Nos ancêtres les Romains ont introduit le vin en Gaule. C’est en tout cas l’hypothèse la plus souvent avancée. Mais quels rapports les vainqueurs de Vercingétorix entretenaient-ils avec la divine boisson ? Et quels étaient leurs goûts ?  Une chose est sûre, les amateurs d’aujourd’hui y perdraient leur latin !

 

A l’origine, des buveurs de lait

Les Romains, dont on dit qu’ils furent les propagateurs de la civilisation du vin dans notre chère Gaule, furent des amateurs pour le moins tardifs du divin breuvage. Peuple de guerriers, aux mœurs austères pour ne pas dire “spartiates”, ils préférèrent longtemps le lait au vin. Comme chacun sait, c’est aux mamelles d’une louve et non à un pied de vigne que Romulus et Rémus, les pères fondateurs de la Cité, sont associés. Fait moins connu mais qui abonde dans le même sens, la consommation du vin resta mal vue à Rome jusqu’au 2ème siècle avant J.C. Les femmes qui s’y adonnaient (forcément en cachette) pouvaient même être répudiées par leur mari ! Ces machos en toge craignaient-ils pour leur fidélité sous l’emprise de Bacchus ?

 

A la conquête du raffinement

Tout changea à partir du 2ème siècle avant J.C. Rome, jusque là ville aux mœurs provinciales, se trouva grâce à ses conquêtes à la tête d’un empire qui s’étendait de l’Afrique du Nord (Carthage) à la Grèce. Terres de haute civilisation où la vigne était cultivée de longue date, ces provinces convertirent peu à peu leur conquérant à un mode de vie et une culture autrement raffinés. Un phénomène quelque peu comparable à celui qui, près de 15 siècles plus tard avec les Croisades, devait irriguer un Occident encore barbare du raffinement de la civilisation orientale. En Italie même, les Romains héritèrent des vignobles étrusques (en Toscane) et grecs (Sicile et Italie méridionale) implantés de longue date. Les Romains donc, découvrirent le vin et, comprenant rapidement quels profits ils pourraient en tirer, se mirent à la culture de la vigne Ils la développèrent un peu partout en Italie et notamment en Campanie, autour de Pompéi qui devait devenir, jusqu’à la tragique éruption du Vésuve (79 ap JC) le principal centre de production et de négoce italiens.

 

Des vignes dans les arbres 

Observateurs et pragmatiques, ils se passionnèrent bientôt pour tous les écrits sur le sujet. Le traité carthaginois de Magon (26 tomes), aujourd’hui disparu, connut un succès exceptionnel. Il fut complété par les traités de Caton, Pline, Columelle et les poêmes “ruraux” et bucoliques de de Virgile, Horace ou Martial . On apprend grâce à ces auteurs qu’existaient divers modes de conduite de la vigne ; dans certains cas on utilisait des arbres (peupliers ou ormes) comme tuteurs ; dans d’autres, la vigne s’appuyait sur un échalas de châtaignier ; dans d’autres cas encore, elle était taillée en gobelet comme dans notre Languedoc d’aujourd’hui. Treilles et pergolas complétaient le tableau. Les meilleurs cépages cultivés étaient d’origine grecque comme l’aminea dont il n’existait pas moins de 5 variétés. A partir du 1er siècle après J.C., on voit arriver des variétés espagnoles ou gauloises comme le balisca ou le biturica (que certains considèrent comme l’ancètre du cabernet).

 

Des pressoirs de 12 tonnes 

Cultivé par des esclaves, le vignoble était vendangé à l’aide de petites serpettes puis acheminé au pressoir dans des paniers d’osier. Préalablement foulé “à la bourguignonne” dans une cuve carrelée appelée “calcatorium”, le raisin était ensuite pressé. Les pressoirs romains, actionnés par une longue poutre et un cabestan auxquels se suspendaient deux ou trois hommes, étaient capables de développer une force de près de 12 tonnes. Plus tard, à partir du 1er siècle, apparurent les pressoirs à vis, plus perfectionnés, dont le principe devait se perpétuer jusqu’au XXe siècle.

 

Le vin conservé dans des vases en terre cuite 

Après le pressurage, le jus était recueilli dans de vastes récipients en terre cuite, les “dolia”, hauts de 2 mètres pour 4 à 5 mètres de circonférence. Là se déroulait la vinification. Celle-ci terminée, les dolia étaient fermés hermétiquement jusqu’au 23 Avril, date de la grande fête des “Vinalies de printemps”. Alors seulement on pouvait goûter le vin nouveau. Pour le vieillissemment, pratique courante, les Romains utilisaient des amphores de contenance variée : 13, 26, 39 ...jusqu’à près de 300 litres, fermées par un bouchon de liège ou de terre cuite et cachetées. Le goût des riches citoyens pour les vins très vieux, conduisit les producteurs à imaginer des procédés de vieillissement artificiels. A Pompéi, les amphores étaient stockées dans une pièce à l’étage où ils étaient chauffés et fumés par les vapeurs provenant de la salle de bain.

 

Une carte étendue de crus 

Les vins bus à Rome présentaient une grande diversité : grands crus, vins ordinaires, piquettes... Le plus célèbre était sans conteste le falerne, produit à la limite du Latium et de la Campanie. Apte à vieillir, il prenait avec le temps une couleur brun ambré et devenait amer, impossible à boire pur. Les Romains appréciaient aussi le caecubum, cultivé dans la même région, le surrentinum (région de Pompéi), le tiburtinum produit non loin de Rome, pour ne pas parler des vins d’origine lointaine : Grèce, Espagne, puis Gaule.

 

Les habitudes de consommation 

N’allons pas imaginer que les vins de cette époque ressemblaient aux nôtres. Les compatriotes de Jules César et d’Auguste y adjoignaient en effet des substances de toutes sortes : miel, résine, poix, myrrhe, herbes, racines...) qui feraient se dresser nos papilles contemporaines. En témoigne ce “vin d’aromates merveilleux” cité dans le traité de cuisine d’Apicius : résine, poivre moulu, safran, patchouli, dattes grillées, miel, rien de moins ! Ces pratiques étaient-elles destinées à masquer les fréquents défauts des vins ? On pourrait le croire. Les voyageurs en tout cas portaient toujours sur eux une gourde de condiments destinés à “améliorer” les vins locaux rencontrés en cours de route.

 

Du vin coupé à l’eau de mer !

Autre particularité, les vins étaient presque toujours bus coupés d’eau. Pline préconise même l’eau de mer ! Au cours d’un festin, le vin était servi dans des cratères où s’effectuait l’opération de coupage. La quantité d’eau était bien sûr variable selon les circonstances. Pour s’assurer que le dosage adéquat serait respecté tout au long de la fête, il était d’usage de désigner un “arbitre” parmi les convives. Celui-ci avait l’obligation de rester sobre pour veiller au grain ! D’abord élu, l’arbitre fut par la suite tiré au sort, l’assistance confiant à Bacchus le soin de choisir le plus (ou le moins) sérieux d’entre eux.

 

Chaque convive se servait à l’aide d’une puisette, sorte de louche à long manche, et remplissait son verre : tasse, calice, rhyton, coupe...de céramique, de corne, de métal ou de verre. Ce type de festivité, prétexte à déclamer des vers, à chanter, ou tout simplement à baffrer, devint monnaie courante à l’époque impériale. De là à dire que le vin (coupé d’eau !) est pour quelque chose dans la décadence de Rome... Toutes les civilisations sont mortelles.