L’histoire commence au printemps 1907 à Argeliers, petit village de l’Aude. Là, dans le café tenu par Marcelin Albert, les vignerons sont abattus. Pour la 5ème année consécutive, les cours du vin sont à la baisse. L’hectolitre qui se vendait 20 francs en 1900 est tombé au dessous de 8 francs. A ce prix, les coûts de production ne sont même plus couverts ! Un drame pour le Midi dont le vin est la principale source de revenus et faisait naguère -c’était vingt ans plus tôt- règner la prospérité.

 

Un discours facile à comprendre 

Il faut réagir. Marcelin Albert, dont les talents d’orateur sont appréciés de tous,  prend la tête d’un “comité de défense de la viticulture”, bientôt relayé par un nouveau journal, “le tocsin” , qui crient la misère du Midi et cherchent à rallier les vignerons mécontents. Le succès est rapide, attisé par un discours facile à comprendre : le coupable c’est la fraude, les négociants qui produisent à bas prix des vins artificiels, redoutable alchimie d’alcool, de sucre et d’eau ; c’est aussi l’Algérie, où depuis une vingtaine d’années s’est développé un gigantesque vignoble dont les vins ordinaires, débarqués au port de Sète, concurrencent directement ceux  du Languedoc...Ce qu’on ne dit pas, c’est que le marché est surtout engorgé en raison de l’extension considérable du vignoble méridional, un vignoble entièrement reconstitué depuis le phylloxera avec des cépages gros producteurs qui colonisent désormais tous les  terrains disponibles, même les zones inondables...mais qu’importe.

 

La montée en puissance 

Une première manifestation réunit 2000 participants à Ouveillan, gros bourg des environs de Narbonne, le 7 avril. Une semaine plus tard, ils sont 9 000 à Coursan, puis 15 000, le 21 avril à Capestang. Début mai, les voilà 50 000 à défiler dans Narbonne, 120 000 à Béziers, 170 000 à Perpignan le 19 mai. Le flot ne cesse de grossir  : 250 000 viticulteurs et leur famille s’emparent des rues de Carcassonne le 26 mai. A Montpellier, le 10 juin, ils sont près de 500 000 : un Languedocien sur quatre s’est déplacé ! Ce n’est plus une vague, c’est un raz de marée. Les politiques locaux, d’abord circonspects à l’égard de cette éruption spontanée, soutiennent leurs électeurs, à commencer par Ferroul, le maire socialiste de Narbonne, bientôt suivi par la quasi-totalité des municipalités du Midi. On décrête la grève des impôts, on démissionne en bloc...Le Midi est au bord de l’insurrection.

 

Le mouvement dégénère 

D’abord non violent, le mouvement dégénère au début du mois de juin. Des “éléments incontrôlés” s’en prennent aux voies ferrées, l’hôtel de ville de Béziers est saccagé...Le 17ème régiment territorial,  envoyé réprimer les troubles à Béziers se mutine ; composé en majorité de fils de vignerons il refuse de tirer sur des parents, des amis...On les déportera à Gafsa où beaucoup mourront de mauvais traitements...L’armée retiendra la leçon ; depuis cette date les recrues ne sont plus affectées dans leur région d’origine.

 

Marcelin Albert arrêté

Car le gouvernement ne peut plus rester impassible. Dirigé par Clémenceau, il manie avec dextérité la carotte et le baton.  Les 19 et 20 juin, le sang coule à Narbonne ; l’armée a tiré sur la foule. On arrête les chefs du soulèvement, Ferroul en tête. Clémenceau exploite habilement la naïveté de Marcelin Albert qui avait commis la maladresse de “monter à Paris” seul et sans argent. Il pousse même le cynisme jusqu’à offrir au leader viticole, un billet de 100 francs pour son voyage de retour ! Cette affaire, habilement divulguée par la presse gouvernementale, jette le discrédit sur “l’apôtre d’Argeliers”, “le rédempteur”. Dépassé par les événements, désavoué par ses compagnons, Marcelin Albert est même arrété à son retour ! Après sa sortie de prison, il préférera s’exiler en Algérie.

 

La naissance des déclarations de récolte 

Si la passion retombe à la fin de juin aussi vite qu’elle est montée, la “révolte des gueux” aura des conséquences considérables. Elle provoquera d’abord le vote par la Chambre de lois dont certaines constituent encore le fondement de la législation viti-vinicole française : l’obligation faite à chaque vigneron d’effectuer une déclaration de récolte et de stocks date de cette époque ; tout comme la création du service de la répression des fraudes. Parallèlement, la crise accélérera le développement des caves coopératives,  l’un des piliers actuels de notre viticulture. Sur un autre terrain, la révolte de 1907 a marqué profondément et durablement les esprits. Pendant des décennies, les viticulteurs méridionaux se référeront à cet épisode mythique et perpétueront des revendications, parfois violentes, à connotation régionaliste. Jusqu’à un autre drame, celui de Montredon en 1976 où un viticulteur et un gendarme trouveront la mort en lisière des Corbières au cours d’un affrontement à balles réelles...

 

Depuis, le Midi est sur une autre voie, celle de la qualité et de la conquête des marchés. La révolte de 1907 n’est plus la référence : tout juste un épisode de la geste occitane, comme le drame cathare et la révolte des Camisards.