin.

 

 

Maison Jean Loron : « le match n’est pas équitable »

La Maison Jean Loron est une figure incontestée du sud de la Bourgogne. « Ses origines remontent à 1711 », déclare Philippe Bardet, son directeur général. Avec 220 hectares de vignes s'étendant sur le Beaujolais et le Mâconnais, elle est profondément ancrée dans la tradition viticole de la région, où elle est présente sur de nombreux crus et notamment sur celui de Brouilly, « un cru historique du Beaujolais ».

Au cœur de cette histoire, le Château de la Terrière et le Château de la Pierre (propriété de la Maison Jean Loron), produisent trois cuvées distinctes sur le cru Brouilly, témoignant des terroirs singuliers que leurs vignobles respectifs recèlent. « Le Château de la Terrière a des sols de granites roses, mêlant sable et cailloux avec des réserves d'argile en profondeur. À l'inverse, le Château de la Pierre est marqué par des pierres bleues, plus typiques du cru Côte-de-Brouilly ».

Mais ce qui distingue vraiment les vins de Brouilly de la Maison Jean Loron est leur maturité. « Nous attendons que les gamays soient bien mûrs pour aller au bout de leur maturité phénolique. Cela donne des vins charnus avec des tanins ronds, rappelant la structure des vins de Côte-de-Brouilly. »

 

Frédéric Maignet, œnologue de la Maison Jean Loron et Philippe Bardet, son directeur général

Frédéric Maignet, œnologue de la Maison Jean Loron et Philippe Bardet, son directeur général.

 

 

Aujourd'hui, la Maison Jean Loron est fière de sa gamme en cru Brouilly, qui rencontre un succès retentissant en France comme à l’export. À l'échelle nationale, une large part de la production est commercialisée en CHR, avec une présence notable chez les cavistes.

Conscient que la Maison Jean Loron ne pourrait fournir les mêmes volumes si elle produisait le cru Côte-de-Brouilly, Philippe Bardet précise que « le grand nombre d’opérateurs sur le cru Côte-de-Brouilly fait que l’on trouve une diversité de vins équivalente à celle produite sous le cru Brouilly ». Et de préciser : « Le match n’est pas équitable car ces crus offrent finalement des vins avec des atouts différents. »

 

Le Château de la Pierre, propriété de la Maison Jean Loron

Le Château de la Pierre, propriété de la Maison Jean Loron.

 

 

Une vraie-fausse rivalité

L'exploration des crus Brouilly et Côte-de-Brouilly nous montre que, loin d'une opposition simpliste, ces deux appellations offrent une palette de goûts, d'histoires et de pratiques qui enrichissent le vignoble du Beaujolais. Leurs différences sont autant d'opportunités pour les amateurs de vin de découvrir et redécouvrir ces crus sous un jour nouveau. La complémentarité de leurs terroirs, la passion de leurs vignerons et l'évolution constante de leurs méthodes de vinification témoignent de la vitalité et de la richesse de ces terres viticoles. Brouilly et Côte-de-Brouilly, deux noms, deux identités, mais une même quête d'excellence. Une chose est sûre, aucun de ces crus ne saurait remplacer l’autre, chacun apportant sa tonalité unique au riche orchestre du Beaujolais.