Fruit de la craie champenoise, grand-œuvre d’une alchimie où le temps joue un rôle essentiel, le champagne est vraiment le roi des vins. Son élaboration est une œuvre délicate, complexe, qui s’étale sur plusieurs années. Vendange, pressurage, débourbage, fermentation, assemblage, tirage, prise de mousse, remuage, dégorgement, bouchage... De la vigne au verre, les étapes sont nombreuses et chacune a son importance.

 

Cueillir avec précaution

L’élaboration du champagne commence à la vigne. Le raisin utilisé ne peut provenir que de l’aire d’appellation Champagne, une aire délimitée par décret s’étendant sur environ 34 000 hectares et dont l’une des particularités réside dans son sous-sol crayeux particulièrement favorable à la vigne. Seuls trois cépages y ont droit de cité : le chardonnay, le pinot noir et le pinot meunier, même si on y trouve de manière anecdotique d’autres plants autorisés tels le pinot blanc, l’arbane et le petit meslier. La culture de la vigne, et notamment les rendements à l’hectare, sont strictement réglementés comme dans tous les vignobles bénéficiant de l’appellation d’origine contrôlée. Avec les vendanges  débutent les choses sérieuses. Ici, pas de machine à vendanger. La grappe doit être séparée avec précaution de son pied à l’aide d’un sécateur. Elle sera ensuite transportée dans des cagettes contenant au maximum 50 kilos de raisins, de façon à arriver intacte au pressoir. C’est à cette seule condition que l’on obtient des jus d’une qualité irréprochable.

 

Presser lentement

Le raisin doit ensuite être pressé. Le pressoir champenois traditionnel est un pressoir vertical de grande capacité, contenant 4 000 kilos de raisin. Tous ont reçu ces dernières années la visite d’experts et sont aujourd’hui agréés. Le pressurage s’effectue en trois fois afin de fractionner les jus selon leur qualité.

La première presse donne les meilleurs jus, appelés “cuvée”, 2 050 litres de jus, de quoi remplir dix pièces (tonneau traditionnel de 205 litres). Une seconde presse, appelée “taille”, permet d’extraire 500 litres supplémentaires ; sa qualité est moindre mais néanmoins suffisante pour devenir du champagne. Au total, 4 000 kilos de raisin donnent donc 2 550 litres de jus, soit 160 kilos pour un hectolitre.

Dans le but d’améliorer encore la qualité ce rendement a été récemment diminué (il suffisait autrefois de 150 kilos de raisin pour obtenir un hectolitre). Une dernière presse “la rebêche” est parfois effectuée mais les jus de qualité insuffisante extraits à cette occasion ne peuvent pas entrer dans l’élaboration du champagne. Les expressions “taille” et “rebêche” proviennent du fait qu’entre chaque pressée le marc est travaillé, “taillé” avec des bêches coupantes.

Une fois pressé, le jus s’écoule dans des cuves de débourbage où, durant une douzaine d’heures, il va se débarrasser, par simple décantation, des impuretés les plus grossières (grains de raisin, fragments de peaux ou de rafle, feuilles...).

 

Faire fermenter, puis assembler

Le jus est ensuite dirigé dans des cuves ou des foudres en bois dans lesquels il va accomplir sa première fermentation. Au cours de cette phase qui peut s’étendre sur une à trois semaines, le sucre contenu dans le jus va se transformer en alcool sous l’action de levures. Il s’agit d’une vinification traditionnelle en blanc, semblable à celle pratiquée dans les autres vignobles.

Une fois cette fermentation achevée, le vin est laissé quelques mois au repos. A ce stade, et après soutirage (c’est à dire l’élimination des lies), on l’appelle “vin clair”. L’un des secrets du champagne réside dans la composition des “cuvées”, c’est-à-dire dans l’assemblage de vins issus de cépages, de parcelles ou d’années différentes.

Ces assemblages sont effectués en général au printemps. Tout l’art consiste à réaliser un mariage harmonieux et équilibré et l’on comprend que chaque chef de cave conserve jalousement le secret de cette opération qui va donner à ses champagnes, leur personnalité propre : assemblage de crus différents (pinot noir de la Montagne de Reims ou de l’Aube, chardonnay de la Côte des Blancs ou du Sézannais, pinot meunier de la Vallée de la Marne...), mais aussi assemblage de vins d’années différentes, chaque maison, chaque producteur utilise au mieux la matière première dont il dispose.

 

Laisser prendre la mousse

Une fois les cuvées réalisées (chaque maison en élabore généralement plusieurs de qualités et de prix différents), le vin est mis en bouteilles. C’est ce qu’on appelle le tirage. On y adjoint à cette occasion une petite quantité de liqueur sucrée (23 grammes de sucre en moyenne par bouteille) ainsi que des levures sélectionnées, c’est-à-dire tout ce dont le vin a besoin pour effectuer une seconde fermentation. Celle-ci va entraîner un dégagement de gaz carbonique à l’intérieur même de la bouteille qui a été préalablement bouchée. La pression peut alors atteindre 5 à 6 kilos.

C’est la “prise de mousse”, une opération très délicate qui doit absolument se réaliser lentement et à température constante si l’on veut obtenir une mousse fine et permettre aux arômes les plus subtils de se développer. Pour cela, le séjour en cave est fixé à quinze mois minimum, période au cours de laquelle les bouteilles sont empilées à l’horizontale sur des lattes de bois dans les galeries des caves creusées dans la craie.

 

Remuer et dégorger

La seconde fermentation a provoqué à l’intérieur de la bouteille la formation d’un dépôt qu’il convient d’éliminer. Les bouteilles sont pour cela placées inclinées, tête en bas, sur des pupitres. Une fois par jour, durant plusieurs semaines, on imprime à la bouteille un vif mouvement de rotation d’un quart de tour de façon à ce que le dépôt glisse progressivement vers le col de la bouteille.

Autrefois réalisé à la main, au rythme de 30 000 à 50 000 bouteilles par homme et par jour, le remuage est aujourd’hui de plus en plus mécanisé grâce à l’utilisation de gyropalettes. A ce petit jeu, la bouteille finit par se retrouver à la verticale, tête en bas, on dit aussi “sur pointe”. Le champagne est alors prêt à être dégorgé Traditionnellement, cette opération était effectuée manuellement, à la volée. Le caviste - un spécialiste -, redressait brusquement la bouteille dont le bouchon provisoire était simultanément dégrafé, et expulsait le dépôt.

Une autre technique est aujourd’hui utilisée : on plonge le goulot dans un bain de saumure à -20° C, ce qui provoque la formation d’un glaçon emprisonnant le dépôt, glaçon qui est ensuite expulsé de la même manière que précédemment, sous l’effet de la pression.

 

Boucher et museler 

Le champagne est alors presque parvenu au terme de son élaboration. Il faut encore égaliser le niveau pour compenser la petite quantité de vin qui s’est échappée lors du dégorgement. On utilise pour cela du vin clair, souvent du vieux vin de réserve, conservé ou non dans le bois, auquel on ajoute la “liqueur de dosage”, mélange de sucre de canne et de vin vieux, plus ou moins sucrée selon que l’on souhaite obtenir un champagne brut, extra-dry, sec ou demi-sec.

Reste enfin à coiffer la bouteille de son bouchon définitif qui sera maintenu par un solide muselet, à l’habiller d’une collerette, d’une capsule et de son étiquette. La bouteille de champagne est prête à être expédiée. Depuis les vendanges, il s’est passé au moins deux ans, parfois trois, et dans certains cas dix !