La matière première du vinificateur est la grappe de raisin. Celle-ci est formée de baies, c’est-à-dire de grains. Chaque baie est constituée d’une pellicule extérieure, la peau, dont les cellules renferment des tanins, de la matière colorante, des composés aromatiques, de la pulpe et le jus, dont les constituants principaux sont l’eau, des sucres et des acides.

 

Si la pulpe est, sauf rarissime exception, incolore, la pellicule peut présenter des teintes variées. Dans certains cas, elle est très colorée, pouvant aller jusqu’au bleu violacé à maturité : on a alors à faire à des raisins “rouges”. Dans d’autres cas, elle est à peine teintée, de vert pâle à jaune pâle : ce sont des raisins “blancs”. Mais, et là est le fait important, le jus est toujours incolore. Ces préalables étant posés, la vinification peut être définie comme l’association de deux processus : la fermentation alcoolique et la macération.

 

La fermentation alcoolique 

Depuis les travaux de Pasteur dans la seconde moitié du XIXe siècle, nous savons que la fermentation alcoolique est un processus microbiologique de transformation du sucre en alcool sous l’action des levures. Les levures n’apparaissent pas miraculeusement dans les cuves : elles sont présentes à la surface des pellicules des baies de raisin au moment de la maturité. Cette transformation s’accompagne d’un important dégagement de gaz carbonique et d’une élévation de la température du moût en fermentation. Question : existe-t-il une relation entre la quantité de sucre contenue dans le moût et le degré alcoolique du vin ? Oui et elle est directe. En moyenne, les levures consomment 17,5 grammes de sucre par litre pour produire un degré d’alcool ; ainsi, un vin de 10° provient d’un moût qui contenait 175 grammes de sucre par litre.

 

Surveiller la température

Autre question, quel est l’effet de l’élévation de température provoqué par la fermentation ? Il existe une loi en microbiologie que l’on peut résumer simplement, à la manière d’un proverbe chinois : “la chaleur tue, le froid endort”. En d’autres termes, les levures, comme tous les autres micro-organismes sont sensibles à une élévation de la température : au-delà de 35°, c’est même la mort qui les attend. Une mort qui peut avoir de désastreuses conséquences surtout s’il reste du sucre dans le moût car les levures ne sont pas les seuls micro-organismes présents dans le moût.

 

Goût de piqué 

On y trouve aussi toutes sortes de bactéries dont certaines, les bactéries lactiques, ont la fâcheuse manie de se ruer sur le sucre en l’absence des levures. Si ces dernières avaient la bonne idée de produire de l’alcool à partir du sucre, les bactéries, elles, vont secréter de... l’acide acétique. Un défaut que les professionnels appellent “piqûre lactique” mais que les consommateurs connaissent mieux sous le nom de “goût de piqué”. Ce type d’accident était très fréquent dans le passé car ses origines n’étaient pas connues précisément. Il a fallu attendre ces dernières décennies et l’utilisation dans les cuviers des procédés issus de l’industrie du froid pour que ce risque disparaisse peu à peu.

 

La macération

La fermentation alcoolique produit donc de l’alcool. Celui-ci, mélangé à l’eau contenue dans les raisins, va à son tour intervenir dans le processus en agissant comme dissolvant de certains composés présents dans la pellicule. C’est ce qu’on appelle la macération : extraction d’ordre physico-chimique comprenant d’abord une libération du contenu des cellules des peaux de raisin, puis la dissolution dans l’eau et dans l’alcool de ces divers composants. Quels sont ces composants ? Principalement de la matière colorante, des composés aromatiques et des tanins. Comme dans tout phénomène extractif (la confection du thé en est un bon exemple), plus le contact entre les parties solides (peaux) et le liquide se prolonge, plus l’extraction est importante. Une évidence qui va permettre de comprendre les différentes méthodes de vinification pratiquées en fonction des types de vins recherchés.

 

La vinification des blancs

La fermentation peut d’abord se dérouler en phase liquide, c’est-à-dire en l’absence des pellicules. Dans ce but, il convient de séparer préalablement le jus des peaux, un résultat obtenu grâce au pressurage. Dans certains cas, toutefois, on maintient les peaux quelque temps - quelques heures tout au plus - en présence du jus afin de permettre à celui-ci de s’imprégner des composés aromatiques de celui-là : c’est ce qu’on appelle la macération pelliculaire. Si les raisins sont blancs, on obtiendra un vin blanc.

 

La vinification des rosés

Pour produire du rosé, le procédé est voisin mais nécessite l’utilisation de raisins rouges. Les raisins sont foulés avant d’être encuvés puis une partie du jus est écoulé avant que ne démarre le processus de fermentation. Le jus ainsi séparé des peaux aura une couleur plus ou moins rosée en fonction du temps de contact : il s’agit de rosés dits de “saignée”.

 

La vinification des rouges 

Le second type de vinification suppose une fermentation en phase mixte, c’est-à-dire en présence des pellicules. Ainsi sont élaborés les vins rouges, du plus léger au vin de garde selon que la macération se limite à trois jours ou se prolonge durant trois semaines, voire plus. Les choses ne sont pourtant pas si simples car il ne suffit pas de prolonger le contact peaux-jus pour obtenir un grand vin. Encore faut-il que le raisin soit de bonne qualité, bien mûr et d’un excellent état sanitaire. Dans le cas contraire, longue macération signifiant forte extraction, le vin risque d’accumuler les défauts.

 

Le rôle de l’homme dans la vinification

L’homme, on le voit, a un rôle majeur à jouer dans la vinification. S’il n’existe pas de recettes applicables chaque année en tout lieu, il existe une méthodologie qu’on a esquissée à grands traits. Il faut pourtant une fois de plus distinguer fermentation et macération. Dans la conduite de la fermentation, l’intervention de l’homme n’est qu’indirecte. Car ce n’est pas lui mais les levures qui transforment le sucre en alcool. Son travail se limite donc - ce qui n’est pas rien - à réunir les conditions optimales de travail pour les levures : maîtrise des températures, bon entretien des cuves, propreté de la cave... Dans la conduite de la macération en revanche, ses choix et son action sont essentiels, primordiaux. Ils supposent de sa part une connaissance approfondie de la composition du raisin et une parfaite compréhension des processus et du niveau de maturation. Comprendre pour pouvoir interpréter et, au bout du compte, obtenir le meilleur extrait possible d’un raisin donné, telle est la règle de base qui distingue les bons vinificateurs des autres. S’adapter à la matière première pour en tirer le maximum.

 

La fin du mystère ?

La vinification en tant que transformation a longtemps été entourée de mystère. Phénomène inconnu, donc impossible à maîtriser, il était auréolé d’une part de magie, d’alchimie, dimension qui contribua à sacraliser le vin dans la plupart des civilisations. Faut-il se plaindre des progrès accomplis depuis Pasteur ? D’aucuns prétendent qu’à présent l’œnologie moderne orchestrée parles “œnarques” en blouse blanche, ont tué le mystère au risque de ravaler le vin au rang de produit industriel ordinaire. Sans doute est-ce le cas pour les marques produisant de très gros volumes pour lesquels la technologie est indispensable. Mais il est clair que l’on produira toujours du Chambertin à Gevrey avec une qualité et des caractéristiques organoleptiques que la science seule est bien incapable de reproduire !